L’Homme de Furfooz

2 crânes (mâle et femelle) découverts à Furfooz en Belgique par Edouard Dupont (Musée archéologique de la Haute-Meuse)

Chers lecteurs, depuis trois ans, l’Homme de Furfooz m’était connu seulement à travers quelques textes, et j’avais reconstruit son parcours dans l ‘article Le petit peuple belge 6. Je n’avais encore, à vrai dire, que de maigres informations sur cet Homo sapiens du Néolithique et, voulant glaner davantage d’informations, j’envoyais une série de mails à de nombreux instituts archéologiques de Belgique en début août 2025.

Sans avoir encore de réponse de leur part, je me lançais dans un voyage en territoire nuton avec mon collègue Christophe Kilian du 22 au 24 août 2025. Ce périple a été notamment l’occasion de visiter la grotte de Nichet à Fromelennes.

Tout comme à Furfooz, la grotte de Nichet a la particularité de faire coïncider deux dimensions à priori fort différentes : une strate archéologique (ossements d’Hommes de Cro-Magnon) et une strate folklorique (nutons des contes belges). Au retour de ce périple, j’ai eu une réponse positive du Musée archéologique de la Haute-Meuse : « Oui, les os décrits par Edouard Dupont existent bel et sont présents dans notre musée ! »

– Extrait d’un mail du 27 août 2025 :

Bonjour Monsieur Barrère,

Voici, en pièces jointes, les photos des cartels associés aux crânes et ossements présentés en vitrine, qui sont donc tous des moulages réalisés par l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique.

Puis-je vous demander où vous avez trouvé le terme d’ « Homme de Furfooz » ? Nous ne l’employons pas dans notre musée.

Chers lecteurs, en remerciant au préalable le Musée archéologique de la Haute-Meuse pour sa contribution, levons ensemble le voile sur les questionnements légitimes entourant l’Homme de Furfooz.

La découverte de Furfooz

Avant que l’Homme de Furfooz ne soit découvert, les savants belges cultivaient une volonté claire de donner un ancrage réaliste aux nutons, de les envisager en tant que peuples humains à part entière. Ainsi, C. A. Duvivier émet une hypothèse préceltique pour expliquer l’origine des nutons : « A leur arrivée en Belgique, les Celtes trouvèrent les bords de la mer et ceux des fleuves habités par des tribus sauvages vivant de la chasse et de la pêche, ignorant l’usage des métaux on peut appeler ces tribus les aborigènes de l’Europe » (C. A. Duvivier, « La controverse sur l’origine des wallons », Revue trimestrielle, 1856. p. 117).

Après cette première formule si frappante d’« aborigènes de l’Europe », Alfred Nicolas surenchérit l’année suivante sur l’ancienneté supposée des nutons :  « Si l’on veut absolument une explication naturelle, une autre hypothèse serait peut-être plus vraisemblable. Il est certain qu’un grand nombre de grottes de nuton ont été habitées par l’homme. Notre sol ne fut-il pas occupé, avant les temps historiques, avant la première invasion celte par une race finnoise de petite taille et de large stature, vivant sous terre, comme les Lapons ? Certains débris trouvés, notamment dans la caverne de Chauveau, près de Godinne, tendraient à le faire croire » (Alfred Nicolas, « Galerie des poètes belges », La Belgique, 1859. p. 124).

L’archéologue Edouard Dupont (1841-1911)

Les esprits savants semblent alors préparés à la découverte en 1866 par l’archéologue Edouard Dupont près du village de Furfooz d’au moins deux crânes préhistoriques en excellent état et d’autres ossements dont un os frontal, qui donna d’ailleurs son nom à la grotte fouillée : le trou du Frontal. Une autre grotte à proximité, le fameux trou des nutons, livra de nombreux ossements datés du Néolithique.

Edouard Dupont lors des fouilles du trou du Frontal à Furfooz (1866)

Ces deux crânes ont été positionné par Edouard Dupont à la fin de « l’âge du Renne », c’est-à-dire au Paléolithique final, mais des analyses plus récentes les datent de 13 000 ans B.P, donc du Néolithique. Les deux crânes exposés au Musée archéologique de la Haute-Meuse sont des moulages des crânes authentiques conservés à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique dans les collections d’« Anthropologie et Préhistoire ».

