
Chers lecteurs de Strange Reality, afin de prolonger notre réflexion sur le dossier passionnant des Sirènes, je vous invite à faire un point sur un dossier estrange et digne d’émerveillement de la Renaissance : l’Evêque des mers. Ces curieux cas de figures épiscopales marines, qu’elles soient Moine ou Evêque, qu’importe la mitre, je les ai croisées lors de la rédaction de mon livre sur l’histoire du calmar géant.
L’histoire naturelle naît véritablement à la Renaissance. Entre 1530 et 1590, elle devient une activité respectée, codifiée, son champ d’expertise reconnu par la société. « Depuis les années 1560, les collections d’objets curieux, jusqu’alors mélangés à des objets religieux ou artistiques, prennent une place autonome dans les maisons. Aux côtés de ces collections, des outils scientifiques sont conçus et diffusés dans toute l’Europe. Ce mouvement est servi par une activité éditoriale dynamique : ses caractéristiques principales se fixent alors et deviennent presque inchangées jusqu’à nos jours » (Valérie Chansigaud, Histoire de l’illustration naturaliste, Editions Delachaux et Niestlé, Paris, 2009).
Grâce aux avancées éditoriales de l’imprimerie, on fait paraître dès le milieu du XVIe siècle des catalogues, souvent illustrés, recensant les richesses accumulées. La notion d’inventaire ne doit pas occulter que certains savants recherchent un véritable souci de véracité scientifique. Alors que les cornes de licorne des cabinets de curiosité suscitent d’interminables débats, on trouve dans le catalogue du cabinet d’Ole Worm, Museum Wormanium, seu historia rerum raroirum (1655), des illustrations démontrant l’origine animale et marine de ces cornes auxquelles on attribuait des vertus extraordinaires (en réalité des défenses de Narval).

Dans ces recueils d’histoire naturelle emprunts de « positivisme », comment alors expliquer les images de monstres que l’on y retrouve parfois ? A partir du XVIe siècle en Europe, toute une manne de témoignages relatifs à l’échouage accidentel d’animaux tend à « humaniser » ces nouveaux venus sur les rivages marins, sur le territoire des hommes. Cette touche d’humanisation s’inscrit dans un mouvement philosophique à la fois plus ample et plus noble que notre simple étude esthétique et scientifique sur la question, celui de la conquête et de la « laïcisation » du rivage européen – et plus particulièrement italien, hollandais et espagnol – par les hommes du XVIe siècle ; vaste mouvement de réappropriation qui se joue d’une certaine humanisation du rivage, de la mer et de ces animaux : « Le voyage de Hollande a préparé en Occident la montée de l’admiration pour le spectacle de l’océan et le désir de la promenade sur ses rivages. Pour un touriste de l’époque classique, le pays s’identifie à la mer » (Alain Corbin, Le territoire du vide, Editions Flammarion, 1988, Paris).
Le vaste Océan, dont on esquisse avec peine les contours au XVIe siècle, n’a pour son étude que deux spécialistes français à la Renaissance : Pierre Belon et Guillaume Rondelet. Ce dernier, professeur de médecine à l’Université de Montpellier, doit être considéré comme le fondateur de la biologie marine, car il s’attache à la fois à l’écologie des espèces (facteur externe) et à la morphologie de l’animal (facteur interne). Il publie en 1558 un ouvrage complet en langue vulgaire, consacré à la faune marine : Histoire entière des poissons.

Sous le terme de poissons, qui a son équivalent « Cetus » en langue latine, Guillaume Rondelet englobe, comme le faisaient les savants avant lui, tous les animaux aquatiques, sans distinguer clairement les poissons des mammifères marins (cétacés, pinnipèdes et siréniens), mais aussi des mollusques (seiches, poulpes et calmars).
En ce sens, le premier des calmars géants échoués, sur une grève aux Pays-Bas, fera l’objet d’une mention particulière dans Histoire entière des poissons, sous le terme de « Moine des mers », figure extravagante mi-homme mi-poisson dont Guillaume Rondelet lui-même ne semble pas dupe : « Je présente l’image du monstre tout à fait à la façon dont je l’ai reçue. Que ce soit vrai ou pas, je ne l’affirme pas ni le dénie ».

