Petit peuple des Caraïbes 

Nanahuatzin, le dieu nain des Aztèques (Codex Borgia)

Chers lecteurs de Strange Reality, après une étude des Pygmées d’Amérique du Sud et du Mexique, il est grand temps de se lever l’ancre à l’Est en se penchant sur la question du petit peuple dans le vaste espace caraïbéen, qui comprend deux sous-ensembles :

1. L’archipel de la mer des Caraïbes avec :

– De grandes îles comme Cuba, Hispaniola (Haïti/République dominicaine) ou bien la Jamaïque.

– De petites îles comme les Caïmans, la Guadeloupe, la Martinique ou bien la Barbade.

2. Les pays littoraux d’Amérique latine baignées par la mer des Caraïbes à l’exemple du Honduras, le Guatemala ou encore le Salvador.

Ainsi, en Guadeloupe, le sapotillier (arbre fruitier) a été créé selon la légende par un dieu nain nommé « Ti sapoti ». Dragueur impénitent, il aimait un peu trop la compagnie des humains, les hommes comme les femmes, qu’il séduisait pour l’amusement et l’oisiveté. Ces jeux interdits étaient connus des autres divinités qui les toléraient tout en avertissant Sapoti : le monde des dieux et celui des hommes ne doivent en aucun cas se mélanger !

Sapoti, qui n’avait pour principe que celui du plaisir charnel, n’eut cure de cet avertissement. Il fit tant et si bien que ce qui devait arriver arriva. Une femme avec qui il avait batifolé se trouva enceinte. Les dieux transformèrent alors Sapoti en arbre fruitier : le sapotillier, distillant la sapotille, fruit doux et sucré comme l’amour et le badinage.

Peut-on trouver dans les Caraïbes d’autres récits sur les nains ? Sans doute plus précis et circonstanciés ? Plus réaliste ? C’est ce que nous allons voir, chers lecteurs , en explorant ensemble le dossier du petit peuple des Caraïbes.

Cuba

En 1836, le lexicographe et géographe cubain Esteban Pichardo y Tapia a documenté le mythe des güijes. Il les a décrits comme de très petits nains, avec beaucoup de poils, espiègles et joueurs, qui vivaient dans les rivières et les lagunes cubaines. Bien que leur description physique varie selon les sources, ils sont souvent représentés comme des hominidés de petite taille et à la peau noire. Certaines représentations ressemblent à des pygmées africains stéréotypés. Ils sont souvent nus ou légèrement vêtus de feuilles. Le géographe rapporte aussi un récit troublant datant du XVIIe siècle. La ville de Remedios étaient terrifiés par des petits esprits. Un jour, les habitants ont réussi à capturer un membre de leur clan, un güije, très farouche. Il ne ressemblait pas à un Cubain. Le prêtre a voulu l’exorciser mais le malheureux s’est libéré de l’étreinte des villageois.

Il est davantage observé la nuit et il a effrayé plus d’un voyageur. Il est comme tous les êtres du petit peuple, rapide, espiègle, malin et s’est se fondre dans la masse. De plus, il est un fervent protecteur de la nature. Il semble qu’il a été féroce avec quelques humains mais personne ne semble avoir porter plainte contre lui. En revanche, des femmes se baignant la nuit se sont dit harcelées par ces créatures.

Ambivalent güije : protecteur de la nature ou harceleur de femmes ?

Des techniques étranges, et certainement apocryphes, permettent néanmoins de le capturer : en faisant 12 fois le tour d’un Ceiba (arbre tropical) ou bien en réunissant 12 personnes appelés Juan (en référence à la fête de la Saint-Jean où les esprits sont invoqués).

Mais qui sont ces petits êtres des Caraïbes ? De purs produits du folklore cubain ? Des esprits magiques à invoquer dans une mystique vaudou ? Ou bien auraient-ils une assise biologique ? Si les deux premiers questionnements trouvent leurs réponses dans les traditions cubaines à l’égard des güijes, la dernière interrogation mérite d’être posé plus clairement : les güijes seraient-ils une ethnie inconnue ou oubliée de l’île ?

