Pygmées d’Amérique du Sud

Statue du , créature naine aux pieds rétroversés (Ramón Elías, Musée mythologique du Paraguay)

     Chers lecteurs de Strange Reality, la forêt amazonienne est vaste, très vaste… Couvrant actuellement près de 7 millions de km2, elle abrite en son sein de nombreuses espèces animales et végétales, dont 34 millions d’êtres humains, certains issus des peuples autochtones. Parmi ces communautés, dont la plus grande est celle des Yanomani (Brésil), se trouvent encore une tribu extrêmement isolée : les Kawahiva.

     Les tribus voisines comme les Piripkura les surnomment têtes rouges (« Cabeças vermelhas ») et petit peuple (« Baixinhos ») du fait de leur taille légèrement plus petite que celle des autres tribus. D’anciennes zones défrichées dans la forêt attestent que les Kawahiva cultivaient probablement le maïs et le manioc et menaient une vie plus sédentaire il y a plusieurs générations. Mais ces trente dernières années, ils ont été forcés de fuir à la suite de séries d’attaques et d’invasions et ils sont probablement devenus nomades pour survivre. La dernière parcelle cultivée de leur territoire a été découverte lors de la construction d’une nouvelle route dans la région il y a plus de trente ans.

     Ils sont probablement apparentés aux Piripkura, une tribu voisine, car leur langue, un dialecte tupi-guarani, est similaire, ils se coupent les cheveux de la même manière et utilisent des pointes de flèches de même type pour pêcher. Ce sont les arcs, paniers et autres objets usuels trouvés dans des campements abandonnés qui donnent un aperçu de leur mode de vie : les Kawahiva ont probablement des animaux de compagnie car on a retrouvé des petites cages à perruches, ainsi que des plumes. Ils construisent des échelles élaborées pour collecter le miel dans les arbres et utilisent des pièges pour attraper le poisson dans les cours d’eau. Des palissades faites de branches de palmiers tout autour des campements ont été retrouvées, elles doivent servir à éloigner les animaux sauvages ou à repousser les attaques venant de l’extérieur.

     Un groupe de Kawahiva a été suivi pendant 17 ans par la FUNAI, le département des Affaires indigènes brésiliennes. Ils ont été filmés avec un drone par l’un de ses agents en 2013 – adultes et enfants semblaient en bonne santé. Il est possible que d’autres groupes de Kawahiva isolés se cachent encore dans la forêt.

Groupe de Kawahiva filmé par drone (FUNAI, 2013)

    

Chers lecteurs, des êtres encore plus petits, farouches, isolés et insaisissables ont foulé la forêt amazonienne et les terres sudaméricaines : il est grand temps de s’intéresser à l’épais dossier des pygmées d’Amérique du Sud.

Brésil

     Le grand cryptozoologue belge Bernard Heuvelmans, dans Sur la piste des bêtes ignorées (Editions Plon, 1955), rapporte le récit arouaque des hommes aux pieds rétroversés : « Charles Dewisme recueillit parmi les indiens Arouaques une légende : celle des hommes aux pieds rétroversés. Selon ces indiens vivraient, le long de la Rivière du Diable, près des hauteurs enneigées, une race d’hommes sauvages ayant les pieds à l’envers. Ils sont, rapportent-ils, noirs et velus et ne connaissent ni l’usage du feu, ni celui des armes. Ils se nourrissent de crabes, de poissons et de lézards. Les Arouaques prétendent avec le plus grand sérieux avoir tenté d’entrer en contact avec ces êtres, mais en vain : non seulement ces brutes n’ont point de langage, mais elles se jettent aussitôt sur les hommes et, leur force étant grande, les déchirent, pour ensuite les dévorer. […]

Bernard Heuvelmans (1916-2001) a enquêté sur le curupira en 1955

     En 1941, Maria Eufémia voyageait en compagnie de son mari et avait dû s’arrêter pour la nuit dans une caverne. Ayant entendu le cri des « hommes sauvages », elle l’imita jusqu’à ce que l’être se fut approché à une centaine de mètres. Comme il faisait noir, elle ne put distinguer ces traits. Mais le lendemain matin, elle découvrit des traces de pieds quasi humains qui allaient vers la grotte et en revenaient. Elle reconnut que les pieds étaient disposés à l’envers » (p.102).

