Le petite peuple belge 4

Abris naturels des nutons

Le trou des nutons (Réserve naturelle de Furfooz, 2014)

    Cher lecteur de Strange Reality, ma rencontre avec les nutons coïncide avec celle de Christophe Kilian, mon coéquipier d’aventure dans la création de ce blog de l’étrange et du folklore. Il y a déjà huit ans de cela, en avril 2014, on s’était rencontré au XIIIème Colloque européen de Cryptozoologie à Dinant organisé par le cryptozoologue belge Eric Joye. Pour moi il s’agissait d’évoquer les travaux de Marie-Jeanne Koffmann ; pour Christophe Kilian de présenter son documentaire en partie consacré à l’Orang-Pendek. Lors de ce congrès annuel, nous avons pu visiter toute une matinée la réserve naturelle de Furfooz, qui se situait à deux pas de l’organisation du colloque, et nous sommes arrivés au pied de la grotte des nutons.

Une partie des membres de la cryptozoologie européenne (avril 2014)
(Philippe Coudray, Ch. Kilian, Eric Joye, Florent Barrère, Charles Paxton, Jacques Erb)
devant « la grotte des nutons » de la réserve naturelle de Furfooz

Depuis l’Intérieur de la « grotte des nutons »

     Cette grotte n’est pas isolée sur le territoire belge : les nutons demeuraient dans bien d’autres sites rocheux, que nous allons explorer tout le long de cet article.

. Grottes préhistoriques et sites antiques

     La grotte de la Chantoire est surmontée par les ruines d’une ancienne chapelle dédiée à Sainte-Anne et déjà utilisée au XIIIème siècle. Sa réputation lui vient des fouilles archéologiques mettant à jour des pointes datant du Néolithique et, surtout, de la légende qui en fit l’habitation des sottais, les nutons de l’Est de la Belgique.

Grotte de la Chantoire (« trou des sottais »), sa chapelle en ruine et ses cheminées colmatées

(Joseph Leclercq, Bulletin des chercheurs de Wallonie, 2007)

Le bois de Bastogne, ancienne forêt belge souvent évoquée dans un proverbe nuton  (« J’ai vu Freyr plein champs et Bastogne plein Bois »), accueille en son sein un ancien dolmen, structure mégalithique sacrée datant du Néolithique tardif, et nommé bien à propos « lit des nutons ». C’est dans ce même bois que l’on retrouvera un « trou des nutons » et un culte de ce petit peuple envers le jeune Dieu gallo-romain de la Nature, Intarabus.

« Lit des nutons » de la forêt de Bastogne

     Au sud du village de Bras, dans le bois de Hambeau, une ancienne fosse d’extraction, site minier datant de l’époque gallo-romaine s’ouvre, en partie comblée, le long du ruisseau de la Barrière. C’est le « trou des lutons ». Ceux-ci étaient d’adroits chaudronniers. Travaillant tout le jour dans leur officine souterraine, ils voyageaient la nuit et fréquentaient les fermes d’alentour. Ils appréciaient beaucoup les œufs que leur offraient les ménagères comme rémunération de leur travail.

Grottes pourvoyeuses d’histoires

     Ce trou des lutons de Bras est un site associé à l’histoire de l’enlèvement d’une fille humaine par un représentant du petit peuple : venant du village voisin de Grupchy, la jeune naïve fut envoyée par sa mère chez les lutons pour y reprendre un chaudron. Mais un nain retint la pauvre fille pour en faire sa femme. De leur union naquirent plusieurs enfants fort disgracieux.

 Le bois de Hambeau à Bras, site du trou des lutons (AllTrails, 2017)

     Quelque temps plus tard, passant près du trou, des bûcherons entendirent des gémissements qui semblaient sortir de terre. Ils avancèrent vers le quartier de roche qui obstruait le trou et reconnurent la voix de la pauvre jeune fille. Armés de leviers, ils firent rouler l’énorme bloc. « Vite, vite, s’écria la prisonnière, le nain ne va pas tarder à rentrer. » Les hommes se hâtèrent de la délivrer. Puis, avant de quitter la caverne, ils disposèrent autour du foyer des coquilles d’œufs contenant chacune une petite bûchette et prirent soin, en sortant, de replacer la grosse pierre sur l’orifice du trou.

Aussitôt après leur départ, le luton arriva. Du bout de son petit doigt, il souleva la roche et pénétra dans son repaire. Là, tout émerveillé devant le petit ménage qui entourait le feu, il s’écria : «J’ai vu Freyr plain champ et Bastogne plain bois, mais je n’ai jamais vu tant de louches mélangeantes! ». Le luton, subjugué, ne chercha plus à récupérer la fille humaine.

