Entretien avec Noémie Budin

Il y a des amateurs passionnés, comme nous ici et des professionnelles tout aussi passionnées, comme peut l’être Noémie Budin, qui est docteure en Langue et Littérature françaises et chercheuse associée au laboratoire LIS (Université de Lorraine) et à l’UMR Litt&Arts (Université Grenoble Alpes). Elle a accepté avec bienveillance de partager avec nous un peu de son savoir sur la représentation du Petit Peuple dans notre culture.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes venue à vous spécialiser sur le Petit Peuple ?

J’ai toujours été passionnée d’imaginaire et de Petit Peuple. Enfant, je me souviens avoir lu Le Livre des fées séchées de Lady Cottington de Brian Froud et Terry Jones. Cet ouvrage m’a alors beaucoup marquée. J’ai, par la suite, commencé à collectionner les beaux livres de ce genre et je suis tombée dans la fantasy grâce à Harry Potter, ce qui a renforcé mon goût pour cet imaginaire. La lecture des œuvres de Tolkien est venue nourrir mon intérêt qui ne m’a jamais quittée.

Lorsque j’ai effectué mes études à l’université, j’étais toujours intéressée par ce type de littérature. J’ai débord effectué un mémoire de master sur les légendes arthuriennes avant d’oser proposer un sujet de recherche de doctorat sur ce qui m’avait toujours motivée : le Petit Peuple. Par chance, j’ai trouvé un directeur de recherche qui a accepté de me soutenir dans ce projet que j’ai pu défendre devant une commission m’ayant permis d’obtenir un financement pour le mener à bien.

Mon sujet de thèse exact s’intitule : La Représentation du Petit Peuple féerique dans la littérature de jeunesse francophone contemporaine : tradition féerique et renouvellement romanesque depuis 1992. ( Thèse à lire ici, deux articles ici et ici ).

L’arrivée du roi et de la reine des Fées. auteur inconnu

Il s’agissait de se questionner sur le renouvellement de l’attrait pour cet imaginaire féerique dans la littérature francophone (principalement française) depuis les années 1990. On constate en effet qu’il y a des effets de mode dans l’histoire littéraire et que cet imaginaire a par exemple intéressé le Moyen Âge ou les Romantiques mais qu’il a ensuite été délaissé pendant plusieurs décennies, ce qui n’est pas le cas dans les œuvres anglo-saxonnes par exemple. J’ai donc cherché le pourquoi de ce renouvellement en émettant des hypothèses en lien avec les problématiques de notre époque comme l’écologie, la perte de repères, etc. et l’avènement tardif de la fantasy dans notre pays.

Actuellement, je continue d’effectuer des recherches en lien avec cette thématique : j’ai rédigé un ouvrage sur les licornes et je participe à un groupe de recherche qui se questionne sur les imaginaires du temps.

Quelques exemples d’ ouvrages écris par Noémie Budin ou auxquels elle a participé.

Depuis quand existe le Petit Peuple, où serait-il né ?

Pour résumer le plus succinctement possible. Le Petit Peuple n’est pas né à un moment et en un point précis. Je prendrai la citation de J.M. Barrie dans Peter Pan pour illustrer mon propos car je la trouve très parlante : « Lorsque le premier bébé rit pour la première fois, son rire se brisa en un million de morceaux, et ils sautèrent un peu partout. Ce fut l’origine des fées. ». En effet, le Petit Peuple existe depuis que les êtres humains se racontent des histoires. Ce sont en quelques sortes les premières divinités, celles qui accompagnent les Hommes au quotidien, et qui les ont suivi jusque nos jours. Comme ce sont des divinités secondaires ou de la petite mythologie, comme on dit parfois, c’est-à-dire des divinités qui n’ont pas un rôle très défini ni une image très précise, elles sont su résister et s’adapter aux dynamiques de syncrétisme successives. En somme, elles ont su se faire une place dans toutes les mythologies et croyances qui se sont succédées pour perdurer jusqu’à nous. Le développement des arts, de la littérature et du cinéma les a beaucoup servies puisqu’elles sont devenues les muses des artistes.

Illustration de Jessie Willcox Smith pour La Princesse et le Gobelin, roman de George MacDonald 1872

J’aime bien la formule de Petit Peuple parce qu’il ne désigne pas une espèce ou une apparence en particulier. On imagine des petites créatures qui grouillent, comme elles sont souvent représentées, mais le terme prend aussi en compte des entités plus grosses pour la simple et bonne raison que si elles souvent considérées comme petites dans notre culture (par opposition aux divinités majeures, sans doute), elles n’ont pas de taille fixe. Après tout, on trouve des trolls gros et petits et il en est de même pour les fées et les elfes. C’est que les noms eux-mêmes de ces créatures ne désignent pas toujours la même chose. C’est aussi pour cela qu’il est difficile d’en définir une origine précise : les grands trolls ou elfes viendraient davantage de la culture scandinave quand leurs versions plus petites seraient inspirées des croyances celtes ou méditerranéennes. Les mouvements de personnes à travers l’Histoire ont mélangées toutes ces entités pour créer des hybrides, des sortes de chimères qui ont accumulé les caractéristiques des uns et des autres.

