Reptiles énigmatiques de France

Représentation du Tatzelwurm des Alpes bavaroises

Introduction

     Chers lecteurs de Strange Reality, afin de siffler la mi-temps dans ce long dossier sur les  Cagots,  nous allons ouvrir ensemble le dossier des reptiles énigmatiques de France. Qui sont ces reptiles qui ont laissé des empreintes si profondes dans notre folklore ? Les varans géants décrits sur le territoire français jusqu’au XIXe siècle ont-ils réellement existé ? Quel est ce dragon des marais présent également dans notre culture sous le nom de vouivre ?  

En Asie, les dragons sont puissants mais totalement indifférents aux humains, là où les dragons du monde occidental sont considérés comme maléfiques. Le christianisme fait du dragon le symbole du mal, de la Bête de l’Apocalypse, l’incarnation de Satan et du paganisme. L’Apocalypse de Jean décrit le combat du Dragon contre le Messie. De nombreux saints, martyrs et archanges triomphent du dragon qui est l’incarnation du mal, à l’image du terrible combat canonique entre Saint-Georges et le Dragon.

Vouivre représentée dans « Saint-Georges et le dragon » (1450) de Paolo Ucello

     La Tarasque, un autre monstre amphibie, aurait hanté le Rhône durant l’antiquité. Cette dernière était censée hanter un marais aux alentours de Tarascon-sur-Rhône : juchée sur un rocher où est actuellement construit le château de la ville, la terrible créature aux yeux rouges et à l’haleine putride guettait les voyageurs passant le Rhône pour s’en repaître, semant la terreur dans tout Tarascon. Depuis se déroule une fête processionnelle annuelle durant laquelle une ancienne sculpture à son effigie et à sa taille, est célébrée par toute la ville de Tarascon.  

La tarasque, de la peinture du XVIIe siècle aux processions villageoises

    Les dragons se parent de plusieurs noms dans le folklore français, tous sonores et terrifiants : drac en Occitanie, vouivre en Franche-Comté, tarasque en Provence, etc. Ces fêtes autour du dragon sont très nombreuses en France et en Belgique, au point d’être inscrites en novembre 2005 au titre de patrimoine culturel immatériel de l’humanité sous l’appellation de « Géants et dragons processionnels de Belgique et de France ». Mais nos massifs forestiers ne retiennent-ils pas l’empreinte d’authentiques reptiles géants ?

Les serpents imaginaires de Charles Joisten

     Le grand folkloriste Charles Joisten témoigne de nombreux serpents ailés ou protecteurs de trésors dans les contes et légendes de l’Ariège (Pyrénées) et de la Tarentaise (Alpes), deux lieux propices à ces nombreuses collectes ethnographiques.

En Ariège :

     « A Péreille, un serpent qui a sur le dos una cresta, c’est-à-dire une aile membraneuse, épouvante les personnes qui l’aperçoivent. Saint-Liziers, évêque de Couserans, en revenant d’Espagne, tua d’une flèche un serpent mangeur d’homme qui se trouvait dans la vallée d’Aussèze, au pont de pierre. Avant d’atteindre le monstre, la flèche fit dans un rocher un trou rond que l’on peut toujours voir sur la crête de la montagne » (Charles Joisten, Les êtres fantastiques dans le folklore de l’Ariège – Vallée de Loubatières (1962), Editions Loubatières, 2000).

En Tarentaise :

     « Cet animal fantastique des Ales et du Jura porte, en Tarentaise, les noms de vivra, vifra, vibra ou dragon. A Planay, la vibra laisse sur son passage des marques circulaires, dites « ronds de soricers », où poussent des mousserons. Une fillette, au lieu-dit Pracompuet, aperçut un serpent à diamant qui avait posé à terre sa pierre précieuse pendant qu’il allait boire au ruisseau. S’emparant du diamant, la jeune bergère s’enfuit à toutes jambes vers sa maison, poursuivie par le serpent. Elle réussit de justesse à s’enfermer chez elle, tandis que l’animal venait se tuer contre la porte. Il est mort là, à force de se cogner » (Charles Joisten, Récits et Contes populaires de Savoie, Editions Gallimard, 1980).

