Menehunes, le petit peuple oublié d’Hawaï

Deux traditions immanquables d’Hawaï : le menehune et le surf (Howard Hitchcock, 1926)

          

     Chers lecteurs de Strange Reality, nous restons en Asie Pacifique, et pour nous pencher sur quelques-unes des îles les plus isolées. A cet égard, les îles Banks de la Mélanésie dans l’archipel du Vanuatu abriteraient un petit peuple connu sont le nom de nopitus.

     Le nopitu est un nain facétieux qui a la capacité de prendre possession de l’esprit d’une personne. Sur l’île de Mota, les anciens racontaient l’histoire suivante à son sujet : « Certains vui, êtres spirituels, mais en quelque sorte corporels, figurent étrangement dans les récits de Mota sous le nom de Nopitu, et de Motlav, sous une autre forme du même mot, sous le nom de Dembit. Il y a souvent une difficulté à comprendre ce qu’on raconte à leur sujet, car le nom Nopitu est donné à la fois à l’esprit et à la personne possédée par l’esprit, qui accomplit des merveilles par la puissance et au nom du Nopitu qui le possède. Un tel individu s’appellerait Nopitu ; plutôt, parlant de lui-même, il dira non pas « moi », mais « nous deux », signifiant le Nopitu en lui et en lui-même, ou « nous » lorsqu’il est possédé par plusieurs. Il dansait lors d’un festival, comme un kolekole, car aucun homme non possédé par un Nopitu ne pouvait danser. Il se gratterait le bras ou la tête, et de l’argent neuf, lui tomberait des doigts ; Vetpepewu m’a raconté qu’il avait vu de l’argent tomber d’un Nopitu dans un kolekole – des sacs pleins. On se secouait sur une natte et l’argent non enfilé y déversait. Il prenait une noix de coco à boire, et les passants entendaient de l’argent couler à la place de l’alcool, et claquer contre ses dents, et il le crachait par terre. Tursal a vu à Mota une femme vomir de l’argent indigène – une Nopitu possédée par un tel esprit. Pour obtenir la faveur des Nopitu, les hommes offraient, oloolo, comme en sacrifice, au possédé ; je lui donnerais une igname rouge et des amandes ; il mangeait l’igname crue et on l’entendait croquer l’argent avec ses dents. Si on lui offrait une jeune noix de coco, il ouvrait l’œil et buvait, puis il la rendait pleine d’argent » (William George Aston, A History of Japanese Literature, 1899).

     Si ces contes sont en grande partie enjolivés, les îles Banks n’en demeurent pas moins un centre archéologique majeur pour la culture Lapita apparue en 3500 ans B.P. : Jean-Christophe Galipaud fouille depuis 1996 les îles de Santo, Malo et Aore, et son collègue Stuart Bedford fouille depuis 2004 le site de Téouma. Ce dernier site a révélé les premières inhumations de la culture Lapita, alors que les sites du Nord (Malo/Aore) marquent sans doute le centre véritable des échanges commerciaux des Lapita. Les premières occupations remontent vers 1100 av. J.-C. à Aore avec la présence d’obsidienne en provenance directe de Nouvelle-Bretagne.

Site d’inhumation de Téouma au Vanuatu, culture Lapita (Frédérique Valentin, 2015)

    Les fossiles des hommes préhistoriques de culture Lapita, vieux de 35000 ans, n’étant pas selon les recherches actuelles de taille pygmée, les nains du Vanuatu (nopitus) demeurent rattachés à une vision très folklorique et romancée du petit peuple. Les nopitus semblent trop légendaires, évanescents, se perdant dans la brume du temps et des croyances ancestrales. Nous allons pourtant rencontrer à des centaines de kilomètres au nord de Vanuatu, dans le paradisiaque archipel d’Hawaï, un dossier bien plus tangible et documenté : celui des menehunes.

    Les menehunes sont un peuple de nains ayant habité l’archipel d’Hawaï. Ils n’étaient présents que sporadiquement sur l’île principale (Hawaï) et deux autres îles (Maui et Ohau), leur habitat de prédilection étant Kauai, la quatrième île en superficie, et plus particulièrement la réserve naturelle de Pukapele.