Descriptions des deux crânes 

Nous ne pouvons pas nous résoudre à reprendre in extenso les études craniologiques d’époque, qui sont très ancrées dans un système de pensée obsolète qui, s’il est intéressant en soi, nous éloigne trop du sujet. Nous nous devons de mettre notre lecteur en garde : les écrits scientifiques que nous allons aborder dans la suite de cette étude sont pour certains teintés d’un positivisme scientifique (1860-1910) qui a vu la formation de certaines « thèses racialistes » aujourd’hui battues en brèche. Dès lors, nous ne saurons que trop vous conseiller de mettre à distance critique certains discours scientifiques ici proposés en vous reportant utilement aux travaux de Christian Delacampagne (L’invention du racisme, Editions Fayard, 1983) et Sarga Moussa (L’idée de race dans les sciences humaines et la littérature (XVIIIe et XIXe s), L’Harmattan, 2003) qui recontextualisent les thèses racialistes dans leur argumentation d’origine.

Détails des deux crânes de l’Homme de Furfooz (Musée archéologique de la Haute-Meuse)

La capacité crânienne de l’Homme de Furfooz oscille entre 1350 et 1400 cm3, ce qui se situe en-dessous de la capacité crânienne de Neandertal (1500-1750) et de Cro-Magnon (1450-1700) mais dans la même fourchette que l’Homo sapiens moderne.

Ensuite, passons à la taille hypothétique des individus auxquels appartiennent ces deux crânes : d’après la méthode de calcul de la stature des os longs (méthode Dupertuis & Hadden), l’échantillon de Furfooz oscille entre 1,53 m à 1,62 m (P. Janssens, « La race de Furfooz : son âge, sa pathologie », Bull. de la Société royale belge d’Anthropologie et de Préhistoire, 73 (1963), p. 45-55). La méthode de calcul Dupertuis et Hadden (1951) ici utilisée est une formule américaine plus fiable que la méthode de calcul antérieurs de Manouvrier (1892), mais tout de même moins affinée que la méthode de calcul Trotter et Gleser (1952), qui adapte l’équation à la population de référence.

Tibia humain avec marques (Furfooz, Belgique)

Un tibia en excellent état de conservation trouvé dans le trou du Frontal est strié de marques : Edouard Dupont pense alors à des mœurs cannibales de la part de l’Homme de Furfooz, mais des analyses postérieures de l’archéologue Paul Janssens semble plutôt suggérer des traces de griffes laissées par des bêtes fauves (hyènes, gloutons) qui auraient pu forcer le caveau funéraire et s’adonner à leurs activités de charognards.

Anthropogénèse d’époque et révisions actuelles

D’abord, il semble nécessaire de revenir sur les réflexions et hypothèses du père scientifique de l’Homme de Furfooz. Nous nous permettons de vous proposer quelques extraits choisis : « Faut-il conclure de la rareté des ossements d’hommes trouvés dans les cavernes de Furfooz que ces hommes, étant soumis à une vie très rude dans un pays fort accidenté, étaient plus exposés aux chances de succomber sans pouvoir regagner leur demeure, tandis que les femmes, chargées des soins du ménage, étaient à l’abri de ces dangers et devaient dès lors être plus nombreuses ? […] Les restes de poissons sont très-rares dans ces demeures, et je n’ai pas trouvé d’instruments de pêche. Son insouciance pour la putréfaction des débris de sa nourriture, déduite du nombre de parties du squelette des animaux qu’il laissa dans son antre, ne peut guère être comparée qu’à celle des Esquimaux qui vivent aussi au milieu des restes d’animaux sans se soucier des miasmes qu’ils répandent. Ces exhalaisons et humidité de leurs habitations sont probablement les causes de la maladie des os que nous avons observée sur un individu trouvé dans le trou du Frontal. Peut-être faut-il y voir aussi les causes de la grande mortalité qui a eu lieu chez les enfants et les adolescents de la peuplade de Furfooz » (Edouard Dupont, « Étude sur l’ethnographie de l’homme de l’âge du renne dans les cavernes de la vallée de la Lesse : ses caractères ; sa race ; son industrie ; ses mœurs », in. Mémoires couronnés et autres mémoires publiés par l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. Collection in-8°. Tome 19, 1867).

