Nains allemands

Représentation du nain Perkeo

Chers lecteurs de Strange Reality, le massif schisteux rhénan, dont nous avons étudié copieusement le versant belge, abrite aussi en son sein quelques histoires de nains sur son versant allemand. Par exemple, en Westphalie, les duttens de la forêt de Minden sont tenus pour un ancien peuple païen de petite taille, qui aurait péri de façon misérable une fois les germains implantés dans cette région.

La forêt de Minden, habitat des duttens

Chers lecteurs de Strange Reality, il est grand temps de vous proposer une source capitale, un épais recueil folklorique du docteur J. A. Ernst Köhler (Sagenbuch des Erzgebirges, 1886), qui sera notre guide tout le long de cette étude et apportera des détails capitaux sur les zones géographiques où l’on rencontre ce petit peuple de l’Allemagne.

Forêt-Noire

     La Forêt-Noire, massif hercynien très érodé, abrite les nains les mieux identifiés d’Allemagne : les bergleutes, Aussi appelés Bergmännchen (« petit peuple de la montagne »), les bergleutes sont apparus pour la première fois dans le folklore germanique, mais se sont rapidement répandus dans tout le folklore d’Europe de l’Ouest.

Le massif schisteux de la Forêt-Noire, occupé par les bergleutes

Les bergleutes sont gais, généreux, pacifiques et travailleurs. Ils prennent notamment soin des animaux blessés, des vagabonds et des enfants perdus dans la forêt. On leur attribuait aussi la capacité de sauver des vies en faisant s’écrouler volontairement une galerie inexploitée avant que des hommes n’y pénètrent, évitant ainsi une catastrophe. Ainsi, au Moyen-âge, les mineurs leur offraient du pain et du sel pour s’assurer leur faveur.

Tout comme les nains de Blanche-Neige (1937) de Walt Disney, ils vivent en communauté dans de jolies chaumières forestières, situées près de la mine où ils travaillent. Leur présence est signalée principalement au  XVIème siècle, près des mines de diamant. Ces nains sont des très souvent des mineurs, et semblent liés aux minerais enfouis sous la terre. Ils peuvent en ressentir les émotions et dialoguer avec eux. La légende dit qu’un jour un bergleute nommé Nickel baptisa de son nom un minerai auquel il était très attaché.

Représentation du bergleute, nain minier allemand

Je me permets de vous livrer un conte traditionnel sur les bergleutes, Le berger et le petit homme des mines : « Un berger faisait paître ses moutons dans une clairière de l’Erzgebirge, lorsqu’un petit homme à la barbe grise sortit tout à coup d’un rocher et l’appela. L’être, qui portait une veste de cuir et un bonnet pointu, invita le berger à le suivre sous terre. D’abord hésitant, celui-ci accepta, curieux et confiant. Ils descendirent par un couloir étroit dans les entrailles de la montagne, où s’ouvrait une salle illuminée par des cristaux brillants. Le petit homme lui montra des veines d’argent et d’étain, et lui dit : « Si tu travailles honnêtement, sans cupidité, la montagne te sera généreuse. Mais si tu triches ou si tu caches ton butin, la pierre te reprendra tout. » Puis il lui donna une pierre noire et lui dit : « Quand tu frotteras ceci sur le front de quelqu’un, il verra ce que cache la terre. Mais utilise-le avec sagesse. » Le berger sortit du rocher, qui se referma aussitôt derrière lui. Il devint plus tard un riche prospecteur, mais il garda toute sa vie le secret du petit homme et de la pierre noire ».

Une compagnie de ces nains miniers allemand étaient surnommés les Walen. Signifiant « étranger », ces Walen étaient une confrérie de nains venant exploiter le sous-sol de la Forêt-Noire allemande pour le compte d’une riche confrérie de Venise, alors capitale européenne de l’orfèvrerie et de la verrerie. Cette hypothèse sur l’origine des Walen est fort probable, les nains achondroplases étant souvent employé par des compagnies minières car c’est la seule main d’œuvre (avec les enfants) à se faufiler dans les filons les plus étroits.

Quelques chroniques de la Renaissance évoqueront le passage fugace de cette confrérie de nains : « Les Walen arrivent chaque année, en petits groupes ; visages bruns, cheveux noirs, ils lavent des sables dorés et cherchent une terre rouge. Une tradition locale attribue même l’effondrement d’un beffroi en bois à leurs fouilles nocturnes afin de trouver les meilleurs filons » (Auerberg, 1768).