Lézards géants des Pyrénées

     Entre Lourdes et Argelès se trouve la jolie commune d’Agos-Vidalos. Chez l’auteur Michel De La Torre, on peut lire : « En 1893, des reptiles monstrueux furent aperçus en divers endroits d’Agos-Vidalos » (Hautes-Pyrénées, l’art et la nature de ses 475 communes, Editions Nathan, 1985).

Le village d’Agos et le mont Pibeste (vers 1960)

     Bernard Duhourcau nous donne un peu plus de précisions concernant la ville d’Argelès-Gazost : « Entre Lourdes et Argelès, les flancs du Pibeste portent les restes d’une énorme moraine de graviers noirâtres, plaquée contre des falaises calcaires. La montagne paraît être en carton-pâte. Elle est creusée de grottes et de cavernes inaccessibles pour la plupart, et que traversent des ruisseaux souterrains. Peut-être ces singuliers accidents géologiques sont-ils à l’origine de divers faits étranges qu’observèrent autrefois les habitants d’Agos ?

     Le procureur de la République de Lourdes décida de faire effectuer une enquête par la gendarmerie d’Argelès. Les témoignages recueillis pourraient intéresser les paléontologues. Le curé d’Agos-Vidalos déclara d’abord qu’au mois de juillet de l’année précédente, en passant par un chemin de traverse du quartier d’Arné, il avait aperçu au pied d’un rocher « un énorme animal ayant la forme d’un lézard, mais mesurant à peu près 1,50m, sans compter la queue. La tête était du tiers de la longueur et il avait au-dessous de la gorge une énorme grosseur imitant le cou d’un porc gras. Il avait une couleur verdâtre et une peau écailleuse » (Bernard Duhourcau, Guide des Pyrénées mystérieuses, Editions Tchou, 2001).

    Le curé voulut l’effrayer avec son parapluie, mais la bête se contenta d’ouvrir sa gueule sans bouger. Le bon ecclésiastique ne demanda pas son reste et fit demi-tour pour rentrer chez lui par un autre chemin. Le lendemain, revenu sur place armé d’un revolver, il ne retrouva plus l’animal. Un autre habitant d’Agos, Pierre Sajous, âgé de trente-deux ans, fit le récit suivant : « installé au pied d’un chêne, il avait vu, enroulé autour d’une branche, un énorme animal qui semblait avoir la forme d’un serpent et mesurait environ 2 mètres de longueur. La bête ouvrit sa gueule et commença à descendre de l’arbre ; Pierre Sajous n’attendit pas plus pour s’enfuir. Le procès-verbal, signé par les gendarmes Peyret et Sarcia, fut fait et clos à Argelès, le 15 février 1893.

     Ces animaux étranges ont ainsi pu exister dans les Pyrénées. Leur description évoque irrésistiblement des varans, or ces grands reptiles à sang-froid ont été exhumés dans les couches fossilifères des Causses du Lot, non loin du piémont pyrénéen. Pourrait-on y voir une possible corrélation fossile ?

L’explication (partielle) du mythe du dragon européen

     Le dossier des reptiles géants pyrénéens est sans doute amalgamé avec un authentique lézard de grande taille, le magnifique lézard ocellé européen (Timon Lepidus). 

Lézard ocellé européen (Timon Lepidus) des Pyrénées

     Janez Vajkard Valvasor, dans La Gloire du Duché de Carniole (15 tomes, Nüremberg, 1689), décrit les mythes et légendes slovènes faisant du protée anguillard (Proteus anguinus) un bébé dragon. Lors des crues, cet animal cavernicole est expulsé des grottes où il vit. Les populations locales en concluaient que de grands dragons vivent sous la croute terrestre et que ce petit animal en était la larve.