Les Taïnos, ethnie majoritaire dont descendent les Cubains actuels, auraient eu des contacts avec une peuplade discrète, les Ciboneys, c’est-à-dire en arawak « ceux qui vivent dans les grottes ». Ils habitaient le centre des îles de Cuba et d’Hispaniola. À l’époque des premiers contacts avec les Européens, ils furent relégués dans les régions retirées de ces îles par leurs puissants voisins, les Taïnos, qui vivaient également sur de petites îles proches du littoral. Par certains traits, ils semblent être issus d’anciennes populations établies en Floride. Vivant de la chasse et de la pêche, les Ciboneys de Cuba et ceux d’Hispaniola avaient une culture matérielle fort différente : appelés Cayo Redondo ou encore Guayabo Blanco, les premiers recouraient beaucoup à l’usage de coquillages, tandis que les seconds travaillaient la pierre. Les Cayo Redondo utilisaient une coquille triangulaire tenant lieu de gouge grossière et faite à partir de la lèvre d’un strombe, outil que l’on retrouve dans les Glades de Floride ; à la différence de ces derniers, les Ciboneys d’Hispaniola avaient adopté le fameux style couri (dit d’Haïti), caractérisé par l’usage de pierres taillées, ce qui a donné la dague dite couri, pierre pointue écaillée sur un côté et plate de l’autre. Les Ciboneys vivaient par groupes restreints d’une ou deux familles. Un siècle après l’arrivée des Espagnols, leur ethnie disparaît.

Grotte Las Caritas et son rupestre ciboney

Une autre ethnie, encore plus discrète que les Ciboneys, auraient pu correspondre au folklore des güijes : les Guanahatabeys. Ces Indiens sont les premiers humains à avoir foulé le sol cubain il y a 7 000 ans. Originaires des forêts du Venezuela et de Colombie, ils occupaient plutôt la partie occidentale de l’île. Ils étaient très primitifs, de petite taille et à la peau rougeâtre, ils portaient des cheveux longs et peu de vêtements. Ils vivaient près des côtes, dans des grottes ou des cavernes, où ont été trouvés des ustensiles très rudimentaires qui les situent à l’époque paléolithique. Ils ne construisaient pas non plus d’habitations, car ils étaient pratiquement des nomades, se déplaçant en bandes, sans former de communautés hiérarchiques. Leur occupation fondamentale était la pêche, leur nourriture de base était donc le poisson et les mollusques ; Ils chassaient également les iguanes et récoltaient les fruits des arbres voisins. Ils ne cultivaient pas la terre et ne produisaient pas de poterie, ils ne taillaient ni ne polissaient la pierre, mais ils faisaient des pictogrammes colorés sur les murs, formant des cercles, qui sont encore conservés et exposés aujourd’hui.

Art rupestre guanajatabey

 

Le conquistador Diego Velasquez disait d’eux : « ils vivaient comme des sauvages, sans maisons ni villes, ne mangeant que la nourriture qu’ils trouvaient dans les forêts ». Nous supputons qu’ils constituaient une communauté linguistique à part car les interprètes Taïnos de Christophe Colomb furent incapables de comprendre leur langue lorsqu’ils les rencontrèrent à l’extrême ouest de l’île. Malheureusement, les Guanajatabeys disparurent avant qu’ils aient pu être étudiés, rendant ainsi impossible l’étude de l’affiliation de leur langue qui ne semblait pas arawak.

République dominicaine

Sur la partie orientale de l’île d’Hispaniola, le folklore dominicain possède une créature lacustre qui se nomme la ciguapa. Elle est généralement décrite comme ayant une forme féminine humaine avec une peau brune ou bleu foncé, des pieds orientés vers l’arrière et une très longue chevelure lisse et brillante qui recouvre leur corps. Les ciguapa habitent supposément dans les hautes montagnes et les zones les plus reculées de la République dominicaine et conservent des habitudes nocturnes. La Ciguapa est une femme sauvage qui a les pieds à l’envers, c’est-à-dire le talon devant et les orteils en arrière. Quand on suit ses traces, les pas vont dans le sens inverse.Elles auraient la faculté d’ensorceler une personne en la regardant dans les yeux. La seule vocalisation des ciguapas serait constituée par une sorte de gémissement ou de gazouillis.