La représentation du « Moine des mers » est destinée uniquement à l’ouvrage en langue vulgaire Histoire entière des poissons. De piscibus historium, la version latine, plus érudite, a été publiée sans l’ajout fantaisiste du « Moine des Mers » en 1556, soit deux années auparavant. Ce distinguo entre les deux versions d’un même texte peut paraître arbitraire, mais il n’en est rien : les illustrations au Moyen-Âge tardif sont une nouvelle fois des reprises « littérales » du texte, et non des essais de description totalement indépendants de l’écrit. Le « Moine des mers », avec son crâne tonsuré, sa buire et sa jolie cotte de maille serrée, achoppe pourtant à donner une image crédible d’un animal marin.
Gilbert Lascault, grand philosophe du XXe siècle, qui a repris l’exemple du « Moine des mers » dans sa classification du monstrueux, rappelle avec lucidité le problème esthétique de ces figures marines nommées avant d’être identifiées. Etudier un animal dont on ne connaît pas les composantes anatomiques, cela revient à « déréaliser » l’objet initialement perçu. Gilbert Lascault parlera en ce sens du « monstrueux comme imitation d’une réalité mal perçue » (Le monstre dans l’art occidental, Editions Klincksieck, 2004, Paris. p. 64), entorse perceptive omniprésente dans les Bestiaires, almanachs et autres traités de sciences naturelles du Moyen-Âge. Dans cette optique, toutes les pistes zoologiques butent sur une figure monstrueuse dont on ne peut que difficilement démêler le vrai du faux, le mythique du scientifique.
Les ouvrages naturalistes de la Renaissance présentent des « archaïsmes », mais loin de constituer des blocages psychiques, ils semblent plutôt s’intégrer à la culture savante et érudite. Ce vacillement constant entre un folklore ancré et une science en tâtonnement constitue l’ossature des sommes encyclopédiques du XVIe siècle, et Guillaume Rondelet n’hésitait pas dans Histoire entière des poissons à décrire avec précision le mode de vie des Néréides, des hommes et femmes poissons déjà présents dans la mythologie grecque !
Extrait de son contexte historique où règnent sans discernement la science et le mythe, le « Moine des mers » peut susciter une tentative de réhabilitation zoologique ; opération de salubrité scientifique dont ne se privera pas le professeur Steenstrup, le savant danois qui a classé le calmar géant du genre Architeuthis dux, et qui rapproche naturellement en 1855 la figure épiscopale de la silhouette de son protégé.

De prime abord, les intuitions comparatives du professeur Steenstrup semblent fondées : oui, la bure du « Moine des mers » se finit en frisottis, et simule à merveille les dix tentacules du calmar géant ; oui, les deux bras écornés et écailleux font de très admissibles nageoires dorsales ; jusqu’à la tête tonsurée, qui pourrait faire à la limite penser à la finition encornée du manteau d’un calmar géant. Le rattachement du « Moine des mers » à un calmar géant paraît bien judicieux, et reste en tout cas une hypothèse plus heureuse que celle proposée par Patrick Geistdoerfer, étudiant la même figure animale, mais proposant une autre alternative : « Ce poisson-évêque aurait été pêché dans les eaux norvégiennes, caractérisées par leur grande profondeur ; les pêcheurs y capturent, entre autres, des poissons de la famille profonde des Mascouridés, commercialisés sous le nom de grenadiers, dont le museau allongé peut aussi bien évoquer la coiffure de ce militaire que la mitre épiscopale » (« Comment naissent les monstres ? », in. La mer, terreur et fascination, BNF Editions, 2005. p. 12).
Si la tentative de classification de Steenstrup paraît de loin la plus heureuse – nous pouvons apprécier la parfaite symétrie des physionomies pour s’en convaincre ! – elle n’en fait pas moins complètement abstraction du texte qui appuie l’illustration dans l’œuvre de Guillaume Rondelet, et que nous livrons ici in extenso : « De nostre tems, en Nortvège, on a pris un monstre de mer après une grande tourmente, lequel, tous ceux qui le virent lui donnèrent le nom de Moine. Car il avoit la face d’home, mais rustique et malgratieuse, la teste rase et lize. Sur les épaules come un capuchon de Moine, deux longues pines au lieu de bras, le bout du corps finissant en une queue large. La partie moyenne était beaucoup plus large et avoit les formes d’une casaque militaire ».
