Les ailes brisées de l’Homo sapiens almas
Byambin Rinchen (1905-1977) en compagnie de son épouse
Byambin Rinchen, dont nous avons vu ensemble les débuts prometteurs sur la piste de l’almas, a été à la source au début des années soixante de la découverte exceptionnelle de deux crânes humanoïdes. La communauté scientifique a-t-elle reçu favorablement les ambitieuses recherches de Rinchen ? Les cryptozoologues, ses propres camarades de recherches (Boris Porchnev, Bernard Heuvelmans, Ivan T. Sanderson), ont-ils porté attention à ses travaux de terrain ?
Nous nous pencherons, pour cette nouvelle enquête de fond, sur la fortune de ces deux crânes durant les années 1960, s’aidant en cela des travaux inestimables de Michael Heaney (Cryptozoologie n°2, 1983) et de Pierre Lagrange (Kraken n°2, 2009) dans ce domaine.
Une correspondance épistolaire enthousiaste
Rinchen, dépositaire des archives de son maître à penser Jamtsarano et instigateur de ses propres recherches de terrain, rentre peu à peu en contact avec les grands cryptozoologues des années 1950. La première rencontre adviendra avec Boris Porchnev (1905-1972).
Le savant russe a eu son attention attirée par un enfant sur un récit d’aventure réédité par M. K. Rosenfeld, Le Défilé des almas (1936), qui évoque des hommes sauvages, des almas, et y associe les noms de Jamtsarano et Baradyine, deux académiciens mongols. Porchnev découvre bientôt un autre récit, authentique celui-ci, En auto à travers la Mongolie (1931) du même Rosenfeld qui confirme que l’histoire de l’almas n’est pas une simple fiction. Apprenant que Jamtsarano a bien existé mais qu’il est décédé depuis des années, Porchnev découvre qu’un de ses disciples, Rinchen, est toujours vivant. Il lui écrit et reçoit quelques temps plus tard une réponse. Voici comment Porchnev décrit Rinchen lors de leur première rencontre : « Rinchen est aujourd’hui un magnifique vieillard, aux énormes moustaches pendantes à la Mongole, toujours vêtu de la chatoyante robe nationale. Grand érudit, il a assimilé diverses cultures occidentales, ainsi que les cultures russes et mongoles, et il est considéré comme un orientaliste de tout premier plan. Malgré ses activités multiples et le large éventail de ses préoccupations, il a toujours trouvé le temps et la force de s’occuper des almas, depuis 1958 jusqu’à nos jours » (La lutte pour les troglodytes, Revue Prostor, 1967).

Au début des années 1960, à l’initiative du sociologue italien Corrado Gini à Rome, un comité international est mis en place pour l’étude des hommes sauvages où siègent évidemment Bernard Heuvelmans, Boris Porchnev et Ivan T. Sanderson. Rinchen est invité à rejoindre ce comité et fait ainsi la connaissance de ses deux pairs occidentaux, Bernard Heuvelmans et Ivan T. Sanderson. Ainsi, la découverte du crâne de Bulgan (Damdin, 1962) et du crâne de Gobi (Tsoodol, 1963) fait l’objet d’une correspondance enthousiaste de Rinchen à l’adresse de ses deux collègues occidentaux.
lettre du Professeur Y. Rinchen, Oulan-Bator, 12 septembre 1963 à l’adresse du professeur Ivan T. Sanderson
Cher collègue, je m’empresse de vous informer des dernières trouvailles concernant notre almas ou « Kumun-gorugesun », c’est-à-dire l’homme-bête. A la fin de l’année passée, j’avais mandaté un employé de notre Musée (ndlr : Damdin ) aux lieux d’habitation de cette créature inconnue de la science mais très ordinaire aux yeux des locaux et des chasseurs. Il trouva rapidement des chasseurs et éleveurs de bétail dans le département de Khovd qui avaient eu des rencontres avec les almas. Il y a 9 ans, un employé de la station expérimentale de fruits et légumes (ndlr : Choija) se trouva face au cadavre d’un grand almas velu à moitié enseveli dans les sables d’un ravin. Cette découverte fut pour le personnel de la station une chose tout à fait ordinaire, comme pour un citadin la trouvaille d’une ruche morte au fond de son jardin.