     Ce récit très circonstancié de Bernard Heuvelmans ressemble à s’y méprendre à celui d’une autre créature du folklore brésilien : le curupira. Son nom provient du dialecte des indiens tupi, kuru’pir, signifiant « couvert d’ampoule ». Selon la légende, cette créature aurait des cheveux orange clair, et ressemblerait à un nain, mais ses pieds seraient tournés en arrière. Le curupiravivrait dans les forêts brésiliennes et utiliserait ses pieds retournés pour créer des empreintes menant à son point de départ, ce qui rendrait les chasseurs et les voyageurs confus. De plus, il pourrait créer des illusions et produire des des sifflements aigus visant à effrayer et à plonger dans la folie ses victimes. Il est courant de représenter le curupira chevauchant un pécari à collier.


Artwork présentant le curupira, nain aux pieds rétroversés (Luis Salgado, 2017)

     Ce récit brésilien rappelle aussi celui d’un humanoïde du folkore argentin connu sous le nom de « Plombero ». Cette créature serait une sorte de nain velu avec des jambes très courtes. Il possède des bras très longs qui vont jusqu’à même trainer par terre. En revanche, ses mains sont très grandes et ses pieds également, qui sont positionnés à l’envers. Cette particularité lui permet de désorienter toutes les personnes qui souhaiteraient suivre ses traces. Le Pombero est accompagné d’une longue barbe qui traînerait jusqu’au sol.

Il serait peut-être possible de le croiser nu avec un chapeau de paille.

Pombero et Curupira sont représentés à l’entrée d’un parc naturel argentin

     

D’après plusieurs communautés indigènes, le Pombero aurait été observé de nombreuses fois sans preuves concrètes à l’appui. C’est ce que rapportent des habitants guaraní en Argentine au fil des ans. Au Paraguay, Petrosa Vera déclare à la presse Crónica qu’elle a peut-être vu cette créature :« J’ai vu quelque chose sur la pointe d’un arbre, mais il a disparu rapidement. Beaucoup disent que c’est le Pombero ».

     Une autre personne, Luis Cáceres aurait déclaré aux médias locaux qu’il se serait fait attaquer par cette créature dans une forêt. L’homme qui emmenait sa fille à un anniversaire aurait senti le bras du Pombero, un membre poilu. « En ce moment, j’ai très peur, c’est la première fois que ça m’arrive ». Tout récemment, c’est un article publié sur une presse britannique qui rapporte le témoignage d’une femme. Dans son récit, Mariela Escalante raconte que le Pombero aurait kidnappé son fils Sébastien lorsqu’il était en train de jouer dehors. Il l’aurait emmené dans un lagon pour le laisse se noyer. De mythique, le Pombero se réincarne à travers des témoignages récents et devient ainsi un enjeu d’actualité pour les populations autochtones du Brésil.

Guyane française

     Actuellement, un chef tribal arouaque de Guyane, Damon Corrie, essaie de faire la lumière sur ce petit peuple sudaméricain, notamment en Guyane française où le nain insaisissable est surnommé « didi ». En effet, depuis des centaines d’années, les autochtones arouaques des montagnes de Guyane et du Surinam, ont observé des humanoïdes de 5 pieds de haut (1,50 m), couverts de poils courts et noirs émettant un hululement ; leurs corps sont puissants et trapus. Cet hurlement est décrit comme un long sifflement mélancolique, commençant par les aigus et s’abaissant progressivement vers les graves pour s’éteindre lentement. En contact soutenu avec nos collègues anglais du CFZ, nous espérons à Damon Corrie tout le meilleur dans sa collecte de terrain cryptozoologique.


