Hominidés du Proche-Orient

Crâne partiel de l’Homo de Nesher Ramla (Yossi Zaidner, 2010)

Chers lecteurs de Strange Reality, l’actualité la plus brûlante nous rappelle la difficile cohabitation entre deux communautés (Israéliens et Palestiniens) sur un même territoire, la Palestine historique (Israël, Gaza, Cisjordanie). Cette région correspond à la plus grande partie du corridor levantin, une bande géographique de la Méditerranée orientale qui établit un pont entre Afrique, Asie et Europe. Cet itinéraire de migration a été emprunté par des hominidés (Erectus, Neandertal) et des Homo sapiens (archaïques, modernes) lors des sorties de l’Afrique (théorie de l’Out of Africa). Ainsi, outre l’Homo sapiens moderne présent dans cette région depuis 180 000 ans B.P, plusieurs hominidés se sont succédés sur cette mince bande de terre dont nous retrouverons la trace dans le répertoire fossile de la Palestine historique.

D’abord, des Homo erectus africains atteignent le corridor levantin (entre 1,5 million d’années et 500 000 ans B.P.) et s’établissent avec leur culture acheuléenne vers le lac de Tibériade, comme l’atteste le site de fouilles archéologiques d’Ubeidiya.

Ensuite, Homo heidelbergensis atteint le corridor levantin entre 600 000 ans et 200 000 ans B.P. Un fossile en bon état a été trouvé dans la grotte des Voleurs jouxtant le lac de Tibériade et a été nommé l’« Homme de Galilée ». Les ressemblances morphologiques entre l’Homo heidelbergensis et les Néandertaliens sont telles que Jean-Jacques Hublin et de nombreux chercheurs estiment que le premier a probablement évolué au cours du Pléistocène moyen pour donner progressivement naissance aux Néandertaliens (Jean-Jacques Hublin, « Origine et évolution des Néandertaliens », in : Les Néandertaliens, biologie et cultures, Bernard Vandermeersch et Bruno Maureille (dir.), Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques 23, p.95-107, 2007).  Actuellement, les scientifiques parlent plus volontiers des Homo heidelbergensis comme des néandersoviens. En 450 000 ans B.P, ces néandersoviens vont se diviser en deux : les hommes de Néandertal à l’ouest, les hommes de Denisova à l’est.

L’Homme de Galilée (Homo heidelbergensis) de la grotte des Voleurs

Enfin, les Néanderthaliens se sont implantés en Palestine historique entre 70 000 ans et 50 000 ans B.P, occupant des grottes (Amud, Kebara, Tabun) en alternance avec les Homo sapiens modernes. Néanmoins, un fossile, exhumé récemment (XXIe siècle), posera question dans toute cette série d’hominidés nomades du corridor levantin : chers lecteurs, il est grand  temps de découvrir l’intriguant Homo de Nesher Ramla.

Crâne partiel d’Amud 1

L’Homo de Nesher Ramla


Une équipe de chercheurs menée par l’archéologue israélien Yossi Zaidner étudie depuis 2010 un site particulier, entre Tel Aviv et Jérusalem : Nesher Ramla. Le site a la particularité exceptionnelle d’être une fosse karstique qui n’a été comblée que progressivement et n’a pas été perturbée à travers les millénaires par des chutes de pierres ou par des infiltrations. Pour cette raison, la séquence chronologique des moindres changements dans les techniques de taille utilisées dans la fabrication des outils lithiques peut aisément être suivie.

Site de fouilles de Nesher Ramla (2010-2011)

Très vite, dès 2011, deux ensembles de fossiles humains ont été trouvés sur le site : NR-1, un ensemble de fragments d’os pariétaux du crâne ; NR-2, une mandibule robuste avec plusieurs dents bien conservées. Le fossile NR-1 se compose d’un os pariétal droit complet et de quatre fragments de l’os pariétal gauche. Les quatre fragments et l’os pariétal droit ne viennent pas en connexion anatomique, mais en raison des signes d’altération présents sur tous les fragments, leur appartenance au même individu est considérée comme assurée.

Le fossile NR-2 est une mandibule robuste, qui a conservé l’une de ses deux branches et sur laquelle il ne manque que la deuxième dent gauche. Les molaires et les racines des autres dents sont présentes. La mandibule s’est brisée en plusieurs morceaux lors de la fouille, mais ils ont pu être remontés.

Les deux fossiles ont été trouvés à environ trois mètres l’un de l’autre, mais appartiendraient au même individu selon les auteurs de l’étude (Yossi Zaidner et al., Landscapes, depositional environments and human occupation at Middle Paleolithic open-air sites in the southern Levant, with new insights from Nesher Ramla, Israel, Quaternary Science Reviews, volume 138, 2016, pp.76–86). Ces fossiles humains seront datés en 2021 entre 140 000 ans et 120 000 ans B.P.

Les os pariétaux (NR-1) et la mandibule (NR-2) de l’Homo de Nesher Ramla

Les fossiles (NR-1 et NR-2) découverts à Nesher Ramla montrent des traits primitifs : d’une part, des traits semblables à l’Homo erectus, comme une petite boite crânienne ; d’autre part, des caractéristiques néandertaliennes, notamment une large mâchoire et une robuste structure dentaire. Les traits morphologiques de l’homme de Nesher Ramla différent donc sensiblement des Homo sapiens modernes. Mais tout de même, l’Homo de Nesher Ramla maitrisait la technique du « débitage Levallois », qui est l’apanage de l’Homo sapiens modernes.