La question de la signification de l’apparition de ce phénomène est elle aussi complexe. Elle dépend de l’époque et des problématiques des individus qui ont eu besoin de ces entités. Il s’agit de répondre à une nécessité : les premières créatures féeriques étaient certainement liées à la nature, des sortes de personnification de l’âme des végétaux, des pierres, des animaux, à l’image des élémentaires de la kabbale juive par exemple. Elles étaient un moyen de converser et d’échanger avec la mère Nature. Par la suite, ces entités sont devenues des divinités du foyer comme les Lares et les Pénates chez les Romains. Elles ont toujours été au plus près des besoins vitaux des Hommes : la nourriture, la fertilité, le foyer… Par exemple, le dieux Priape représentait la fertilité et était directement lié aux premières divinités de la nature. Aujourd’hui encore, son culte perdure sans qu’on en ait conscience à travers les nains de jardin que certains aiment positionner au milieu de leurs fleurs et de leurs potagers !

Cet ouvrage est un recueil de témoignages contemporains d’observations de fées au Royaume-Uni..

Les gens ont ils vraiment cru dans l ‘existence du Petit Peuple, l’ont-ils pris au sérieux?

Pour répondre sérieusement à cette question, il faudrait se tourner du côté de la sociologie. Je suis spécialiste de la littérature et je ne me sens pas légitime pour y répondre. Mais ce sont des divinités comme les autres. Je dirais donc qu’on y a cru au même titre qu’on a cru en l’existence de Zeus et Athéna. Et aujourd’hui, certaines personnes y croient dur comme fer, alors pourquoi pas !

Pour ce qui est des preuves, je me contenterai de mentionner le cas des fées de Cottingley : deux jeunes photographes amatrices auraient pris des photographies de fées au début du XXe siècle. Cette affaire a fait la une de la presse et de grandes personnalités comme Sir Arthur Conan Doyle y ont cru fermement.

The Cottingley Fairies, désigne un canular photographique réalisé autour de1920 par deux fillettes qui voulaient selon elles, prouver l ‘existence du Petit Peuple. En pleine mode du spiritisme, ces photographies furent considérées par certains comme une preuve de l ‘existence des fées et du surnaturel.

Existe t-il un lien entre les motifs folkloriques et les contes de fées ? Le Petit Peuple est il le même, chez Charles Joisten ou chez Grimm ?

C’est exact. Ce que l’on appelle aujourd’hui des contes pour enfants étaient à l’origine destinés au grand public dans son ensemble. Il s’agissait d’un ensemble de croyances et histoires populaires transmises de générations en générations. A l’origine, il s’agissait par exemple de prévenir et de mettre en garde la population par des récits métaphoriques de ce que peut engendrer telle ou telle conduite. Ainsi, on prévenait les jeunes filles que se balader seule en forêt à la nuit tombée était dangereux, qu’il ne fallait pas faire confiance à des inconnus, etc. Peut-être y avait-il aussi une portée cathartique dans ces histoires afin de parler des actes néfastes pour éviter qu’ils ne se produisent. La mise à l’écrit de ces histoires depuis le XVIIe siècle a fixé leur forme mais a aussi permis de voir comment de telles histoires pouvaient s’adapter d’une époque à une autre, d’un public à un autre. D’abord, la dimension morale a souvent été conservée dans ces histoires mais elle s’est adaptée, tout comme le langage et la visée de ces récits : au fil du temps, ils ont été beaucoup édulcorés car le public en était de plus en plus jeune et on avait pour volonté de ne pas le traumatiser.

« The Fairies’ Banquet » John Anster Fitzgerald « Le Banquet des Fées » 1859- « De nombreux recueils de mythologie féerique publiés au début du 19e siècle incluent des observations des banquets de fées et des récits d’humains mangeant de la nourriture féerique. Le liseron violet, un hallucinogène naturel, peut indiquer que la nourriture n’est pas bonne à manger pour les humains. Les symboles associés à cette fleur : « sommeil » ou « mort ».

Cela répond également à la question de la différence entre Joisten et Grimm : les frères Grimm s’adressent aux enfants d’une population d’origine huguenote au XIXe siècle en Allemagne. Si leurs histoires nous paraissent parfois cruelles, elles le sont beaucoup moins que les récits populaires qui ont inspiré ces versions (il suffit de voir celles de Perrault pour s’en rendre compte). De son côté, Joisten, collecte des récits qui ne sont pas destinés à des enfants et qui se veulent plus brutes, moins travaillées d’un point de vue éditorial, même si la collecte s’est effectuée au cours du XXe siècle et a donc nécessairement subi l’influence de récits célèbres comme ceux de Grimm.