D’autres sources plus éparses mentionnentque deux Welen emmenèrent un enfantà Venise ; adolescent, ils le ramènentet lui apprennent la science de trouver et tirer les meilleurs filons. Un prêtre du Nordhausen, Lesser, héberge un Welen et lui demande leurs secrets. Par gratitude, le nain lui révèle que le talc (minerai) sert à faire fondre les minerais grecs dans les fours de Vénétie. Ces minerais grecs, comme la cobaltite ou l’arsénate de cuivre, servaient à pigmenter la verrerie.Les Walen laissent des signes : mains écartées, croix, cercles, parfois des moines sculptés (Mönchstein) servant de bornes qui indiquent une direction ou un outil minier. Selon les folkloristes, voici une traduction de certains de ces signes : « À ce signe, il y a du bon matériau de lavage » ; « Ici, beaucoup de grains d’or », « Ici, du marcassite », etc.

Les sources du Moyen-âge et du début de la Renaissance de l’Allemagne mentionnent l’expertise des nains pour trouver les meilleurs filons, preuve de leur spécialisation (forcée par ostracisation ?) dans les métiers de la mine. Il est piquant de constater qu’à partir du XVIIIe siècle, la notion de « filon » est peu à peu remplacée par celle de « trésor », faisant basculer la figure du nain d’expert en travail minier à gardien vigilant des trésors de la terre. Peu à peu, la figure du nain perd en incarnation et devient de plus en plus éthérée, fantastique.

Monts Métallifères et Lusace

Les Monts Métallifères, intégrés au massif de Bohème et à cheval entre l’Allemagne et la Tchéquie, regorgent de récits de nains fort intéressants car leur fondement est historique et documenté.

Les Monts Métallifères, riches en histoires sur le petit peuple

Dans les Monts Métallifères, le « Jüdel » ou « Hütchen » apparaît partout sous la forme d’un esprit enfantin. Ce dernier nom, « Hütchen » (petit chapeau), provient peut-être du chapeau rouge porté par les nains. Le Jüdel joue avec les enfants pendant leur sommeil, et la nuit, il s’amuse également avec les vaches. Si l’on souhaite garder le Jüdel comme esprit domestique, il faut lui offrir des jouets afin de l’amadouer.

Les nains construisirent l’église paroissiale de Stein dans les monts Métallifères. Ils transportaient, la nuit, les matériaux de construction depuis le bas, là où l’on projetait d’ériger l’édifice, jusqu’au sommet de la montagne. L’église devait initialement être bâtie au pied de la montagne, sur la pente de laquelle elle se dresse aujourd’hui, et une grande quantité de matériaux avait déjà été transportée à cet emplacement. Mais les nains transportèrent à plusieurs reprises, pendant la nuit, ces matériaux jusqu’au sommet de la colline, au point qu’on se décida finalement à ériger l’église là-haut. La construction avança alors à une vitesse extraordinaire : ce que les maçons et les ouvriers entamaient durant la journée était achevé la nuit suivante par le peuple industrieux des nains, au plus grand contentement du maître d’œuvre. Ainsi, en peu de temps, la voix d’airain des cloches put appeler les fidèles à la maison du Seigneur. En souvenir de leur aide, trois représentations de nains sculptées dans la pierre furent placées à l’extérieur, sur le mur sud de l’église, où elles sont encore visibles aujourd’hui.

Les nains habitaient principalement le Schwarzberg, et de nombreuses grottes s’enfonçaient profondément dans la montagne, menant à leurs salles de réunion. Ces grottes remarquables, creusées avec soin et joliment voûtées, sont encore aujourd’hui appelées dans le langage populaire les « trous des nains », et l’un de ces trous contient une cavité un peu plus vaste, au centre de laquelle se trouve un puits, dont l’eau est réputée dans toute la région.

Les petits nains qui vivaient autrefois dans ces cavernes s’y adonnaient souvent à la cuisson de petits pains. Ils y accueillirent même une fois un enfant humain, et voici comment cela se passa : « Une femme du village voisin de Leskau emmena un jour son enfant dans cette contrée boisée et sauvage. S’éloignant un instant, elle ne retrouva plus l’enfant à son retour. Elle le chercha et l’appela en vain, et dut, désespérée, rentrer chez elle sans lui. Beaucoup de temps passa, jusqu’à ce qu’un jour, tout à fait par hasard, elle retourne dans cette forêt. Une étrange intuition la poussa alors à entrer dans l’une des grottes des nains, et quel ne fut pas son émerveillement lorsqu’elle y aperçut son enfant qu’elle croyait mort – sain, en bonne santé, et même bien grandi ! L’enfant mangeait un morceau de petit pain offert par les bons nains, qui l’avaient nourri et protégé depuis le jour où, s’étant éloigné de sa mère, il avait, par curiosité, pénétré dans leur grotte.