Le protée anguillard (Proteus anguinus) des Alpes dinariques

 Le Tatzelwurm des Alpes

     Si l’endémisme pyrénéen est particulièrement élevé, nous pouvons à bon droit nous questionner sur la faiblesse de l’endémisme alpin, qui se limiterait à quelques menus insectes, à quelques fleurs et à deux ou trois pauvres papillons qui se battent en duel. La plus stupéfiante espèce animale ne resterait-elle pas à découvrir au sein de ce vaste massif ? Sans aucun doute, car dans les Alpes suisses, autrichiennes et bavaroises, existerait un reptile bien énigmatique dénommé le Tatzelwurm sur lequel a enquêté le cryptzoologue aguerri Michel Raynal, dont nous nous permettons d’emprunter la majorité des arguments.  

     L’ingénieur Hans Flucher mena une enquête sur le Tatzelwurm au début des années 1930 pour le magazine de vulgarisation scientifique Kosmos. Il obtint ainsi le témoignage de l’officier des chemins de fer en retraite Kaspar Arnold, qui observa l’animal en juillet 1883 ou 1884, sur le versant ouest du Spielberg (près de Hochfilzen, Tyrol) : « [Arnold observa] cet animal de seulement 30 centimètres de longueur et épais comme l’avant-bras. Il prit une position agressive contre l’intrus, qui évita l’animal par un grand détour, et put alors l’observer pendant un bon laps de temps. Il le décrit comme ayant la forme d’un grand lézard, avec cependant une queue plus courte et beaucoup plus épaisse, avec seulement deux pattes de devant semblables à celles d’un basset ; et il est sûr qu’il n’y avait pas de pattes de derrière. Peau nue ou finement écailleuse, couleur brun-verdâtre et regard perçant qui engendre la peur. Une confusion avec un autre animal de notre région n’est pas possible, car tous ceux-ci comme la loutre, le putois, la martre, etc., sont connus du témoin. » (d’après Flucher, 1932).

     De même, Flucher recueillit le témoignage du concierge d’hôtel Johann Biechl, qui en tant que vacher sur l’alpe du Hochfilzen dans le Rauris eut au cours de l’été 1921 l’expérience suivante, en compagnie d’un braconnier du nom de Hein : « […] ils entendirent à une certaine distance un chamois siffler, ce qui étonna beaucoup le braconnier, à cause d’un vent favorable. Mais bientôt il réalisa que ce n’était pas un daim, mais un autre animal qui sifflait si étrangement, et ils suivirent en cachette le bruit. Après quelque temps ils remarquèrent sur un bloc de rocher un animal qui les fixait avec « un regard terrifiant, perçant, hypnotique ».

     Le braconnier mit en joue, le coup partit en un clin d’œil, mais l’animal bondit en un énorme arc de 3 m de hauteur et 8 m de longueur entre les deux hommes qui tournèrent les talons au plus vite. De l’avis du tireur, c’était un Tatzelwurm que notre témoin décrit comme suit : « environ 60 à 80 centimètres de long et épais comme le bras, tête comme celle d’un chat, grosse comme le poing, sans rétrécissement du cou visible, se fondant avec une épaisseur régulière dans le corps épais et cylindrique. La queue d’épaisseur constante et assez brusquement devenant pointue comme une carotte. Pour sûr il n’y avait sur l’animal que deux très courtes pattes antérieures dirigées vers l’extérieur, qui se décollaient nettement du corps lors du saut. La couleur de l’animal était grise, à peu près comme celle du rocher sur lequel il se tenait. » (d’après Flucher, 1932). 

     En 1934, un photographe du nom de Balkin affirma avoir photographié le Stollenwurm (nom donné à l’animal en Suisse) près de Meiringen. Il s’agit vraisemblablement d’un poisson en faïence.