Les contes de fées (Grimm, Perrault, etc.) ont donc pu influencer les informateurs dans la collecte entreprise par des folkloristes comme Van Gennep, Joisten ?

Ce n’est pas une question que j’ai creusée dans mon travail, je ne saurais donc y répondre correctement. Je dirais simplement que les folkloristes avaient connaissance de ces récits et qu’ils ont pu établir des parallèles avec l’objet de leurs collectes. C’est notamment ce qui a permis la réalisation de la classification Aarne-Thompson qui indexe les motifs types des contes folkloriques. Elle a permis de constater que dans toutes les cultures les mêmes motifs reviennent toujours.

Parmi ces motifs tellement répandus, on peut citer celui du changelin, ou celui de la révélation ou non de l ‘utilisation secrète  d’une plante bien connue par ailleurs, ou celui des humains qui se moquent, jouent des tours, et provoquent le départ du Petit Peuple. Comment peut-on interpréter ces récits, leur donner un sens?

Effectivement, les mêmes motifs reviennent sans cesse. En général, ce sont des motifs qui font appel à des éléments, des problématiques issus du quotidien, qui peuvent parler à tout le monde quelle que soit sa culture ou son époque (comme la question de l’inceste ou de la mort). Chaque motif a sa propre symbolique et celle-ci peut aussi évoluer au cours du temps. Aujourd’hui, de nouveaux motifs récurrents apparaissent dans la littérature, comme celui des membres du Petit Peuple qui disparaissent à cause de l’impact anthropique et qui met en avant une dimension écologique derrière les récits féeriques.

Arthur Rackham est un illustrateur britannique décédé en 1939, spécialiste dans les ouvrages pour enfants, et les contes folkloriques.

Le Petit Peuple avec lequel les enfants, les adolescents d’aujourd’hui sont familiers, a t-il évolué selon les époques ?

Oui, l’évolution est importante. D’abord, les personnages féeriques sont aujourd’hui devenus de façon récurrente les personnages principaux des histoires. Cela fait que leur personnalité, leurs caractéristiques, etc. sont aujourd’hui plus travaillées et précises qu’avant.

De même, le développement des œuvres, les différents médias et la popularité de certaines œuvres ont fixé des archétypes, c’est-à-dire des personnages types. Si on vous parle de fée ou d’elfe, vous avez nécessairement une image très précise de ce dont on vous parle. Cette image est influencée par les œuvres que vous avez fréquentées : les fans d’Harry Potter voient les elfes petits avec de longues oreilles tombantes quand ceux de Tolkien les voient grands, blonds et séduisants.

Dans les contes, même si on les appelle les contes de fées, les personnages folkloriques féeriques ont souvent un rôle secondaire : ce sont les adjuvants ou les opposants des quêtes, rarement les protagonistes. Ils servent de décors, ils représentent les forces de la nature, la dimension fantastique, c’est-à-dire le caractère inexpliqué de ces histoires. Et surtout, le terme de fées semble faire références à son étymologie, à savoir le latin fatum « le destin », puisqu’il s’agit de suivre les destinées plus ou moins tragiques des personnages principaux influencés par la présence de créatures féeriques.

La fée doit se livrer à la reine et perdre son pouvoir pendant huit jours, illustration de Virginia Frances Sterret pour les Old French Fairy Tales, 1920.

Quel a été l ‘âge d’or du Petit Peuple dans notre culture. Finalement n ‘est-ce pas aujourd’hui ?

L’âge d’or du Petit Peuple est difficile à définir car tout dépend des critères que l’on met derrière. Si l’on veut parler d’une époque où l’on honorait ses membres comme des divinités alors il faut sans doute remonter à l’Antiquité voire avant. Le Moyen Âge n’est pas mal placé si l’on se concentre sur certaines entités mais cela dépend des régions et des périodes.

L’Art nouveau se situe au même titre que l’architecture gothique ou que l’art romantique, je dirais. C’est un art qui s’inspire de la matière féerique et folklorique, qui le développe de façon symbolique, pour se nourrir.

Enfin, si l’on s’intéresse à l’économie mise en place autour de ces créatures, l’époque contemporaine est un âge d’or : on a qu’à voir l’argent généré par les représentations des personnages issus des adaptations cinématographiques de Tolkien et Rowling.

La remise au goût du jour de cette culture païenne est sans doute causée par un questionnement de notre société quant à ses repères, ses problématiques écologiques, son lien avec la nature et la sensation d’avoir perdu une vision magique du monde. L’œuvre de Tolkien n’y est pas pour rien mais elle est avant tout l’un des symptômes d’un phénomène de grande ampleur.

Exemple de l ‘engouement pour les fées aujourd’hui.

FIN

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