Pygmées d’Afrique du Sud

Crâne d’Homo gautengensis dit « StW53 » (Alan R. Huges, 1976)

Chers lecteurs de Strange Reality, après un dossier de longue haleine sur les découvertes de fossiles de Pygmées européens, je me propose de vous embarquer dans un nouveau cycle, qui fera le tour du monde des populations pygmées solidement étayées par la communauté scientifique, qu’elles soient modernes, ancestrales ou préhistoriques.

     L’Afrique du Sud, objet de ce chapitre, connaît un folklore riche concernant des peuples nains, déjà patent dans les recherches du cryptozoologue Bernard Heuvelmans (Les bêtes humaines d’Afrique, Libraire Plon, 1980). Les peuples autochtones de langue Zoulou et Xhosa entretiennent un rapport culturel très profond avec le Tokloloshe, homme de petite taille marabouté par les sangomas (sorciers) afin de leur servir d’esclave et d’effrayer les hommes. Ce Tokloloshe ne serait-il pas sur le territoire sud-africain l’avatar actuel d’une créature naine bien plus ancienne, l’Uhlakanvana ?

     Ce démon nain de la mythologie xhosane n’est pas davantage ami avec les hommes. Violent et amoral, il aime à leur jouer les tours les plus pendables. Il vit dans les grottes sud-africaines et semble capable de créer des orages et de résister à la plupart des armes classiques en raison de la dureté de sa peau.

     Les récits zoulous relatent aussi la présence d’un peuple nain dénommé Abatwa. Ce sont des humanoïdes minuscules qui peuvent marcher sous l’herbe. Ils trouvent refuge dans les fourmilières et lancent des flèches empoisonnées. Il s’agit de la première tribu à régner sur le pays, avec bienveillance et dans le respect des espèces, à l’époque où la vie était miniature. Puis les plantes ont commencé à pousser, les animaux à grandir, et les hommes sont arrivés, développant comme un virus l’envie de dominer les autres, de les assujettir.

Représentation traditionnelle de l’Abatwa (A Book of Creatures, 2021)

Restés à leur taille d’origine – aussi petits qu’un insecte –, les Abatwa ont gardé les fourmis pour alliées ; armés de leurs minuscules flèches au poison ravageur, ils gardent les minerais sacrés, dont le diamant, et luttent désormais contre l’homme blanc malveillant. Seule la flatterie permet d’échapper à leur vengeance.

     Ce buissonnement de légendes sur les nains d’Afrique du Sud s’appuie sur un répertoire fossile fort conséquent concernant des hominidés dont la taille adulte ne dépasse pas 1m50 : Australopithecus prometheus, Homo gautengensis et Homo naledi.  

L’Australopitrhecus prometheus de Ron Clarke (2007)

     Dans l’imaginaire collectif, les australopithèques proviennent du « berceau de l’humanité » de l’Afrique de l’Est, notamment depuis la découverte en Ethiopie de la très médiatisée de Lucy (Yves Coppens, 1974). Mais il existe un autre « berceau de l’humanité » tout aussi riche en Afrique du Sud dans la province de Gauteng, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO dès 1999. Sur ce large site, une grotte en particulier retiendra notre attention : Sterkfontein, lieu de découverte au fil des années de trois types d’hominidés de petites tailles.

Le site de Sterkfontein, lieu de nombreuses découvertes fossiles d’hominidés

    

L’anthropologue australien Raymond Dart est le premier scientifique à mener des recherches systématiques dans cette grotte, l’amenant en 1925 à classer un jeune primate surnommé « l’enfant de Taung » (« Australopithecus africanus : the man-ape of South Africa », Nature, vol. 115, no 2884,‎ 1925, p. 195-199). Il fut classé parmi l’espèce Australopithecus africanus. Or, quelques années plus tard, dans une autre grotte (Makapansgat) sur ce large site du « berceau de l’humanité », Raymond Dart découvrit des fragments osseux assez différents de « l’enfant de Taung » pour l’amener à définir une nouvelle espèce d’Australopithèque : Australopithecus prometheus (« The Makapansgat proto-human Australopithecus prometheus », American Journal of Physical Anthropology, 6, pp. 259-283, 1943).

Raymond Dart en présence de « l’enfant de Taung » (Australopithecus, africanus, 1925).