Les habitants de Schmiedeberg connaissaient « petites femmes des bois » (Holzweibchen).
Depuis toujours, elles avaient élu domicile dans une maison où, par leur labeur nocturne, elles apportaient chance et prospérité au foyer. Mais un jour, il semble que le lieu ne leur convînt plus, car elles dirent : « On ne peut plus vivre ici : la maîtresse de maison compte les boulettes dans la marmite et les pains dans le four ».

Un jour, l’une de cesfemmes naines arriva à Langenau. Mais on ne la laissa plus repartir, et quelques personnes sans cœur l’enfermèrent même. Elle implora et supplia ardemment qu’on la libère, car elle avait un tout petit enfant chez elle, qu’elle devait nourrir et soigner – mais ses supplications furent vaines. Elle passa la nuit captive, et on l’entendait gémir et se lamenter sans cesse :

« Mon rouet ne file pas,
mon métier ne tisse pas,
mon petit garçon pleure jour et nuit ! »

Le matin venu, lorsqu’on ouvrit la porte… la petite femme était morte.

Jadis, avant que la haute région des Monts Métallifères ne soit colonisée par les Sorabes, des nains habitaient les montagnes boisées et les cavernes rocheuses. Mais ils auraient été chassés par la construction des moulins à minerai (Pochwerke), des forges. Cependant, les nains ont annoncé qu’ils reviendront : « lorsque les marteaux auront cessé de frapper ». D’après le Docteur. Joh. Aug. Ernst Köhler, « ils donnent l’impression d’un peuple opprimé et accablé, sur le point de céder leur antique patrie à de nouveaux venus plus puissants ».

La Lusace, région historique très boisée et vallonnée, est hantée par un petit peuple nommé « Ludki ». Selon Antonin Frinta, Ludki vient « du diminutif polonais ludek, signifiant le « petit peuple », c’est-à-dire les habitants primitifs de la Lusace. Peut se comparer au slovaque ludik qui signifie les nains des mines » (Antonin Frinta, « Quelques étymologies sorabes », in. Revue des Etudes Slaves, 1959). Ce sont des créatures issues du folklore sorabien, une population slave occidentale vivant principalement dans la région de la Lusace (entre l’est de l’Allemagne et l’ouest de la Pologne).

Sculpture représentant un Ludki (Sellesen, Allemagne)

Ce sont de petits êtres, semblables à des nains ou des lutins, décrits souvent comme ridés, barbus, portant des habits traditionnels anciens ou rustiques. Ils vivent sous terre, dans des collines ou parfois dans les forêts, à l’écart des humains.

Selon les anciennes croyances, les Ludkis étaient de petites créatures agréables, naïves et bienveillantes. Jadis, ils vivaient à la surface – dans des cavernes, sous les arbres ou dans des cavités, toujours dissimulés sous la terre. Ils avaient leurs foyers, cuisinaient dans des bols et pots d’argile, et confectionnaient leur propre pain. Ces derniers s’exprimaient via des phrases négatives – ainsi, dire « Nous ne voulons pas emprunter votre cuve à pain » voulait en réalité signifier « Nous en avons vraiment besoin ». Ils venaient parfois frapper à la porte des maisons pour emprunter un ustensile. Celui qui comprenait leur manière subtile de parler recevait un petit pain en retour, comme remerciement. On raconte aussi que les Ludkis aidaient les femmes du foyer en nettoyant les maisons pendant la nuit.  Avec l’implantation du christianisme en Lusace, le son strident des cloches d’église les terrifia : ne pouvant tolérer ces bruits, ils s’enfuirent sous terre – et disparurent complètement.

Le chant du cygne du nain allemand

Les légendes des Monts Métallifères (Erzgebirge) racontent que les nains furent chassés par les Sorabes de diverses sortes : en mettant de la ciboule (Lauch) dans le lait ; en installant des marteaux-pilons, des forges (Eisenhämmer) et des « Klippelwerke » (machines à battre le minerai) ; ou encore en comptant les boulettes dans la marmite et les pains dans le four. On dit pourtant qu’ils reviendront : « quand les marteaux auront cessé de frapper ».