Les Homo de Nesher Ramla (140 000 ans à 120 000 ans B.P.), s’intercalent dans le corridor levantin entre les Homo sapiens modernes (à partir de 220 000 ans B.P) et les Néanderthaliens (70 000 ans B.P). Deux groupes d’Homo, les sapiens modernes et les Nesher Ramla, ont coexisté au Levant pendant au moins 100 000 ans, en échangeant des connaissances culturelles (technique de débitage Levallois) et très certainement des gènes.

La route migratoire du corridor levantin (en jaune) dans la théorie Out of Africa

Les autres humanités de la Bible

Il serait pertinent de se demander si les sources antiques religieuses corroborent cette hypothèse scientifique d’une cohabitation entre Homo sapiens modernes et Homo plus archaïques (Nesher Ramla).

D’abord, les textes bibliques les plus anciens évoquent les sa‘îrim, c’est-à-dire en hébreu les « velus ». Dans le Lévitique (17:7), il est dit que les Israëlites « ne sacrifieront plus leurs offrandes aux velus (sa‘îrim) avec lesquels ils se prostituent. Cela leur sera une loi perpétuelle, dans leurs générations ». La Torah condamne ici clairement l’idolâtrie et les pratiques sexuelles envers ces êtres velus.

Le Mont Sinaï, lieu biblique hanté par les velus (sa‘îrim)

Ensuite, sans avoir une pilosité mentionnée, les Rephaïm sont un peuple antérieur aux Israélites et qui auraient été battu par ces derniers : « Et au quatorzième an, Kedorlaomer et les rois qui étaient avec lui vinrent et battirent les Rephaïm à Ashteroth-Karnaïm…» (Genèse, 14:5). Aux abords du lac de Galilée, ces Rephaïm étaient de rudes opposants aux Israélites et étaient très redoutés (Deutéronome,2:10-11). Dans certains récits, les Rephaïm étaient considérés comme des géants, à l’exemple du roi Og de Basan qui est décrit comme l’un des derniers des Rephaïm : un géant dont le lit de fer mesurait plus de 4 mètres de long (Josué, 12:4 ; 13:12). Difficile d’établir clairement qui était les Rephaïm : néanmoins, ils seraient de grandes tailles, redoutés et hanteraient la région de Basan, dont l’épicentre est le lac de Galilée. Il est assez éclairant de rappeler qu’Homo heidelbergensis était robuste, avec une stature plus imposante (taille moyenne d’1m80) que celle des Homo sapiens modernes.

Un Rephaïm persécuté dans le Musa va ‘Uj, un manuscrit irakien du XVe siècle

Enfin, la Bible mentionne clairement deux personnages ayant une pilosité abondante : Ésaü et Jean-Baptiste. Ésaü est décrit comme extrêmement velu dès sa naissance, ce qui le distingue de son frère jumeau, Jacob : « Le premier sortit entièrement roux, comme un manteau de poil ; et on lui donna le nom d’Ésaü » (Genèse, 25:25). La pilosité d’Ésaü sert à marquer sa nature chtonienne, impulsive, et opposée à celle de Jacob, plus rusé et spirituel. Cette pilosité est aussi un argument narratif exploité dans la suite du récit : Jacob se déguise en Ésaü en mettant des peaux de chèvre sur ses bras pour tromper leur père Isaac aveugle (Genèse, 27:16).

Jean-Baptiste est souvent associé à Élie, qui est décrit comme « portant un manteau de poils et une ceinture de cuir » (2 Rois, 1:8). La pilosité renvoie à l’austérité de sa vie d’ermite dans la nature sauvage.  Vêtu d’une peau de chameau, mangeant chichement des sauterelles dans le désert, il est le dernier des prophètes, qui précède la venue du Messie (Jésus-Christ).

Saint-Jean-Baptiste en ermite velu (Chapelle Saint-Jean-de-Garguier)

Au-delà de l’aspect symbolique très séduisant et abondamment commenté, la pilosité abondante de certains prophètes ne pourrait-elle pas être l’expression de gènes plus archaïques ? Le Lévitique nous rappelle à juste titre l’interdiction de mêler son sang (métissage) avec les velus car cette pratique était auparavant monnaie courante.

    Si les sources bibliques semblent aller dans ce sens, une analyse adn plus poussée devrait répondre prochainement à cet horizon d’attente. Espérons également que cette expérience humaine d’une cohabitation réussie durant 100 000 ans entre deux genres Homo sur un même site (Nesher Ramla) pourra servir d’exemple.

Le Proche-Orient
Message de paix du street-artist Banksy (Mur Israélo-Palestinien,

2 commentaires

  1. Merci Florian pour vos encouragements ! J’ai été pasionné par toutes les variations morphologiques présentes dans les fouilles archéologiques de la Palestine historique, lieu qui appartient au corridor levantin et première bande de terre permettant la sortie de l’Afrique et la dispersion en Europe et Asie.

    Hate d’entendre des nouvelles de vos pasionnantes recherches documentaires ! ;)

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