Damon Corrie, chef tribal arrouaque à la recherche du didi guyanais

     La Guyane française est aussi un terrain fertile pour un être répugnant, qui s’est peu à peu mué en véritable croquemitaine : le baclou. Au départ simple créature humanoïde de moins d’un mètre de hauteur, le baclou revêt bien vite un aspect visqueux et un corps disgracieux – un corps d’enfant surmonté d’une tête très laide assortie d’oreilles décollées et pendantes. Habitant les fromagers (grands arbres tropicaux), le baclou revêt lentement les attributs classiques du croquemitaine : se nourrissant de chair humaine, il effectuerait sans sourciller tout ce que lui demande son propriétaire humain en étant enfermé dans une bouteille dans le grenier de ce dernier. Deux expressions guyanaises restent très fortement rattachées au baclou : lorsqu’un commerce fonctionne bien, on dit que le propriétaire « cache un baclou sous la caisse ». Les crises d’hystérie adolescentes, souvent associées à l’épilepsie, sont dites « crise du baclou » et certaines ont même récemment défrayé la chronique récemment.


L’hideux baclou de Guyane (sculpture de Kayhanga, 2018), habitant des fromagers

Dans le best-seller Homme-des-neiges et Homme-des-bois (Editions Plon, 1961), le naturaliste Ivan T. Sanderson rend compte du petit peuple du Honduras : « Ces deux peuples – les véritables habitants du Honduras britannique ou Béliziens, et les Caraïbéens de la côte – affirment que dans les hautes forêts humides de la moitié sud de leur pays habitent des petites créatures à demi-humaines qu’ils appellent dwendis […] Ces petites créatures ont une taille comprise entre 1m05 et 1m35 ; elles sont bien proportionnées mais les épaules sont massives et les bras assez longs ; elles sont recouvertes d’un épais pelage brun aux poils drus et serrés, semblable à celui d’un chien au poil court. Tous les témoins disent que les dwendis ont des mollets très saillants mais ce qui a frappé le plus dans leur apparence, c’est qu’ils tenaient presque toujours au-dessus de leur tête, soit un fragment de feuille sèche de palmier, soit un objet ressemblant à un gros chapeau mexicain […] On dit que les dwendis apparaissent soudain dans la forêt de jour comme de nuit, et qu’ils vous observent discrètement de loin. Ils gardent le silence mais ils semblent très curieux. Ils peuvent poursuivre des chiens pour les attraper et les emporter. Ils laissent des empreintes de pas profondes, qui ont des talons pointus » (pp.179-180). Ces « talons pointus » nous semblent assez proches des empreintes en pointe de l’orang-pendek, le petit hominidé énigmatique de Sumatra, qui a aussi sporadiquement les pieds rétroversés, comme dans les trois récits précédents.

A l’épreuve de la science

     Sur le terrain biologique, ces hommes aux pieds rétroversés pourraient être atteints d’une pathologie nommée l’hallux varus. Les pieds concernés par cette maladie ont subi un traumatisme important, notamment liée à une inflammation soudaine des tissus musculaires à la suite de marches prolongées avec les pieds nus. Nous rappellerons à ce titre que le curupira est celui aux pieds « couverts d’ampoules ». Cette thèse a été évoquée dans cet article au sujet de certaines empreintes de l’Himalaya.

L’hallux varus, pathologie souvent congénitale.

Serait-ce la source biologique de tous ces récits légendaires sur les pieds rétroversés ?

    

Sur le terrain paléoanthropologique, ces récits locaux de tribus pygmées pourraient être soutenus par les fossiles récemment découverts de l’Homme du Garrincho (Evelyne Peyre et al., « Dents et crânes humains fossiles du Garrincho (Brésil) et peuplements anciens de l’Amérique », Actes de Colloque, Société française d’histoire de l’art dentaire, 2009).