La légende prétend que le seul moyen de capturer une ciguapa est de la suivre la nuit, pendant la pleine lune, avec un chien polydactylique (à cinq doigts) noir et blanc (appelé chien cinqueño). Lacustre, la ciguapa a donné son nom à une magnifique chute d’eau en plein cœur de la forêt dominicaine : Ciguapa Falls.

Ciguapa Falls (Courtoisie Iguana Mama Adventures Tour)

La ciguapa est toujours présente dans l’imaginaire collectif dominicain à travers un film (El mito Ciguapa, 2009), un livre pour enfant de Julia Alvarez (Le secret des traces de pas, 2002) ou encore un romande fiction de Luna Wicked (La Ciguapa: A Dominican Horror, 2024). Mais la représentation la plus frappante de la ciguapa demeure sans conteste la sculpture du plasticien Domingo Guaba nommée La Gran Ciguapa (2004).

La Gran Ciguapa (2004) de Domingo Guaba (Centro Léon, République dominicaine)

mot ciguapa est très proche du mot Ciguayo, premier peuple à avoir habité la région de Samaná en 5000 ans B.P. Le terme « guapa » signifiant en arawak « dangereux », la ciguapa ne signifierait-elle pas étymologiquement « le Ciguayo dangereux » ? Les quelques chroniques décrivant les Ciguayos tendent à donner raison à cette première lecture étymologique de « ciguapa » : selon Eustaquio Fernández de Navarrete, ils étaient « des guerriers et des gens fougueux ». Dans Cronista de Indias, l’auteur Pedro Martir les accusait même de cannibalisme : « lorsqu’ils descendent des montagnes pour faire la guerre à leurs voisins, ils tuent et mangent certains d’entre eux ». Ils sont réputés pour avoir les cheveux longs, au contraire du peuple taïnos, et brandir de puissants arcs munis de flèches empoisonnées. En tout cas, ils ont fui à l’arrivée des Taïnos, supérieurs technologiquement, et se sont retranchés dans les montagnes les plus reculées. Est-ce pour brouiller les pistes de pas dans les forêts denses face à ces encombrants voisins qu’ils ont pris l’habitude de se mutiler les pieds ? Qu’ils auraient adoptés tardivement un comportement nocturne ? Cela, fautes de preuves, est encore à l’état d’hypothèses.

Le souvenir de ce peuple ciguayos est encore vivace dans l’esprit des descendants des Taïnos, à tel point qu’un récit des années 1950 relate la rencontre entre un Dominicain et une ciguapa. Le Dominicain en question cultivait ses champs loin de son domicile. Il restait plusieurs jours sur place et il aurait « apprivoisé » une ciguapa en lui offrant du sel. Elle avait les cheveux noirs, longs et raides. Comme elle craignait de s’approcher, il a mis du sel sur le sol près de son abri, et lorsqu’il s’est éloigné, elle l’a pris. Voyant cela, il a déposé du sel tous les jours en le rapprochant un peu plus de son abri et il a réussi à la capturer. Il l’aurait enfermée et lui aurait fait un ou plusieurs enfants. Il est vrai que les enfants nés de cette union ont les pieds un peu tordues vers l’extérieur.

Sculpture de ciguapa par l’artiste Hector Navarro

Tout ceci est-il authentique ? Ou bien purs racontars fondés sur une base folklorique ? Seule une analyse poussée de l’ADN des Dominicains, comparés aux os indiens collectés dans les musées, pourra jeter quelque lumière sur ce troublant dossier de la ciguapa.

Haïti

Sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola, le folklore haïtien possède le baka, un être humain de petite taille à la peau noire, remarquable par sa grosse tête et ses pieds cambrés. Son physique s’apparenterait à celui d’un nain. Le processus de création d’un baka se fait de la manière suivante : Le hougan (prêtre vaudou) mélange des œufs d’anolis, des cheveux de couleuvre et des plumes de crapaud dans un récipient qu’il installe au sommet d’un palmiste. Le récipient est frappé 17 fois par le tonnerre. Soudain, le baka en sort et va s’agenouiller devant son créateur.