     Il faudra attendre plus de 60 ans, en 1994, pour que le paléontologue Ronald J. Clarke découvre à Sterkfontein les fragments d’un nouveau spécimen d’australopithèque qu’il nomme « Little Foot », en raison de la taille très réduite de son pied gauche extrait en premier de la gangue fossile (R. J. Clarke et P. V. Tobias, « Sterkfontein Member 2 foot bones of the oldest South African hominid », Science, vol. 269, no 5223,‎ 1995, p. 521-524).

« Little foot » piégé dans sa couche de calcite (2007)

     « Little Foot » est un surnom certes marquant pour cet Australopithèque, mais pas autant que celui déniché par les médias pour lui donner un peu plus de lustre : « le cousin de Lucy » (Sciences et Avenir, 2015), en référence à l’hominidé le plus connu au monde (Yves Coppens, 1974). En tout cas, cet Australopithèque peut se targuer d’être l’un des spécimens les mieux conservés au monde. « Little foot » était une femme d’environ 30 ans, ne mesurant qu’1m35 pour une datation plus ancienne que Lucy, soit environ 3,67 millions d’années B.P.

Ronald J. Clarke et son protégé « Little Foot » (2007)

Après sa découverte (1994), puis un travail minutieux pour l’extraire de sa couche de calcite (2007), le spécimen, complet à 90%, fut enfin exposé au grand public en 2017 au sein de l’Université de Wiwatersand où officiait Ronald J. Clarke en tant que professeur éminent.

(Courtoisie Mujahib Safodien/AFP, 2017)

  J’étais grandement intrigué par ce squelette et sa taille de médiocre envergure (1m35). J’ai voulu en savoir plus, tirer cela au clair, et j’ai donc pris personnellement contact avec son parrain Ronald J. Clarke. Très rapidement, j’eus une réponse positive du chercheur. Après un échange de messages très cordial, il m’a fait l’honneur de me transmettre une épaisse documentation qui m’a permis d’y voir plus clair sur les enjeux posés par ce fossile.

Ces diverses documentations scientifiques de qualité (2019-2021) ont mis en lumière les spécificités anatomiques de cette espèce :

– « Little Foot » a acquis une bipédie très ancienne : vivant dans les arbres, il aurait mêlé assez habilement brachation ( déplacement sur les branches d’arbres) et bipédie partielle.

– Son morphotype était à mi-chemin entre le chimpanzé et l’homme : la taille était très semblable à celle du chimpanzé ; une brillante étude de son oreille montre qu’elle partageait des spécificités propres au chimpanzé et à l’homme.

– Il ressort de cette lecture académique un long chemin de croix pour avaliser « Little Foot » comme appartenant à l’espèce Australopithecus prometheus (Raymond Dart, 1943) et non plus à l’espèce Australopithecus africanus (Raymond Dart, 1925). Ainsi, l’ancien taxon Australopithecus africanus reste tout de même valable, grâce à ces quelques fossiles qui s’y rattachent : « l’enfant de Taung » (Raymond Tard, 1925), Mrs Ples (Robert Broom, 1947). Cette inertie dans le baptême scientifique de « Little Foot » serait dû à un conflit de chapelle entre Ronald J. Clarke et son homologue Lee R. Berger, qui ne voulait pas reconnaître la validité de « Little Foot » en tant qu’Australopithecus prometheus (Berger, L. R., & Hawks, J. « Australopithecus prometheus is a nomen nudum », American Journal of Physical Anthropology, 168, 383–387, 2019).

     Afin de résumer l’importance capitale de ce fossile, Ronald J. Clarke s’exprima ainsi au Figaro en 2007, démystifiant ainsi un peu plus la théorie déjà brinquebalante de l’East Side Story : « Nos ancêtres se tenaient déjà debout lorsqu’ils vivaient dans les arbres. Lorsqu’ils en sont descendus, ils marchaient debout ».  Ronald J. Clarke, très prolixe et influent, conservera cette ombre portée sur les deux autres hominidés que nous allons examiner sans plus tarder.

L’Homo gautengensis de Darren Curnoe (2010)

     Moins ancien mais tout aussi décisif que l’Australopithecus prometheus, notre prochain hominidé, Homo gautengensis, en référence au Gauteng (le fameux « berceau de l’humanité »), est l’hominidé sud-africain dont la taille adulte semble la plus petite : il n’excédait pas les 0,91 mètre pour une datation entre 2 et 0,8 millions d’années B.P. Le fossile le plus complet qui servira de référence (= holotype) est le crâne fragmentaire StW53 (Alan R. Huges, 1976) découvert à nouveau dans la grotte très prolifique de Sterkfontein en plein cœur du « berceau de l’humanité ».