Récemment, cet ouvrier de la station expérimentale a trouvé le ravin en question et le crâne de l’almas mort. Maintenant, un jeune zoologue a été envoyé pour récupérer les restes de l’almas et pour les apporter à Oulan-Bator. Selon la description orale du directeur de la station, le crâne est similaire à celui de l’homme, mais plus grand, avec une partie occipitale un peu plus longue. La partie frontale est aussi plus plate. J’avais informé par voie postale le docteur Bernard Heuvelmans de cette nouvelle, mais la poste française a retourné ma lettre en m’indiquant que monsieur Heuvelmans n’habite plus à cette adresse. A la fin de la semaine, j’entreprends un voyage à Budapest et après mon retour, en novembre, je vous informerai des dernières retombées.

lettre du Professeur Y. Rinchen, Oulan-Bator, 12 décembre 1963 à l’adresse du professeur Bernard Heuvelmans
Cher savant, revenant avant-hier de mon voyage, je trouvais chez moi deux de vos lettres et je me dépêche donc de vous répondre. Avant mon départ pour la Hongrie, j’avais reçu ma lettre retournée avec l’indication de la poste parisienne que vous n’habitiez plus rue Saint-André-des-Arts. Les timbres postes étaient fort jolis et pour vous donner le plaisir de les avoir je remettais l’enveloppe dans une autre en oubliant que les perlustrateurs utilisaient une colle forte et démodée et qu’ils ne pouvaient pas gratter pour la seconde fois sans gâter l’enveloppe-martyre. Et vous avez reçu avec leurs manipulations maladroites l’enveloppe externe vide ! Dans la lettre ainsi soustraite je vous écrivais les mêmes données que dans ma lettre à Mr Sanderson de sorte que vous savez maintenant son contenu.
Le crâne en question est actuellement à Oulan-Bator et vous pouvez l’étudier et l’examiner à votre gré ! Hier, j’ai pu le voir et constater qu’il appartenait à une créature très proche de l’Homo sapiens. Mais il y a aussi quelques particularités très intéressantes pour les anthropologues.
On dit aussi qu’une bergère avait vu en juillet passé dans la même région un almas à une distance de trente mètres et un employé de nos institutions académiques (ndlr : Damdin) fut envoyé pour rechercher la trace de ces individus dans les Montagnes Rouges des Almas (« Almas-Almas-Unalaran ») et nous attendons des informations nouvelles de cette région.
Je viens de télégraphier la nouvelle du crâne au professeur Prochnev de Moscou. Informez, je vous prie, Mr Sanderson que nous avons le crâne de cette créature inconnue à disposition des savants. J’ai aussi à ma disposition la photographie d’un crâne trouvé dans une grotte qui apparemment était fréquentée par les almas ! (ndlr : crâne de Gobi, Tsoodol, 1963).
lettre du Professeur Y. Rinchen, Oulan-Bator, 16 février 1964 à l’adresse du professeur Bernard Heuvelmans
Cher collègue, vous trouverez dans cette enveloppe six photos de deux crânes d’almas, dont le premier a été trouvé dans une vallée non loin des Montagnes Rouges des Almas (« Almas-Almas-Unalaran »), dans le district de Bulgan dans la province de Khovd en Mongolie occidentale. Les quatre photographies effectuées sur le site de la trouvaille vous représenteront ce crâne, maintenant brisé par des travailleurs de notre Institut de Biologie. Le photographe amateur (nldr : Choija), directeur de la station de fruits et légumes de notre Académie à Bulgan, ayant examiné le site, fit des photographies de façon peu heureuse de sorte que je ne peux vous envoyer que les meilleures. Nous priâmes l’anthropologue russe Mr Gurassimoff de reconstruire la tête de l’almas en question car le crâne a été brisé par ce maudit bipède non velu de l’Institut.