La sublime réserve naturelle de Pukapele au cœur de l’île très peu peuplée de Kauai

     Ces créatures naines sont discrètes, ne se montrent jamais aux hommes et vivent dans les forêts humides ou les vallées les plus reculées. Les menehunes se nourrissent principalement de bananes, mais aussi de poissons et de crevettes. Ils adorent également plonger des falaises et tirer à l’arc, leur arme favorite. Mesurant environ 90 cm, ils étaient considérés comme d’habiles tailleurs de pierre qui s’aventuraient après le crépuscule pour construire des canoës, des routes, des étangs et des murs ou pour chanter et jouer des instruments de musique. Ils fuyaient la lumière du soleil et leurs efforts de construction titanesques, qu’ils soient achevés ou non, s’arrêtaient toujours avant l’aube où ils disparaissaient.

Les premiers bâtisseurs d’Hawaï

     Tout comme les nutons de Belgique et les laminak de France, les menehunes seraient les bâtisseurs de structures en pierre assez sommaires. L’antiquaire et historien Thomas G. Thrum, en collaboration avec l’ethnologue suédois Abraham Fornander, arriva à Hawaï sur un baleinier en 1844, et recueillit des récits provenant des autochtones hawaïens principalement de Kauai et d’Oahu qui décrivaient les caractéristiques principales des menehunes : « On disait d’eux qu’ils étaient musclés, avec un front bas et proéminent et de grands yeux, cachés par d’épais sourcils. Les Hawaïens pouvaient faire appel aux menehunes pour effectuer des travaux de construction pendant la nuit, et le paiement était d’un plat de crevette pour chaque menehune. Les projets de construction étaient généralement des travaux publics tels que des routes ou des temples » (Thomas G. Thrum, Hawaiian Folk Tales : A Collection of Native Legends, 1907).

    Une de leurs plus grandes réalisations demeure Kikiaola (ou le fossé des menehunes), une fosse d’irrigation servant à acheminer l’eau de la rivière Waimea à Kauai. Il a été découvert par les Européens dans les années 1700 et a été décrit précisément par George Vancouver en 1792. Il est considéré comme une merveille d’ingénierie en raison des 120 blocs de basalte taillés proprement (ce qui aurait nécessité des outils et des techniques de coupe de précision) qui bordent environ 61 mètres de fossé. Ce canal transporte l’eau pour irriguer les étangs pour la culture du taro. Il diffère également des constructions de murs rocheux typiques d’Hawaï, même si les Hawaïens étaient parfaitement compétents en matière de maçonnerie de pierre.

     Le récit collecté par Thomas G. Thrum au sujet de ce fossé est le suivant : Pi était un homme ordinaire vivant à Waimea, Kauai, qui voulait construire un barrage à travers la rivière Waimea et un cours d’eau qui en découle jusqu’à un point près de Kikiaola. Après avoir choisi le meilleur emplacement pour son travail, il se rendit aux montagnes et ordonna à tous les menehunes qui étaient vivant près de Pukapele de préparer les pierres du barrage et du cours d’eau. Les menehunes furent réparties pour le travail : certains pour ramasser des pierres, et d’autres pour les tailler. Tout le matériel était prêt en un rien de temps, et Pi s’est fixé la nuit où le travail était à faire. Le moment venu, il se rendit au point où le barrage devait être construit, et il a attendu. En pleine nuit, il entendit le bruit et le bourdonnement des voix des menehunes en route vers Kikiaola, dont chacun portait une pierre. Avant la pause de jour où les travaux furent terminés, la rivière Waimea a été transformée en cours d’eau par le barrage sur les terres plates de Waimea. Le barrage était dûment construit, chaque pierre s’adaptant à sa place.

 

Kikiaola (fossé d’irrigation censément bâti par les menehunes)

    

Une fois le travail terminé, Pi servit à manger les menehunes avec un plat qui se composaient de crevettes, seul met disponible en quantité suffisante pour fournir à chaque menehune un poisson entier. Bien repus et satisfait, ils retournèrent à l’aube aux montagnes de Pukapele en se réjouissant, et l’écho de leurs voix a donné lieu au dicton : « le bourdonnement de voix des menehunes à Puukapele (île de Kauai), surpris les oiseaux de l’étang de Kawainui (île d’Oahu) ».