    Menées par Evelyne Peyre depuis 1992, les études paléoanthropologiques dans la grotte du Garrincho permettent de mettre à jour les restes d’un enfant (29 dents) de 9 ans et un hémi-crâne d’adulte retrouvés dans des sédiments datés de 24000 ans B.P (luminescence optiquement simulée) et de 14000 ans (thermoluminescence). Cet article présente l’étude odontologique du préadolescent, le plus ancien connu à ce jour en Amérique, et la biométrie du crâne de l’adulte. La taille moyenne de la population du Garrincho est d’1m40 : ces individus ont dû s’adapter à une pression évolutive par endémisme forestier. Si ils ne sont pas les seuls hommes préhistoriques du Brésil (Luzia, Luzio, Santa), les hommes de Garrincho sont ceux ayant la taille la plus réduite, établissant ainsi un pont entre les dépôts fossiles et les nombreuses légendes sur des tribus pygmées hantant la forêt amazonienne.

Crâne parcellaire d’un Homme de Garincho, hominidé du Pléistocène (1m40)

     L’inaccessible Cordillères des Andes sera aussi un terrain privilégié pour les peuplades pygmées oubliées, comme l’a très bien ressenti le grand naturaliste Ivan T. Sanderson que nous convoquons à nouveau : « J’ai entendu parler du shiru, comme on dit, par les indiens et par quelques chasseurs blancs, sur les deux versants des Andes, mais plus particulièrement dans les massifs de l’Est, où de vastes zones montagneuses sont encore complètement inexplorées, et où l’on va rarement, à supposer qu’on y aille. Tous les témoignages décrivent le shiru somme une petite créature (1m20 à 1m50), aux caractères nettement humains, mais entièrement recouverte d’une fourrure brun foncé très courte. Tout le monde dit que le shiru est très réservé, sauf un indien qui prétend avoir été attaqué ; il venait de le manquer avec un fusil à un coup que l’on charge par le canon, arme encore utilisée par la majorité des indiens, outre la sarbacane. Ces témoignages étaient assez sobres et objectifs, et en aucune manière marqués par l’imagination colorée que les habitants de l’Amérique latine affectionnent souvent » (Ivan T. Sanderson, op.cit., pp.181-182).

     Le shiru possède lui aussi son versant folklorique : loin d’être malveillant comme le baclou guyanais, il s’avère bienveillant et protecteur du foyer, à l’image des dieux lares de l’Antiquité romaine. Ainsi, l’ekkekko est un petit homme corpulent, qui a toujours sur lui de minuscules instruments de ménage. On célèbre sa fête le 24 janvier, en plein milieu de l’été.

Illa del ekkeko (figurine bolivienne d’un antique nain protecteur

     L’histoire de cette figurine est pour le moins insolite : en 1858, le naturaliste Johann Jakob von Tschudi se trouve sur l’Altiplano bolivien. Il visite le site précolombien de Tiwanaku. L’histoire raconte que le chercheur aurait soûlé un homme de la région cherchant à vendre cet objet afin qu’il le lui cède à bon prix. En effet, Jakob Messerli, directeur du Musée d’histoire de Berne, évoque l’« intervention d’une bouteille de cognac » dans la transaction. Johann Jakob von Tschudi a ensuite ramené la statuette en Suisse.

     Le Musée d’histoire de Berne l’a achetée à ses héritiers en 1929. Mais cette réappropriation culturelle aux relents de colonialisme sera vengée près d’un siècle plus tard : Evo Morales, d’origine autochtone (communauté aymara), deviendra président de la Bolivie en 2006 et la petite statuette sera un enjeu d’appartenance identitaire. Après des accords diplomatiques avec la Suisse, l’objet est restitué au ministère de la culture bolivienne et l’ekkoko peut à nouveau devenir l’esprit protecteur de son pays, renforçant ainsi le sentiment de fierté nationale. 

     Chers lecteurs, merci de m’avoir à nouveau suivi sur ce passionnant dossier sudaméricain. Nous nous retrouverons prochainement sur les terres mexicaines afin de poursuivre notre enquête sur le petit peuple.

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