Deux autres photographies représentent le crâne d’un supposé almas trouvé dans un tumulus où il y a encore soixante ans vivaient des almas. Ces mamelons se trouvent dans la région de Gobi dans la province Obour-khangai. Selon la description de Mr Tsoodol, ce serait de petites cavernes artificielles qui seraient tombées en ruines. Le dessin d’une de ces cavernes par Mr Tsoodol est maintenant chez le professeur Corrado Gini.
Notre collègue soviétique Boris Porchnev a publié quelques informations sur ces tumulus des almas. J’ai à ma disposition deux cheveux de la tête de l’almas, trouvés non loin du crâne de Bulgan. Je pourrai vous envoyer ces cheveux pour une analyse complémentaire.
Professeur Y. Rinchen, Oulan-Bator, 21 février 1966, à l’adresse du professeur Bernard Heuvelmans
Cher savant, aujourd’hui nous sommes le jour de l’An du Cheval Rouge selon le calendrier mongol lunaire et je me permets de vous exprimer mes vœux les plus sincères de santé, de bonheur immaculé, de prospérité et de feu sacré dans votre travail scientifique !
Le crâne de Bulgan est maintenant à Varsovie dans le laboratoire de l’anthropologue polonais Mr Wienczislaw Plawinski qui l’étudie très attentivement et qui en fait la reconstruction plastique. Il m’a écrit que dans deux ou trois mois son travail serait achevé. L’adresse de ce professeur polonais est : Mr Wienczislaw Plawinski, 01, rue Hibner, Varsovie, Pologne.
A l’automne passé, j’ai visité à nouveau la région d’habitation de ces hominoïdes en guidant l’expédition ethnologique et linguistique de notre Académie des sciences et l’on informa que pendant les dix premiers mois de 1965 une dizaine d’hommes et de femmes avaient rencontré dans les steppes montagneuses et dans les plus basses vallées ces êtres velus. On en a photographié l’empreinte du pied et noté les témoignages oculaires.
Récemment, Mr Tchoultoumsouroun, étudiant de l’université à Oulan-Bator m’a fait savoir un fait très intéressant : dans son enfance, il a vu chez un moine parent de sa mère le poil rougeâtre plein de lentes que le moine conservait dans son bréviaire comme le poil du génie de terre que son oncle avait arraché lui-même de la poitrine d’un almas.
Nous connaissons désormais la zone d’habitation des almas, nous avons à notre disposition les rapports de témoins oculaires du début du siècle jusqu’à 1964, la photographie d’une empreinte de pied de cet être par l’administration locale, le rapport officiel contenant la description de rencontre inattendue des habitants de ce lieu avec l’être velu et bipède dont on a prélevé l’empreinte et les excréments qu’on suppose appartenir à cet être et qui contient des restes d’os d’un petit animal quadrupède, des poils, des graines et des tiges de plantes mâchées.
Je vous prie d’informer sur ces faits notre ami Ivan T. Sanderson : je suis surchargé par mon travail et il me faut répondre aux lettres négligées durant mon absence. Qui est maintenant, après la mort de Mr Corrado Gini, le président du Comité International pour l’étude des humanoïdes velus ?
Le scepticisme des trois grands

L’engouement de Rinchen pour les deux crânes mongols exhumés par son équipe est-il partagé par ses collègues occidentaux ? Rien n’est moins sûr… Déjà, Richen, au début des années 1960, n’est plus en odeur de sainteté dans la communauté cryptozoologique : Ivan T. Sanderson émet très tôt un « warning » sur les recherches du savant. En effet, Rinchen était « blacklisté » par les autorités communistes mongoles et catalogué comme « nationaliste bourgeois » pour ses activités artistiques (notamment son best-seller Zan Zaaludai), l’usage non autorisé des archives de son maître à penser Jamtsarano, lui aussi considéré comme un dissident du régime, n’arrangeant guère les choses… C’est dans ce contexte de guerre froide larvée et de méfiance des vieux renards de la cryptozoologie (Porchnev, Heuvelmans, Sanderson) à son égard que Rinchen annonce sa découverte prodigieuse au début des années 1960.