La parfaite description anatomique et comportementale de cet animal – rigueur qui est aussi l’une des plus grandes qualités de la plume de Guillaume Rondelet – permet de se rendre à l’évidence : celui qui est décrit sous le nom de « Moine des mers » dans Histoire entière des poissons n’est pas un calmar géant. De plus, une source plus ancienne relatant le même incident, la Danmarks Riges Kronike (Avild Hvitfelds, 1595), rappelle que « le poisson monstrueux et admirable de la figure d’un moine » avait tiré des cris déchirants lorsqu’on l’avait poussé hors de l’eau. Or le calmar géant ne peut crier, mugir ou aboyer ; son siphon ne faisant au mieux qu’un vague bruit de moteur en sourdine. Alors, comment retrouver la véritable identité zoologique du Moine des mers ? En procédant, tout simplement, à une lecture serrée du texte : on se rend alors compte, très vite, que cette figure monstrueuse n’est autre qu’un paisible morse.

Le texte dit « la face d’home, mais rustique et malgratieuse, la teste rase et lize » ; là où la tête du morse pourrait faire penser à celle d’un vieil homme fripé et dégarni. Ensuite, les « deux longues pinnes au lieu de bras » se réfèrent explicitement aux palettes natatoires. Et « le bout du corps se finissant en une queue large » rappelle simplement la queue de ce mammifère marin. Cette thèse du morse comme hypothèse alternative à la figure du « Moine des mers » est pour la première fois suggérée par Bernard Heuvelmans, qui étudie précisément le même cas dans Dans le sillage des monstres marins : le Kraken et le Poulpe colossal (Editions Famot, Genève, 1974). Si l’évidence de cette comparaison semble éclater à une lecture attentive du texte de Guillaume Rondelet, il fallait du courage pour éclaircir la question en 1958 : « Il me paraît beaucoup plus vraisemblable que le « Moine de Mer » de Sund a été un Morse (Odobenus Rosmarus). Par l’aspect particulièrement humain de son visage, le caractère plissé de sa peau, la disposition vers l’avant de ses pattes postérieures, il se différencie fort des phoques et avait donc, au Moyen-Âge, bien plus de chances que l’un d’eux d’être pris pour un prodige par les Danois et les Suédois, accoutumés à divers veaux marins. […] Le morse a en effet tout d’un vieil ermite chauve et mal rasé. Et les nombreux replis de sa peau peuvent simuler sur les épaules un capuchon de moine » (Bernard Heuvelmans, p.237).
Bernard Heuvelmans saisit un paradoxe dans cette pratique d’inventaire naturaliste : à un texte authentique répond une image biaisée. A un témoignage réel correspond une description fantaisiste. Ce paradoxe livre le « Moine des mers » à une réalité tronquée, et plonge les intellectuels qui se sont penchés sur la seule et unique représentation dans l’erreur : le professeur Steenstrup y voyait un calmar géant ; Patrick Geistdoerfer y voyait un grenadier. Alors que la simple mention de « pinnes à la place des bras » trahissait un pinnipède ou un sirénien, vraisemblablement un morse (Odobenus Rosmarus).
Ce vaste problème esthétique ne peut être saisi que par une mise en perspective du parcours de ces courageux savants de la Renaissance : dans les relations d’expéditions lointaines, les illustrateurs travaillent le plus souvent par « ouï-dire », sur des rapports déjà déformés, procurant ainsi des documents où éclate l’extravagance. Le poisson en habit de moine de Guillaume Rondelet n’est pas tant un monstre que la « figuration d’une description inadéquate d’un être naturel mal connu » (Gilbert Lascault, p.67). En effet, même sous les oripeaux humains du « Moine des mers », la réalité biologique du monstre ne semble faire aucun doute. Les extravagances qui se manifestent dans cette figure esthétique ne sont pas celles du mythe, mais bien celles d’une « réalité mal perçue », d’une dérive zoologique.