Après avoir supputé la rude vie de cette communauté préhistorique, Edouard Dupont compare l’Homme de Furfooz à une peuplade autochtone qui fascinait alors les anthropologues européens du XIXe siècle : les Esquimaux. Ce parallèle est repris et approfondi dans les écrits suivants : « Voilà l’état de nos connaissances sur ces peuplades de l’âge du Renne, qu’on a appelés Mongoloïdes pour rappeler leur ressemblance avec plusieurs tribus de la race jaune. Nous avons presque constamment comparé leurs mœurs à celles des Esquimaux, et cette comparaison est tellement plausible qu’on a pu dire, avec raison, que l’âge du renne se continue encore dans les régions arctiques, non seulement par la faune mais encore par l’ethnographie » (Edouard Dupont, Les temps antéhistoriques en Belgique :l’homme pendant les âges de la pierre dans les environs de Dinant-sur-Meuse, Mucquardt et Cie, 1871).

Une année plus tard, Edouard Dupont affinera son concept d’« Homme de Furfooz » en le comparant aux Esquimaux, mais aussi aux Hommes de Cro-Magnon trouvés à Grenelle : « Les hommes de Grenelle, et surtout ceux de Furfooz, étaient de petite taille. Les premiers alignaient encore une moyenne d’1m62, mais les seconds descendaient à 1m53. C’est presque exactement la taille moyenne des Lapons. Toutefois, cette stature réduite n’excluait ni la vigueur ni l’agilité nécessaire aux populations sauvages. Les os des membres et du tronc sont robustes, et les saillies, les dépressions de leur surface, accusent un développement musculaire très prononcé. A part cette robusticité générale, supérieure à ce que l’on rencontre habituellement, les squelettes des hommes de Furfooz et de Grenelle ressemblent fort à celui des hommes d’aujourd’hui » (Edouard Dupont, « Sur les crânes de Furfooz », Compte-rendu du Congrès de Préhistoire, 1872. pp. 251-252).

Armand de Quatrefages (1810-1892), défenseur de l’unité de la race humaine

Ensuite, dix années après les travaux d’Edouard Dupont, le grand anthropologue Armand de Quatrefages (1810-1892) reprend dans ses recherches sur l’unité des races le concept d’ « Homme de Furfooz » et tend à le pérenniser dans la pensée savante de la fin du XIXe siècle : « Le Trou du Frontal, de Furfooz, a servi aux funérailles d’une tribu demi-sauvage, lorsque les grands animaux quaternaires avaient complétement disparu. A ce moment les races humaines étaient déjà bien mélangées, en Belgique comme en France. La race de Cro-Magnon, dont Engis, Engihoul, Goyet, et peut-être le Trou la Martina, de Pont-à-Lesse, avaient été les stations septentrionales, existait encore ; le crâne n° 3 du Trou du Frontal, dont nous avons parlé, semble le démontrer. Mais des races nouvelles, dont l’existence en Belgique ne s’était pas encore révélée, avaient apparu à côté de la précédente ; et, bien probablement, les deux groupes ethniques avaient contracté d’étroites alliances. Elles sont principalement représentées dans la série de Furfooz par les têtes presque complètes n° 1 et n° 2 du mémoire de M. Dupont, que nous allons décrire avec de grands détails, d’après les originaux déposés au Musée d’Histoire naturelle de Bruxelles. Les types de Furfooz, en particulier, ne se laissent guère suivre à travers les âges : on ne les trouve presque plus au-delà du bronze, sauf peut-être dans la vallée même de la Lesse, où ils semblent s’être maintenus jusqu’aujourd’hui et dans les grands cimetières parisiens où le premier a laissé quelques traces. Nous avons cru remarquer, en 1862, avec M. Lagneau, que les types quaternaires de Furfooz se maintenaient parmi les habitants de la vallée de la Lesse. L’un de nous croit avoir constaté que, dans les environs d’Anvers, les hommes et les femmes pouvant se rattacher à ces types étaient plus nombreux que dans la vallée de la Lesse. Ces deux crânes sont mésaticéphales à brachycéphales (indice crânien intermédiaire ou élevé), alors que la plupart des « races fossiles » connues (Cro-Magnon, Neandertal) étaient plutôt dolichocéphales. Il en tire l’idée d’une race fossile nouvelle, propre à la vallée de la Lesse, qu’il baptise « race de Furfooz » (Armand de Quatrefages, « Les crânes des races humaines : décrits et figurés d’après les collections du Muséum d’histoire naturelle de Paris, de la Société d’anthropologie de Paris et les principales collections de la France et de l’étranger », 1882).