Dans une lettre adressée à Heuvelmans, Sanderson manifeste un certain scepticisme par rapport à l’intérêt de la découverte du crâne d’un almas évoqué par Rinchen (crâne de Bulgan), mais il recommande à Heuvelmans d’essayer d’en savoir plus car si la découverte s’avérait sérieuse, elle pourrait tout bouleverser. Heuvelmans saisit l’intérêt potentiel de l’affaire et écrit à Porchnev pour tenter d’en savoir plus sur la découverte annoncée par Rinchen, mais l’historien soviétique ne prend pas connaissance de la lettre à sa réception. Le 15 novembre 1963, Porchnev répond à cette lettre de Bernard Heuvelmans : « Après mon retour de vacances, je ne suis pas allé depuis quelques temps à l’Institut d’Anthropologie et je viens juste de recevoir votre lettre expresse concernant notre collègue de Mongolie l’académicien Dr Rinchen et sa trouvaille unique. Je vous réponds en tout hâte. Le savant mongol n’a pas fait le séjour à Moscou allant de Budapest à Oulan-Bator comme il m’a annoncé en octobre, et je ne sais pas même où il est en ce moment. J’étais ému aussi bien que vous par ces nouvelles et comme vous j’éprouve dans ce cas un grand optimisme. Quant à vos propositions, je suis entièrement d’accord qu’il ne faut en parler à personne avant que nous ayons une certitude absolue qu’il s’agit bien d’un être inférieur à l’Homo sapiens, également par « le pacte des quatre » (Heuvelmans, Sanderson, Prochnev, Rinchen) nous obligeant à ne rendre la chose publique dans nos pays respectifs (par la presse) que simultanément le même jour au moment choisi par le Dr Rinchen. Comme vous, je rêve d’arriver à Oulan-Bator pour examiner sur place le squelette mais je ne suis pas sûr que ce sera possible pour moi sans une invitation officielle de l’Académie de la République Populaire de la Mongolie ».
Rinchen répond le 12 décembre 1963 à la lettre de Bernard Heuvelmans annonçant l’arrivée de son enveloppe vide en lui joignant une copie d’un courrier adressé au même moment à Ivan T. Sanderson. Dans cette lettre, et dans celle perdue par la poste mongole, Rinchen annonce la nouvelle sensationnelle de la découverte du crâne d’un almas dont le squelette a été retrouvé dans le désert. Rinchen envoie un collaborateur sur place pour récupérer le crâne de l’almas.
Dans la copie d’une lettre adressée par Rinchen à Sanderson et datée du 3 février 1964, Rinchen donne des détails : « Malheureusement, un des travailleurs de l’Institut Zoologique a cassé l’unique crâne, mais j’ai encore les photographies de ce crâne et du site de la découverte prises par le directeur de la station botanique de notre académie ».
Il évoque également la découverte d’un second crâne dans les collines de l’almas. Il conclut : « que notre almas appartient à une sous-espèce de l’Homo sapiens. Et je propose de le nommer Homo sapiens almas ».
Le 16 février 1964, Rinchen adresse à Heuvelmans les photos des crânes de deux almas, celui de Khovd (crâne de Bulgan) et le deuxième crâne (crâne de Gobi). Il évoque aussi le fait que, lors de manipulations, le premier crâne a été « brisé par un des travailleurs de notre Institut de biologie », « ce maudit bipède non velu » de l’Institut comme il le qualifie quelques lignes plus bas. Il annonce aussi qu’il compte envoyer le crâne de l’amas de Khovd (crâne de Bulgan). Dans une lettre du 22 mars 1964, Porchnev remarque : « vous connaissez le malheur arrivé à notre collègue Rinchen : son crâne d’almas rapport de Khovd est mis en pièces… ».