Le crâne StW53, holotype d’Homo gautengensis (Alan R. Huges, 1976)

Le rattachement de ce crâne parcellaire à l’espèce Homo gautengensis mit un certain temps : la grotte Sterkfontein est tellement prolifique en squelettes d’hominidés en tout genre, que l’artefact fossile fut d’abord rattaché à l’Australopithecus africanus (Raymond Dart, 1925) ou encore à l’Homo habilis (Louis Leakey, 1964). Ensuite, la plupart des études l’ont souvent rattaché au genre Homo, précisant même qu’il appartenait à une nouvelle espèce, mais en restant laconique. Enfin, en 2010, l’anthropologue australien Darren Curnoe tranche le débat dans une communication de référence sur le sujet et baptise le sujet Homo gautengensis (Darren Curnoe, « A review of early Homo in southern Africa focusing on cranial, mandibular and dental remains, with the description of a new species (Homo gautengensis sp. nov.) », HOMO – Journal of Comparative Human Biology, 61(3): 151-177, 2010).

     Darren Curnoe rappelle dans cette communication scientifique la datation de tout le matériel osseux en rapport avec l’Homo gautengensis : le spécimen de Sterkfontain (= l’holotype StW53) est daté d’il y a entre 1,8 et 1,5 million d’années B.P ; celui de la grotte de Gondolin d’il y a 1,8 million d’années B.P. ; les spécimens juvéniles de Swartkrans sont datés d’il y a entre 1,0 et 0,6 million d’années.

     Selon Darren Curnoe, l’Homo gautengensis avait de grandes dents adaptées à la mastication de matériel végétal, un petit cerveau, et était probablement un spécialiste de l’écologie, consommant plus de matière végétale que l’Homo erectus, l’Homo sapiens et probablement que l’Homo habilis. Il a apparemment produit et utilisé des outils en pierre et peut même avoir produit du feu, car il existe des preuves d’ossements d’animaux brûlés associés à des restes fossilisés d’Homo gautengensis. Pesant environ 50 kg, il marchait sur deux pieds lorsqu’il était au sol, mais passait probablement beaucoup de temps dans les arbres, peut-être se nourrissant, dormant et échappant aux prédateurs. Il manquait probablement de capacités d’élocution et de langage, tout comme l’Homo habilis.

     Selon une communication personnelle avec Ronald J. Clarke, quelques spécimens fossiles ont été rattachés a posteriori au genre Homo gautengensis, notamment du matériel exhumé par Robert Broom que l’on avait autrefois attribué à tort à l’Australopithecus africanus. Certains chercheurs semblent même enclins à penser que les fossiles d’Homo habilis d’Afrique du Sud sont tous rattachables à ce nouveau genre. L’Homo gautengensis a donc le vent en poupe, bien aidé par son parrain Darren Curnoe qui, à l’instar de Ronald J. Clarke, multiplie les apparitions dans les médias pour communiquer sur son protégé. Très à l’aise dans la vulgarisation scientifique, Darren Curnoe est même devenu un chroniqueur radio régulier de la chaîne ABC depuis 2015.

Darren Curnoe en tournée médiatique (Australian TVABC-1, 2014), et dans la pastille vidéo How Did We Get There ? (UNSW, 2015)

 L’Homo naledi de Lee Rogers Berger (2015)

     Un fait ne lassera de nous surprendre : le troisième chercheur à l’honneur dans cet article, le paléoanthropologue Lee Rogers Berger, qui est à l’origine de la découverte de deux hominidés, Australopithecus sediba (2010) et Homo naledi (2015), a une nouvelle fois officié dans le même coffre à jouets paléontologique : les grottes de Sterkfontain, Malapa et Rising Star dans le « berceau de l’humanité » sud-africain. Avant de classer l’Australopithecus sediba, Lee Rogers Berger affute son raisonnement dès 1995 en mettant à jour le dossier de « l’enfant de Taung » (Raymond Dart, 1925) qui aurait pu être tué par un oiseau de proie.