Le prétendu Stollenwurm de Balkin

Analyse biologique du Tatzelwurm

     Plus d’une centaine de témoignages permettent de dresser le portrait-robot d’un animal long de 50 à 80 centimètres environ, au corps très épais ressemblant à celui d’un ver ou d’un serpent, à la peau couverte de fines écailles. La tête est plutôt ronde (elle est souvent comparé à une tête de chat), et une langue bifide a été remarquée plusieurs fois. Le cou est indistinct (Hals nicht deutlich abgefetzt est une expression qui revient comme un leitmotiv), se fondant dans le corps. La « queue » est épaisse et se termine brusquement. Il n’y a pas unamimité sur le nombre de pattes, mais 2/3 des témoignages font état de la seule présence de pattes antérieures très atrophiées (souvent comparées aux pattes d’un basset). Les quelques rapports sur des animaux sans pattes (une dizaine seulement) pourraient se rapporter à des serpents ou s’expliquer par les conditions d’observations (animal à moitié enfoui dans les feuilles mortes ou l’herbe). Quant aux rapports sur des animaux à quatre pattes, ils se rapportent semble-t-il à des espèces connues de lézards, de salamandres, voire de mammifères éventuellement atteints d’alopécie : loutre, martre, etc. Le Tatzelwurm au sens strict ne possède donc que des moignons de pattes antérieures, comme le montrent du reste les représentations traditionnelles les moins mythifiées que l’on possède de lui.

     L’animal est très redouté, car supposé venimeux, mais aucun rapport circonstancié ne le confirme. Bernard Heuvelmans a rapproché le Tatzelwurm des reptiles anguidés (orvets), dont le Sheltopusik (Ophisaurus apodus) des Balkans est le plus grand représentant connu.

Une variété alpine d’Ophisaurus apodus serait-elle à l’origine du Tatzelwurm ?

     D’autres hypothèses alternatives ont été retenues pour rendre compte du Tatzelwurm :

– En 1933, Jakob Nicolussi émit l’hypothèse que le Tatzelwurm est un héloderme (lézard venimeux) inconnu, qu’il décrivit sous le nom de Heloderma europaeum. C’est très invraisemblable pour des raisons zoogéographiques (les deux espèces connues d’héloderme sont nord-américaines), et deux caractères distinctifs essentiels (la présence de deux paires de pattes et le caractère venimeux de l’animal) ne sont pas prouvés.

 Il a aussi été suggéré que le Tatzelwurm pourrait être un batracien inconnu, mais la langue bifide, si elle est avérée, désigne clairement un reptile.

– L’observation déficiente d’animaux connus (lézards, salamandres, mammifères) a été avancée, mais elle ne peut rendre compte que d’une minorité de témoignages.

     Il reste néanmoins une hypothèse tout à fait vraisemblable pour éclairer l’identité biologique du Tatzelwurm : il pourrait s’agir d’une nouvelle espèce de Steps, un lézard apode aux ébauches de pattes avant. Le Steps strié (Chalcides striatus), d’une trentaine de centimètres de long, est d’ailleurs présent dans la péninsule ibérique, les Pyrénées catalanes et les Alpes du Sud.

Conclusion

 Au terme de ce dossier méconnu sur les dragons « possibles» du folklore français,  qui apparaissent comme un objet d’étude digne d’intérêt, mais négligé, on se met à rêver que ces prosaïques reptiles ou batraciens puissent un jour hanter les pages de nos futurs manuels d’Histoire naturelle.

7 commentaires

    1. Merci pour votre soutient sans faille, ce dossier des reptiles énigmatiques, loin des grandes stars de la cryptozoologie, est tout à fait intriguant… Merci à vous,

      Florent Barrère

      Aimé par 1 personne

      1. C’est fait il est en ligne 😉
        merci à vous, c’est un voyage dans le fantastique et dans l’imaginaire qui me fascine totalement. Et puis où se trouvent les limites du réel ?

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  1. Serait-il possible un jour de découvrir une nouvelle espèce lors d’une visite souterraine de nos montagnes karstiques ? J’aime à l’imaginer ! Merci pour cet article fascinant

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    1. Merci Damien pour avoir suivi ce dossier que je trouve aussi passionnant. Peut-être doute un cousin du tatzelwurm alpin ? Qui sait ! 😉

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