Il semble clair qu’au vu des photographies envoyées par Rinchen, Heuvelmans s’est fait une opinion précise de l’identité de l’almas de Khovd (crâne de Bulgan). Le point de vue de Bernard Heuvelmans ne va pas tarder à être partagé par Porchnev. Le 26 mai 1964, Porchnev apporte des nouvelles décevantes : « J’estime nécessaire de vous informer en toute urgence que l’Académicien Rinchen, de Mongolie, sur ma demande, a envoyé à l’Institut d’Anthropologie de l’Université de Moscou les débris du fameux crâne de Khovd (crâne de Bulgan), ainsi que cinq clichés pris sur place, à l’endroit de la trouvaille, sous différents angles. Tous les grands anthropologistes de Moscou sont unanimes dans leur diagnostic : il s’agit d’un Homo sapiens, jeune fille d’environ 20 ans, de type mongol. J’ai télégraphié ces résultats à notre ami Rinchen, avec la prière de s’abstenir de tout bruit autour de cette trouvaille, mais hélas, il a répondu à moi et à l’Institut d’Anthropologie en affirmant avec ténacité que le crâne appartient au cadavre de l’almas remarqué il y a 11 ans, et en déduisant de cette théorie que l’almas n’est rien d’autre qu’une sous-espèce de l’Homo sapiens. Etant donné que la photographie de ce crâne est déjà publiée, entre autres, en Pologne, j’estime qu’il serait utile que vous publiiez une explication sur l’erreur d’identification de ce crâne avec l’objet biologique de nos recherches ».
Apparemment, Rinchen n’a pas renoncé à associer le crâne de Bulgan à l’almas. Face au scepticisme de Porchnev, il semble qu’il ait cherché une autre issue pour obtenir une expertise qui soit favorable à ses conclusions. Le 21 février 1966, Rinchen annonce que « notre trouvaille », le crâne de l’almas de Bulgan « est maintenant à Varsovie dans le laboratoire d’un anthropologue polonais, Mr Wiencislaw Plawinski, qui l’étudie très attentivement pour en faire la reconstruction plastique ». Rinchen s’enquiert aussi des suites du comité fondé par Corrado Gini depuis sa mort.

Du coté de Porchnev, l’histoire de ces deux crânes, et donc de l’Homo sapiens almas, semble bel et bien enterrée. Mais la collaboration entre sa commission et Rinchen ne cesse pas pour autant. Le 4 janvier 1968, Porchnev écrit à Heuvelmans que les recherches de Marie-Jeanne Koffmann dans le Caucase ne progressent pas beaucoup mais que « par contre, nous avons reçu de Mongolie une collection complète d’interrogatoires recueillis ces dernières années ». C’est la dernière mention des travaux réalisés par Rinchen dans la correspondance avec Porchnev.
La correspondance entre Rinchen et Heuvelmans connaît semble-t-il (à moins que des courriers aient été classés ailleurs que dans la correspondance) une longue interruption jusqu’en 1973. Le 6 août 1973, Rinchen adresse un courrier manuscrit à Heuvelmans en réponse à une lettre de sa part. Heuvelmans avait semble-t-il écrit à Rinchen après la mort de Boris Porchnev pour lui demander des renseignements sur les termes mongols évoqués dans l’ouvrage de l’historien soviétique dont il préparait la publication. On découvre dans ce courrier que Rinchen n’a pas renoncé à interpréter le crâne de Khovd (crâne de Bulgan) comme étant celui d’un almas. Il donne des détails sur ce crâne : « Mr Plawintsky, l’anthropologue polonais, a à sa disposition toutes les informations concernant la trouvaille du cadavre de l’almas dont le crâne a été étudié pour une reconstruction faciale. Le crâne est maintenant conservé dans notre musée central à Oulan-Bator, mais la reconstruction faite par le professeur se trouve il y a plus de cinq ans dans l’entrepôt de notre ambassade à Varsovie, car pour nos zoologues et anthropologues officiels la négation de l’existence des almas par Mr Mourzaiev, zoologue et ennemi de Porchnev, vaut autant que le commandement de l’Etre suprême et il m’a coûté beaucoup d’efforts d’envoyer un chercheur enthousiaste (Mr Ravdjir) sur les traces de l’almas dans la région du lac Tolbo-Nour ».