Australopithecus sediba (Holotype MH1, Lee Rogers Berger, 2010)

Ensuite, le savant met en jour en 2010 L’Australopithecus sediba à partir d’un squelette juvénile partiel, l’holotype MH1, quasiment aussi complet que « Little Foot » de Ronald J. Clarke, et du squelette partiel d’une femelle adulte, le paratype MH2, tous deux découverts à la grotte de Malapa, piège mortel naturel, la base d’un long puits vertical dans lequel des animaux sont tombés accidentellement. Agé de 1,98 million d’années, cet australopithèque aurait vécu durant le Pléistocène inférieur aux cotés de Paranthropus robustus et des premiers représentants du genre Homo comme Homo gautengensis. Australopithecus sediba pourrait représenter une population survivante tardive ou un groupe frère d’Australopithecus africanus qui avait auparavant habité la région.

    Ensuite, dans le même « berceau de l’humanité » sur le site de Rising Star, Lee Rogers Berger découvre en 2013 plusieurs restes fossilisés qui seront attribués dans une publication scientifique de 2015 à un nouveau genre d’hominidés : Homo naledi (Lee Rogers Berger et al., « Homo naledi, une nouvelle espèce du genre Homo trouvée dans la chambre de Dinaledi, en Afrique du Sud »], eLife,‎ 10 septembre 2015). Naledi signifie « étoile » en langue Sésotho et fait référence au nom du site, Rising Star.

      D’abord estimé âgé d’1 à 2 millions d’années B.P au vu de sa morphologie, il a été daté en 2017 entre 335 et 236 000 ans seulement selon une communication scientifique de John Hawks. La difficulté de la datation provenait notamment de l’absence de faune fossile à proximité des spécimens d’Homo naledi et des spécificités géologiques du site, notamment l’étroitesse des conduits amenant aux chambres (John Hawks et al., « New fossil remains of Homo naledi from the Lesedi Chamber, South Africa », eLife, vol. 6, no e24232,‎ 2017).

     Homo naledi présente des traits le rapprochant du genre Australopithecus, avec notamment une taille d’1,50 mètres et un poids moyen de 45 kilos pour un faible volume crânien, mais aussi des premiers représentants du genre Homo, avec lesquels il partage d’autres caractéristiques, notamment une bipédie très avancée. Par ailleurs, le grand savant Yves Coppens rapprochait cet hominidé des australopithèques : «  l’Homo en question n’est, bien sûr, pas un Homo, avec la petite tête qu’il a, mais un Australopithèque de plus, de même qu’il y a eu de nombreuses espèces différentes de cochons, d’éléphants, d’antilopes, en fonction des variations du climat et des niches écologiques » (Hervé Morin, « Homo naledi, une découverte qui laisse perplexe », Le Monde,‎ 10 septembre 2015).

Homo naledi : reconstitution de l’holotype MH1 avec d’autres fragments fossilisés

Homo naledi : détail du crâne de l’holotype MH1

Selon l’université du Witwatersrand, le National Geographic et le ministère sud-africain des Sciences, les mains d’Homo naledi  laissent supposer qu’il avait la capacité de manier des outils, les phalanges des doigts étaient assez incurvées, ce qui est une caractéristique partagée avec les australopithèques et les premiers représentants du genre Homo. Par ailleurs, il est pratiquement impossible de distinguer ses pieds de ceux d’un homme moderne. Ses pieds et ses longues jambes laissent penser qu’il était adapté à des marches de très longue durée. Pour résumer sa morphologue si singulière : le bas du corps et les mains évoquent le genre Homo ; le haut du corps et le petit cerveau rappellent les Australopithèques.

Une main, en vue palmaire (à gauche) et dorsale (à droite, photographies de Robert Clark, National Geographic)

     L’Homo naledi a même connu un regain d’intérêt en 2023, ce qui m’a poussé initialement à écrire cet article sur le dossier sud-africain : Lee Rogers Berger estime que les restes très parcellaires de Leti, un Homo naledi juvénile, auraient pu être inhumés par ses congénères, faisant remonter la pratique d’une conscience funéraire à un temps bien plus ancien que celui d’Homo neanderthalensis  (Lee Rogers Berger et al., « Immature Hominin Craniodental Remains From a New Localityin the Rising Star Cave System, South Africa », PaleoAnthropology, 2021).

Lee Rogers Berger avec une reconstitution du crâne de Leti : aurait-il été inhumé ? (2021)

    Pour mener notre réflexion à terme, cette histoire de « berceau de l’humanité » sud-africain se résume depuis trente ans à une folle course aux fossiles d’hominidés émaillée de plusieurs conflits d’autorité : Ronald J. Clarke mésestime le travail de Darren Curnoe en pensant que certains fossiles d’Homo gautengensis sont assimilables à Australopitecus africanus ; Lee Rogers Berger essaie d’invalider le rattachement du « Little Foot » de Ronald J. Clarke à l’Australopithecus prometheus ; Lee Rogers Berger irrite ses collègues Ronald J. Clarke et Darren Curnoe par ses publications trop hâtives.