Fresque murale représentant un baka contrôlé par un hougan

Ainsi, le baka exécute sans sourciller les basses besognes du hougan comme aller voler les récoltes des paysans, l’argent des commerçants ou travailler gratuitement à son service. Il serait en cela assez proche du Tokoloshe d’Afrique du Sud utilisé par les marabouts.

Gris-gris qui sert à contrôler le baka (Haïti)

Rompu au dossier africain, la réalité est sans doute tout autre : le baka haïtien, à la petite taille, à la peau noire et à la tête disproportionnée, nous évoque irrésistiblement les pygmées Baka d’Afrique centrale. Les Négriers de la Renaissance auraient amené des pygmées Baka dans la colonie de Saint-Domingue où les discriminations contres ces pygmées ont amplifiées au point de les reléguer au rang de créature inférieures, faibles d’esprits, à manipuler.

Les pygmées Baka déplacés par la traite négrière, à l’origine du baka haïtien

Avant de nous quitter, chers lecteurs de Strange Reality, je vous invite à une dernière escale en mouillant l’ancre sur les côtes caraïbéennes de l’Amérique latine. Au Guatemala, nous trouverons l’itacayo, un nain des rivières, velu et lubrique, violeur de femmes. Au Salvador, nous avons des récits sur le cipe, terme nahuatl (langue aztèque) qui signifie « cendres ». Ce lutin aurait la particularité de se nourrir de cendres. Il semblerait notamment dériver d’un authentique dieu aztèque : le nain Nanahuatzin.

Pour les Indiens Aztèques, à l’origine du monde, à l’origine des temps, existait ce fameux dieu nain nommé Nanahuatzin. Dans un épisode très connu extrait du Codes Borgia, ce nain s’est sacrifié dans le feu afin de le faire perdurer sur la terre et ainsi l’offrir aux hommes. Véritable variante prométhéenne, le sacrifice pour un tel acte de bravoure le condamne à rester éternellement couvert de plaies et d’ulcères, à l’exemple d’un grand brûlé.

Nanahuatzin, dieu nain couvert de plaies et d’ulcères (Codex Borgia)

Chers lecteurs, je vous remercie de m’avoir suivi sur les terres caraïbéennes où une ethnie majoritaire (les Taïnos) a poussé dans ses confins géographiques (montagnes, rivières) et/ou spirituelles (folklorisation, discrimination) une ethnie minoritaire (Ciboneys/Guanahatabeys, Ciguayos, pygmées Bakas) en la traitant de monstres (güijes, ciguapas, bakas).

6 commentaires

  1. Bonjour, et bonne année !

    Merci pour ces renseignements.

    Heu, cheveux de couleuvre, plumes de crapaud ?

    Sur Nanahuatzin, ce n’est pas ce que dit René Girard (Le bouc-émissaire, chez Grasset) qui semble avoir bien étudié le mythe. C’est avant de se sacrifier que Nanahuatzin était couvert de pustules. Après, il est devenu Tonatiuh, le dieu-soleil, et c’est à lui qu’on sacrifiait par milliers des humains sur les pyramides.

    à+

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  2. I am a an atheist skeptic, and I should say reports of creatures with backwards feet indicate knuckle-walkers , which in the New World indicates ground sloths (indigenous peoples would know what tree sloths and New World monkeys are), and in the case of duendes in Iberia and Italy indicates a racist conflation between Berbers/ancient Egyptians/Ca’-naan’-ites and Barbary macaques: « duende » is cognate with « dwarf » and dwarfs were inspired by Mediterranean people (obviously not Iberians or Italians, and both would know that Greeks were not duendes). Philippine duendes would not be Old World monkeys (since people are familiar with monkeys), so they would appear to be folk memory of hunter-gatherers (since hunter-gatherers would go on all fours to hide their presence from the animals they hunted): since duendes are civilized this indicates a large food supply akin to Pacific Northwest cultures.

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    1. Thank you for your insightful comment dear sir. You mention various elements which deserve a more in-depth examination, but I also have the intuition that the dwarves of folklore are, for the most part, the living memory of the indigenous tribes of the Neolithic.

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