Un autre monstre marin glissera ouvertement vers une portée symbolique, le poisson en habit d’évêque. « L’Evêque des mers ». Repéré aussi dans l’œuvre de Pierre Belon, l’autre grand naturaliste français de l’époque, « L’Evêque des mers » fait l’objet d’un rapport bien moins riche que chez Guillaume Rondelet : « Je l’ai veu de Gilbert, médecin allemand à qui on l’avait envoyé d’Amsterdam avec un écrit par lequel on assurait que ce monstre marin ayant un habit d’evesque avait été veu en Pologne en 1531, et porté au roi dudit pays, faisant certains signes pour monstrer qu’il avoit grand désir de retourner en la mer, où estant amené se jeta incontinent dedans » (Guillaume Rondelet, p. 413).

Ce second rapport sur un monstre épiscopal, s’il se montre plus avare en détails anatomiques, semble en revanche se référer bien plus clairement à un calmar géant que ne pouvait le faire le « Moine des mers », qui a eu besoin de l’appui forcé du professeur Steenstrup pour pouvoir coïncider un tant soit peu avec son protégé. Dans cette nouvelle description, et surtout par l’entremise de cette nouvelle illustration, l’anatomie du calmar géant semble se révéler sans avoir à surmonter trop d’obstacles.
La mitre prolonge sans solution de continuité la tête et le tronc, ressemblant bien à l’extrémité de la cape du calmar géant. Le manteau flottant a très bien pu être suggéré par les nageoires et les replis de la peau, dont l’aspect lâche frappe toujours chez les calmars géants échoués. Les jambes pourraient à la rigueur correspondre aux tentacules rétractés ou aux deux bras restants d’un individu mutilé, mais l’affirmer ne me semble pas convaincant, tant le copiste a pu fabriquer de toutes pièces ces deux jambes afin de rendre plus vivant son monstre marin. Enfin, les écailles, comme toujours, posent un problème zoologique, mais qui se révèle double sur cette illustration : soit le copiste du XVIe siècle, à son habitude, a dessiné ces écailles par un excès de zèle pour forcer la ressemblance entre son « Evêque des mers » et un cetus ; soit elles se réfèrent à une authentique curiosité zoologique, le calmar à écailles du genre Lepidoteuthis, dont le Prince Albert I° de Monaco est le premier savant à en avoir fait mention lors d’une campagne océanographique le 18 juillet 1895. Pour la première fois, ces écailles sur un monstre marin nous montrent la possibilité que cet animal ne soit pas une fable médiévale, mais une véritable rareté biologique. Pour la première fois aussi, le modèle naturel semble s’imposer dans l’esthétique du monstre folklorique. Le désir de fiction – un retour à l’humanisation excessive du « Moine des mers » – semble tempéré par l’animal réel que « L’Evêque des mers » désigne avec entêtement : le calmar géant. Mais cette proposition plus humaine est aussi celle de l’« Evêque des mers », et pourra donc tirer naturellement vers la satire religieuse.
Le retour au XVIIe siècle dans un texte anticlérical de la figure épiscopale – sous le nom d’ « Evêque des mers » – en est un exemple des plus drôles : « Dans la mer Baltique, vers les côtes de Pologne et de Prusse, on prit environ l’an 1433 un homme marin qui avoit entièrement la figure d’un évesque, ayant la mitre en teste, la crosse en main, avec tous les ornements dont un évesque a coutume d’estre revestu quand il celebre la sainte Messe ; sa chasuble mesme se levoit facilement par devant et par derrière jusques au genouil ; il permit que plusieurs le touchassent, particulièrement les évesques de ces cartiers-là, auxquels il témoignat par geste porter du respect, entendant bien ce qui se disoit sans toutefois parler. Le roy voulant le enfermer dans une tour, il témoigna que cela ne luy agréoit et les évesques ayant prié le roy qu’on le laissast retourner en mer, il les en remercia par gestes […]. Estant entré en mer jusqu’au nombril, après avoir salué les évesques et toute la multitude accourue et donné sa bénédiction par un signe de croix, se plongea en mer et ne parut plus depuis » (R. P. Fournier, Hydrographie, 1643. p. 32).