Enfin, l’Homme de Furfooz a fait l’objet de révisions plus récentes qui affinent et parfois modèrent les sources d’origine. Ainsi, les analyses adn les plus récentes sur les os humains du trou du Frontal semblent proposer une datation très récente entre 4000 et 3000 ans BP, ce qui ferait de l’Homme de Furfooz un habitant de la Basse-Antiquité (Meiklejohn, C.; Miller, R.; Toussaint, M. (2014) – « Radiocarbon dating of Mesolithic human remains in Belgium and Luxembourg », Mesolithic Miscellany 22).

Le terme de « race » pour désigner l’Homme de Furfooz, utilisé notamment par Edouard Dupont et Armand de Quatrefages, semble désormais extrêmement daté et invalide : l’usage moderne préfère parler de populations néolithiques régionales et de variabilité locale. Le concept de race semble très ancré dans le débat savant du XIXe siècle et l’Homme de Furfooz serait davantage une variabilité régionale de l’Homme de Cro-Magnon.

L’Homme de Furfooz a ainsi marqué durablement le monde savant belge du XIXe siècle et il semble intéressant de le comparer à d’autres formes Homo sapiens du Néolithique :

Fossile humainDatation approximativeCapacité crânienne (cm³)Taille adulte moyenne
Neandertal-400 000 à -40 000 ans1 500 – 1 7501,65 m (♂) – 1,55 m (♀)
Cro-Magnon~30 000 – 25 000 ans1 450 – 1 700 (moy. ~1 600)1,70 – 1,85 m
Grimaldi~25 000 – 22 000 ans1 350 – 1 4001,60 – 1,65 m
Chancelade~17 000 – 15 000 ans~1 4501,60 – 1,65 m
Furfooz~13 000 ans1 350 – 1 4001,55 – 1,60 m
Pygmées suisses (Schaffhouse)~ 5 000 ans~1 2001,40 m
Homo sapiens modernePrésent (~300 000 ans à aujourd’hui)~1 3501,75 m (♂) – 1,62 m (♀)

En termes de capacité crânienne, Cro-Magnon et Neandertal dépassaient largement la moyenne de l’Homo sapiens moderne (1350), tandis que les formes plus tardives du Paléolithique supérieur (Grimaldi, Chancelade, Furfooz) sont déjà dans la norme actuelle. Les fameux Pygmées suisses ont, quant à eux, une capacité crânienne très en-dessous de toutes les autres formes Homo sapiens.

En termes de tailles, sur une courte période géologique de 20 000 ans (25 000 ans à 5000 ans B.P), les Homo sapiens de grande taille (Cro-Magnon, homme moderne) semblent avoir cohabités avec des Homo sapiens de plus petite taille (Grimaldi, Chancelade, Furfooz, Pygmées suisses) en France, Suisse et Belgique.

Chers lecteurs, l’explication naturelle au petit peuple belge du folklore se résumerait-il à l’Homme de Cro-Magnon qui aurait acquis par convergence évolutive une plus petite taille ? Les ossements néolithiques de l’Homme de Furfooz sont alors décisifs car ils semblent aller dans cette direction du nanisme adaptatif, même si des analyses adn et ostéologiques supplémentaires sont nécessaires afin de pouvoir confirmer ou infirmer cette hypothèse.

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