De plus, devenant un personnage médiatique, à l’honneur sur National Geographic et dans le documentaire Unknow : cave of bones (2023) sur Netflix, la communauté scientifique sud-africaine ne manque pas de le taxer de vulgaire « chasseurs de fossiles ».

     Cette tension théorique entre savants entraînera même des répercussions plus personnelles : Ronald J. Clarke prendra ses distances avec Lee Rogers Berger et quittera l’Université de Wiwatersand, l’amenant à finir sa carrière à l’Université Goethe de Francfort. La tentation de l’anthropogénèse s’empare de ce foisonnement de baptêmes scientifiques et les querelles de chapelle s’enchaînent sans véritable fin. La course au « chaînon manquant » et aux rares subventions d’Etat sur le sujet galvanisent un sentiment d’appartenance : à qui reviennent ces fossiles d’hominidés de Sterkfontein ? A Ronald J. Clarke, Darren Curnoe ou Lee Rogers Berger ? A la communauté scientifique bien évidemment, et la position attentiste d’Yves Coppens sur ce dossier semble finalement emplie de sagesse, tant les révisions phylogénétiques ont été légions entre Australopithecus et Homo et appellent à la prudence.

     Malgré ces nombreuses querelles scientifiques et ces conflits d’autorité, les découvertes fossiles autour d’hominidés de petites tailles rendent le dossier sud-africain particulièrement dense et cohérent. Dans cette nouvelle course aux fossiles d’hominidés, ma conscience scientifique m’oblige à évoquer le cas d’un canular grossier autour d’un supposé hominidé de très petite taille : l’Homo alaouite découvert par Mohammed Zarouit au Maroc.

      La version de ce paléontologue amateur est la suivante : « Ce jour-là, j’eus la chance de découvrir un petit crâne de Primate, dans une carrière de marbre, à 16 km d’Erfoud (désert de Tafilalet). L’émotion était immense, car je sais que le terrain n’a pas moins de 360 millions d’années. C’est donc aussi l’âge du crâne ! Enfoui dans le sable, dans cette carrière où les travaux à ciel ouvert d’extraction de marbre avaient été suspendus, le crâne se trouvait seul. Il n’y avait pas de traces du squelette post-crânien » (Mohammed Zarouit, « Etude préliminaire et premières photographies d’un petit crâne de type humain trouvé au Maroc », Bipedia n°25, 2005).

Crâne présenté comme l’Homo alaouite (Mohammed Zarouit, 2005)

 Illuminé par sa découverte et après une sommaire description anatomique du crâne, le paléontologue amateur surenchérit un peu plus loin avec des accents quelque peu nationalistes : « J’ai l’honneur de donner à ce spécimen le nom scientifique d’Homo alaouite, en hommage à la dynastie Alaouite, dont Tafilalet, le lieu de la découverte, est le berceau » (Bipedia, Id.).

     En reprenant notre sérieux face à cette note préliminaire et en se prêtant à un rapide debunk, le crâne de l’Homo alaouite ne résiste pas à l’examen :

– l’ancienneté supposée du crâne remontant à 360 millions paraît hautement improbable : nous avons vu que les premiers Homo (sp., habilis) sont datés au maximum à 2,8 millions d’années ; les premiers Australopithèques (anamensis, afarensis) sont datés à 4,2 millions d’années ; les premiers mammifères placentaires sont datés à 90 millions d’années. La datation de ce crâne est donc tout simplement fantaisiste.

– même si la datation doit être remise en cause, une autre ombre noircit le tableau : sur les milliers de fossiles d’hominidés retrouvés, aucun fossile aussi ancien n’a eu la mâchoire adhérente au reste du crâne. De plus, les sutures crâniennes sont inexistantes sur Homo alaouite.

– les sites fossilifères près d’Erfoud sont très défavorablement connus pour leurs faux en tout genre que les antiquaires du secteur confectionnent avec soin afin de les refourguer à des paléontologues amateurs quelque peu naïfs. 

     Chers lecteurs de Strange Reality, après cette première plongée sur les terres sud-africaines, j’explorerai lors du prochain article une nouvelle aire géographique concernant les peuples pygmées, naviguant toujours entre science, anthropologie, folklore, conflit d’intérêts et démystification.

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