          Mais si les nutons capturent des femmes, les hommes sont assez cruels pour se venger et capturer à leur tour d’inoffensifs nutons. À l’est du village de Libin, dans la vallée du Serpont, affluent de la Haute Lomme, un rocher solitaire occupe le bois de Contranhé. On le croirait jailli du sol par une pression formidable. D’après la tradition, ce rocher d’arkose, véritable curiosité géologique, était autrefois habité par des nutons.

Le rocher des nutons de Libin (SityTrail, 2019

     Les gens de Libin venaient volontiers leur confier des chaudrons à rétamer. Les petits hommes se faisaient payer en nature : tout comme à Bras, ils raffolaient des œufs. Se montrant rarement le jour, ils attendaient la nuit pour sortir de leur trou. Devant le rocher, les cendres d’un grand feu témoignaient de leur activité nocturne.

     Un soir, entre chien et loup, des gens de Libin étaient venus déposer autour de ce foyer une série de coquilles d’oeufs, puis s’étaient cachés dans les alentours. À la nuit noire, les nutons surgirent l’un après l’autre, et le plus âgé d’entre eux, apercevant les écales, s’écria : « Quand j’étais jeune, j’ai vu Belègne (lieu-dit circonvoisin alors boisé) plein de campagne, mais jamais autant de petits pots autour du feu ! »  

     Une autre fois, des hommes de Libin qui n’avaient pas froid aux yeux décidèrent de capturer un nuton. Un soir, ils se cachèrent près du rocher et, lorsqu’un nain se hasarda hors du trou, ils fondirent sur lui. Le petit homme était fort, et ses adversaires, malgré leur nombre, eurent bien du mal à le maîtriser. Une fois qu’il fut ligoté, ils le ramenèrent au village. Là, ils enfermèrent le nabot dans la brassine d’une ferme dont la porte de chêne et les barreaux des fenêtres étaient à toute épreuve, puis allèrent se coucher. Mais, le lendemain, quelle ne fût pas leur surprise de constater que le nuton avait filé par une fenêtre, les barreaux de celle-ci n’ayant pas pu résister à sa force herculéenne !

Dans une autre histoire, le gentil nain ne séquestrera pas la fille dont il est tombé amoureux, mais sera tourné en ridicule par cette dernière. Un jour, un massotê s’amouracha d’une jeune villageoise. Durant tout le temps que le nain s’employa à faire sa cour, la famille de la jeune fille s’enrichit mystérieusement. Mais, voulant finalement se débarrasser de son petit amoureux laid et encombrant, la fille, à l’arrivée de celui-ci, s’accroupit sur le fumier, une tartine dans la main, et se laissa aller à la plus naturelle des fonctions. La voyant dans cette posture, le massotê, froissé, dit en faisant allusion à la fortune si fraîchement acquise : « Tu es venu épi par épi et tu retourneras gerbe par gerbe.» Quelque temps plus tard, et tout aussi mystérieusement qu’elle s’était enrichie, la famille de la fille redevint pauvre comme Job.

     Cette histoire se déroule au lieu-dit « la Roche des massotês », près du village de Logbiermé. A l’extrémité la moins élevée du rocher, une cavité de bonne dimension (trois mètres), de même que des failles et d’autres anfractuosités servaient d’habitation aux massotês. Ceux-ci étaient d’excellents cordonniers, et les paysans les aimaient autant qu’ils les craignaient.

La Roche des massotês de Logbiermé (2018)

       Le proverbe « « Tu es venu épi par épi et tu retourneras gerbe par gerbe.» sera réinvesti par les nutons qui habitaient une cavité rocheuse près d’Herbeumont. Un jour, le propriétaire d’une ferme d’Herbeumont où un nuton rendait divers services, voyant le petit homme porter avec grand effort un épi vers le grenier, lui dit sur un ton bien ironique : « Te voilà bien chargé avec un semblable fardeau ! À te voir si empressé, ne croirait-on pas que tu me rends d’importants services ? » Irrité par cette remarque indélicate, le nuton jeta à terre l’épi dont il était chargé et, descendant l’échelle, répondit : « Paume (épi) à paume, je t’ai enrichi, paume à paume, je te ruinerai. » Et de fait, les affaires de l’ingrat paysan, qui avaient été prospères jusque-là, ne tardèrent pas à péricliter à tel point que l’homme finit par aller mendier son pain.