La correspondance entre Porchnev et Heuvelmans, et celle entre Sanderson et Heuvelmans, se révèlent importantes pour comprendre une partie de l’histoire de ces crânes. Porchnev avait montré le crâne en morceaux de l’almas de Khovd à « Tous les grands anthropologistes de Moscou » parmi lesquels se trouvait sans doute Gerasimov. Ils ont conclu que le crâne était celui d’une jeune mongole.
Pour Porchnev, persuadé que l’almas est un néandertalien, l’affaire s’arrête là. Mais Rinchen semble-t-il ne l’entend pas de cette oreille et confie alors les restes à Plawintsky. Sanderson partage l’avis d’Heuvelmans et Porchnev : ces crânes n’ont rien à voir avec l’hominoïde relique qu’ils cherchent activement. Lorsque Rinchen publie un article sur ses recherches dans la revue Genus, il semble que Corrado Gini se range aussi à leur avis car il omettra de reproduire les photographies des crânes que Rinchen lui avait pourtant envoyés.
Ivan T. Sanderson et Boris Porchnev sont restés incrédules face à la découverte majeure de Rinchen car ils étaient obnubilés par deux pistes hominologiques bien trop écartées de celle explorée par leur homologue mongol : d’une part, Boris Porchnev ne jurait que par le paléanthropien relique (Homo troglodytes) ; d’autre part, Ivan T. Sanderson, conforté par le dossier du Sasquatch, creusait vers la direction très simienne du primate bipède (l’Anthropoides ameriborealis pérennisé par les recherches de Jeff Meldrum).


Quant à Bernard Heuvelmans, la star incontestée de la cryptozoologie en Europe, sa position scientifique dans les années 1960 restait très arcboutée sur un hypothétique gigantopithèque relique (Dinanthropoides nivalis, 1958). Personne ne s’écoutait, chacun étant obsédé par sa vision socio-biologique de « l’homme sauvage ».
Conclusion
Cette histoire de crânes illustre l’un des problèmes majeurs de la cryptozoologie, à savoir le fait que lorsqu’un cryptozoologue pense avoir fait une découverte scientifique majeure, il est souvent durement critiqué par ses propres pairs cryptozoologues, illustrant la rigueur des débats mais expliquant aussi la difficulté à produire le moindre fait positif dans ce domaine. Cette mise à l’index des « deux crânes de Richen » par les trois “cadors” de la cryptozoologie (Boris Porchnev, Bernard Heuvelmans, Ivan T. Sanderson) est tout à fait déplorable car l’effort collectif de la recherche est phagocyté par la vaine célébrité de chacun pour faire valoir son protégé, sa propre théorie. C’est en cela peut être, que la cryptozoologie se rapproche au plus près des pratiques en cours dans les sciences académiques !
En substance, Boris Porchnev était aveuglé par la promotion de son Homo troglodytes (1967), Bernard Heuvelmans par la consécration de son Dinanthropoides nivalis (1958) et Ivan T. Sanderson par les recherches sur son primate bipède au point de ne pouvoir aider leur collègue Byambin Rinchen à entreprendre l’authentification de son Homo sapiens almas (1963), en dépit de lourdes preuves ostéologiques (crâne de Bulgan et crâne de Gobi).
Rassurez-vous cher lecteur, le match n ‘est pas fini, Byambin Rinchen, méprisé par ses pairs, verra toute sa crédibilité scientifique retrouvée dans un prochain article !