Un récit sur le sort du dernier roi des nains est à ce titre frappant : « Autrefois, de nombreux nains habitaient une cavité souterraine à Scheibenberg, et leur roi s’appelait Oronomossan. Ils ne mesuraient pas plus de deux pieds de haut (environ 60 cm) et portaient de petites vestes et culottes très colorées. Il semblait que leur plus grand plaisir était de taquiner les gens, mais ils faisaient aussi beaucoup de bien, surtout aux pauvres et aux personnes pieuses.

Un jour d’hiver, une pauvre jeune fille de Schlettau se rendit dans la forêt située au pied du Scheibenberg pour y ramasser du bois. Là, elle rencontra un petit homme portant une couronne d’or sur la tête : c’était Oronomossan. Il salua la jeune fille et s’écria d’un ton plaintif : « Ah, chère demoiselle, prends-moi dans ton panier ! Je suis si fatigué, il neige, il fait si froid et je ne trouve pas d’abri ! Emmène-moi chez toi, je t’en supplie ! » La jeune fille ne connaissait pas ce roi des nains, mais il suppliait avec tant d’insistance qu’elle finit par le mettre dans son panier à dos et recouvrit celui-ci de son tablier pour que la neige ne tombe pas sur sa tête. Elle hissa ensuite le panier sur ses épaules et prit le chemin du retour. Mais le petit homme était aussi lourd qu’un quintal, et elle dut mobiliser toute sa force pour ne pas être écrasée sous le poids. Arrivée chez elle, haletante, elle déposa le panier et souleva le tablier pour voir le petit homme… Mais qui pourrait décrire son étonnement ? le nain avait disparu, et à sa place, dans le panier, se trouvait un gros lingot d’argent pur!

Une légende des Monts Métallifères désigne les femmes plaintives (Klageweibel) comme les épouses d’esprits de nains bannis. Comment ne pas y voir ces dernières femmes naines précédemment documentées, déchirées de douleur, tentant de survivre à leurs défunts maris ?

Au XIXe siècle, l’écho des nains sur le territoire allemand n’est alors plus que très lointain et diffus. Et pourtant, d’illustres auteurs se chargent de narrer leurs derniers exploits : les frères Grimm avec le Rumpelstilzchen (Contes de l’enfance et du foyer, 1812) et Victor Hugo avec le personnage historique de Perkeo d’Heidelberg (L’Homme qui rit, 1869).

Perkeo a vraiment existé, (né Clemens Pankert 1702-1735) il fut un nain devenu le bouffon de la cour de Charles III Philippe du Palatinat à Heidelberg. Il est devenu une mascotte non officielle de la ville et de la région de Heidelberg, et veillait sur l’imposante cave de son maître. Il était expert en dégustation de vin, allant jusqu’à boire des quantités astronomiques (trente litres par jour !), ce qui lui attribua une réputation d’ivrognerie.

Le nain Perkeo (Clémens Pankert) veillait sur les tonneaux de vin de Charles III à Heidelberg

Les Bergleutes, nains allemands précédemment cités, avaient comme Perkeo un fâcheux penchant pour l’alcool, en particulier la bière. Nous pouvons à bon droit penser que cette tendance vers l’ivrognerie du petit peuple s’expliquerait scientifiquement par un métabolisme moins habitué à synthétiser la molécule éthanol, tout comme les peuples amérindiens.

Représentation d’un Bergleutes tenant une chope de bière à la main

Chers lecteurs de Strange Reality, il n’existe pas dans l’état actuel de nos recherches de lien entre le folklore et des fossiles d’hominidés au sujet des nains allemands, contrairement aux dossiers français, italien, suisse ou encore polonais. Néanmoins, ce petit peuple entretient des relations étroites avec les artéfacts les plus archaïques, souvent datés du Néolithique.

Ainsi, les Ludkis avaient leurs foyers, cuisinaient dans des bols et pots d’argile, et confectionnaient leur propre pain. De là peut-être naquit l’idée que les urnes d’argile retrouvées enfouies n’étaient rien d’autre que des récipients des Ludkis. Les Wendes de Lusace placent les demeures de leurs nains, les Ludkis, dans les tumuli païens, dont les urnes sont, selon la croyance populaire, les ustensiles domestiques de ce peuple de nains.

Les urnes d’argile (2500 ans BP), hypothétiquement attribuées aux Ludkis

Chers lecteurs de Strange Reality, merci de nous avoir suivi le temps de cet article sur les nains allemands qui permet de compléter notre large étude européenne sur la cette question fort épineuse de l’authenticité de ce petit peuple.

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