     A Givroulle, les nutons habitaient un trou encastré dans la crête rocheuse qui domine, à l’est de la localité, le ruisseau de Givry. Une histoire mettant en scène un nuton malicieux mélangera diverses strates de récits que nous connaissons bien.

Le trou des nutons de Givroulle (Cercle historique de Bertogne, 2020)

Ce nuton avait pris la place d’un bébé pour se faire nourrir. Parce qu’il ne grandissait pas et devenait de plus en plus laid, la pauvre femme compris qu’un nuton avait pris la place de son enfant dans le berceau.

     Pour le démasquer, une vieille femme du village lui conseilla ce stratagème : « Sous les yeux du nuton, accroupie-toi en faisant mine de faire des besoins sur le tas de fumier. Et mange une tartine ! Avec ton autre main et un bâtonnet, tourne dans des coquilles d’œufs alignées devant toi. » La villageoise sortit le berceau devant le tas de fumier et commença le rituel. La tartine n’était pas achevée que le nuton s’écria : « J’ai vu Freyr plein champ, Bastogne haut bois, mais je n’ai jamais vu autant de petits récipients mélangeants ni de femme qui mangeait tout en ch.… ». Démasqué, le nuton reçut une belle raclée, et fut sommé de ramener l’enfant dérobé.

Grottes pourvues de galeries

Les nutons, habiles constructeurs, creusaient des galeries qui reliaient leurs cavernes à d’autres structures. Par exemple, le « trou des nutons » à Houffalize possédait un tunnel allant jusqu’à la chapelle Notre-Dame-de-la-Forêt, entre Taverneux et Sommerain. Durant la nuit, ils réparaient les chaussures des Houffalois. D’où la popularité d’Houffalize en tant que cité des Nutons. En 1807, deux réfractaires de la localité se réfugièrent dans le trou. Ils étaient cordonniers. La nuit, les habitants du pays déposaient leurs souliers déchirés ainsi que des provisions à l’entrée de la grotte. Le lendemain, ils les trouvaient réparés.

Trou des nutons à Houffalize (Cœur de l’Ardenne, 2019)

Les trous de Volaiville et Winville reliés par une galerie creusée par les nutons…

     Les nutons, habiles mineurs, avaient trouvé la force nécessaire pour faire communiquer les abris sous-roche de deux communes voisines : Volaiville et Winville. Comme partout en Ardenne, les paysans qui avaient des vêtements à laver, des souliers à ressemeler, des casseroles à rétamer, venaient confier ces objets aux lutons des deux communes qui les réparaient en échange de nourriture et de friandises.

    Or, un soir, une pauvre veuve se présenta, en pleurs, devant le trou de Winville. Au nuton qui l’interrogeait, elle apprit que son mari était mort récemment et qu’elle ne pouvait s’occuper toute seule des travaux des champs.

« Sèche tes larmes ! » lui dit le nain compatissant. « Tout à l’heure, amène ta charrue et tes semences sur un de tes champs, puis va te mettre au lit. Je m’occupe du reste. » Quand, le lendemain, la fermière se rendit à ses champs, quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’ils étaient et labourés et semés. Leur récolte fut même très supérieure à celle des années antérieures.

     Ainsi le luton, pendant plusieurs années, s’occupa des champs de la femme. Un jour, cependant, elle s’entendit avec son voisin, moyennant finance, pour faire travailler le luton sur le champ du voisin. Elle amena donc sa charrue et un sac de grains sur le champ en question. Mais la nuit qui suivit, le luton ne vint pas sur ce champ ni d’ailleurs sur ceux de la femme ; il n’y vint même plus jamais, profondément choqué que l’on ait voulu monnayer ses services !

     D’Houffalize à Petites-Tailles, près de la frontière luxembourgeoise, le petit peuple belge se faisait appeler les massotais et un sentier, à quelques centaines de mètres d’un ancien « trou des massotais », leur rend hommage au village de Baclain. Cette promenade pédagogique est dédiée à ce personnage du folklore ardennais au milieu d’une nature préservée à travers une boucle longue de huit-cents mètres et balisée par des œuvres de l’artiste Joost Vanvoorden.

Le sentier des massotais de Baclain, illustré par l’artiste Joost Vanvoorden (2018)

     Chers lecteurs de Strange Reality, merci d’avoir une nouvelle fois apporté du crédit et de l’attention aux nutons à travers ce parcours photographique des différents sites rocheux habités par ces nains du territoire belge. Nous verrons dans un prochain article les constructions artificielles associées à ce petit peuple.

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