Le bon évêque catholique était donc vu, dans ce texte français irrévérencieux, comme un vulgaire monstre marin mal encapuchonné, encombré par tout son attirail religieux ! Ce type de satire, où rien ne manque à la drôlerie – comment diable cet « Evêque des mers » peut-il donner sa bénédiction par un signe de croix et retourner calmement à la mer ? – était monnaie courante à l’époque, où le monstre pouvait servir, par l’acte même de son monstrueux, à critiquer une institution. Tout ce qui vient de la mer, qui reflue des vagues, peut donc participer de ce merveilleux, et un pauvre calmar mutilé et moribond se pare dans cet esprit-là de sa plus belle robe d’évêque. Un tableau de synthèse ne sera pas de trop pour reprendre les étapes de ce pauvre animal marin (morse ou calmar géant) transformé par la fantaisie de la Renaissance en figure épiscopale.
Animaux marins en figures épiscopales (XVI-XVIIe siècle)
Figures épiscopales | Auteurs | Dérive animale | Identification animale |
Le Moine des mers(1555)Un morse | Guillaume Rondelet (1555) Steenstrup (1855) | Ecart entre l’écrit et l’image.L’écrit : un animal identifiable.L’image : un monstre fantastique. | Steenstrup (1855)Un calmar géant (peu probable)Heuvelmans (1958)Un morse (probable)Geistdoerfer (2004)Un grenadier (peu probable) |
L’Evêque des mers(1555)Un calmar géant | _ Pierre Belon(1555) Conrad Gessner(1560) R. P. Fournier(1643) | Récupération du thème de l’Evêque des mers par la satire anticléricale. (R.P.Fournier) | Heuvelmans (1958)Un calmar géant échoué et mutilé (probable) |
A travers ce tableau, qui met en parallèle les dossiers du « Moine des mers » et de l’« Evêque des mers », la figure du monstre épiscopal naît et se développe en 1555 à partir de l’Histoire entière des poissons de Guillaume Rondelet. « Le Moine des mers » et l’ « Evêque des mers » sont comme deux frères de lait, dont le dernier, malgré une identité zoologique moins contestable (le calmar géant), se retrouve vite déclassé par le désir humain de tourner en dérision le clergé.
Le « Moine des mers » connaît depuis l’Histoire entière des poissons de Guillaume Rondelet une crise entre son image et son texte de référence. Cet écart a été responsable d’un certain trouble chez les chercheurs – dont le professeur Steenstrup et Patrick Geistdoerfer – qui ont proposé une identification animale biaisée, à travers les figures du calmar géant et du grenadier. Bernard Heuvelmans évite ce piège en se référant aux textes d’époque, et propose l’hypothèse alternative du morse. Par strates successives, la réalité sur le monstre épiscopal s’est éclairée ; les cris déchirants au sortir de l’eau et les pinnes à la place des bras emportant les suffrages vers la figure anatomiquement viable du morse.
L’« Evêque des mers » n’a pas connu d’aussi diverses fortunes dans son identification, son image, en dépit d’une humanisation excessive, montrant très vite des affinités physionomiques avec le calmar géant du genre Architeuthis dux. Charles Paxton, professeur en statistiques à l’Université de Saint Andrews (Ecosse), après une étude iconographique exhaustive de ces deux grandes figures épiscopales, est finalement arrivé à une conclusion identique : le « Moine des mers » serait un Morse et l’« Evêque des mers » un Architeuthis dux (Charles Paxton, C.G.M. & Holland, R. (2005), « Was Steenstrup right ? A new interpretation of the 16th century sea monk of the Øresund ». Steenstrupia 29, 39-47). Mais la fièvre de la Renaissance, cent ans après le rapport original, s’empare de cette dernière figure, et ne rate pas l’occasion de tisser sur ce qui était sans doute un calmar géant mal perçu un récit anticlérical prenant littéralement acte de l’« Evêque des mers ».
. Conclusion
Chers lecteurs de Strange Reality, il était nécessaire pour cet article de se limiter à une couverture documentaire d’une centaine d’années (1550-1650), tant le parcours iconographique du Moine/Evêque des mers est riche. Je me permets tout de même de vous livrer, pour le plaisir des yeux, d’autres itérations de cette passionnante figure épiscopale :



Différents avatars de l’Evêque des mers : Conrad Gessner (1669) ; David Starr Jordan (1905) ; Ulysse Aldrovandi (1602)
Le lecteur nous permettra pour ce vaste dossier de conclure sur une note surréaliste, en rappelant que le grand écrivain et dramaturge Alfred Jarry s’inspirera de ces figures épiscopales de la Renaissance afin de donner une cohérence visuelle à son immortel Ubu roi :