     À un moment donné, Pi, satisfait du travail du petit peuple, a également ordonné aux menehunes de murer un étang à poissons au détour de la rivière Huleia. Ils commencèrent le travail vers minuit, mais à l’aube les parois de l’étang n’étaient pas suffisamment finies pour se rencontrer. Il est donc resté incomplet jusqu’à ce jour.

Alekoko (Bassin à poissons censément bâti par les menehunes)

      Le bassin à poissons d’Alekoko à Kauai (que les archéologues estiment construit il y a mille ans), aurait aussi été fabriqué par les menehunes. L’Alekoko Fishpond, également connu sous le nom de Menehune Fishpond, est un étang de 41,2 hectares situé dans un coude de la rivière Hule’ia sur l’île de Kauai. L’étang intérieur a été construit avec un mur de pierre et de terre de 823 m de long il y a environ 600 ans, bien que l’on ait également avancé 1 000 ans. Comme à Kikiaola, le mur est une structure unique de boue et de roche qui diffère de la plupart des murs d’étangs hawaïens connus, qui sont généralement faits de gros blocs de basalte.

     Les menehunes sont aussi crédités à la construction de nombreux heiaus, des temples antiques hawaïens, dans diverses îles de l’archipel. Le heiau de Mookini, près de Honoipu, Kohala, est signalé comme un exemple de leur merveilleux travail.

L’heiau de Mookini (île d’Hawaï), un temple censément bâti par les menehunes

   

Selon Thomas G. Thrum, l’endroit choisi pour l’emplacement du temple était sur une plaine herbeuse. Les pierres du quartier le plus proche étaient, pour une raison ou pour une autre, jugés inappropriés pour les travaux, donc celles de la vallée de Pololu, éloignées de quelques douze milles, ont été sélectionnées. La tradition dit que les menehunes étaient placés sur une ligne couvrant toute la distance de Pololu à Honoipu, grâce à quoi les pierres ont été passées de main en main pour l’ensemble de l’ouvrage. Les travaux commencèrent dans le calme de la nuit et au chant du coq du matin, c’était fini. Ainsi, en une seule nuit, le heiau de Mookini fut construit.

    Un autre temple de leur construction se trouvait à Kalalea : la particularité de l’ouvrage étant que les pierres avaient été réunies par les habitants de cette partie du district, par direction du chef. A la nuit tombée, les menehunes se rassemblèrent et le construisirent. Le chef et ses gens furent surpris en arrivant le lendemain matin pour reprendre leurs travaux, de trouver le heiau déjà achevé.

L’heiau de Kalalea (île d’Hawaï), autre temple censément bâti par les menehunes

     En traversant les champs de lave en direction de la baie de La Pérouse (île de Maui), se dresse un muret de pierre de chaque côté de la route. Les Kanaka Maoi (autochtones hawaïens) vont diront que les bâtisseurs de ce mur sont les menehunes.

Mur de pierres archaïque (île de Maui) censément construit par les menehunes

      Ces constructions en pierres seraient estimées entre 1000 et 600 ans B.P. Deux hypothèses sont donc avancées pour déterminer qui en étaient les habiles constructeurs : soit la premier vague de peuplement connu (les marquisiens) entre 1000 et 800 ans B.P, soit les fameux menehunes qui, selon la seconde vague de peuplement (les tahitiens), auraient été forcés à construire les bassins artificiels ou les canaux contre paiement en nature, dont le fameux plat de crevette de la légende.

Hawaïens et menehunes

     Afin d’éclairer ce fil rouge entre menehune et autochtone hawaïen, un petit point étymologique s’impose : d’après Thomas G. Thrum, les Hawaïens désignaient les menehunes par le terme Kama’āina, c’est-à-dire « enfant de la terre », ce qui a fini par désigner les peuples autochtones de l’île. Fait intéressant, cet écrivain considérait les menehunes comme les ancêtres des Hawaïens d’aujourd’hui et leur culture comme antérieure à toutes les autres cultures polynésiennes de l’archipel.

     Une étymologie alternative est aussi proposée : le missionnaire britannique William Ellis (1794-1872) rattache « menehune » au mot manahune de langue polynésienne, qui désignait la plus basse des trois classes sociales tahitiennes, c’est-à-dire les ouvriers non qualifiés et les domestiques.

     Les deux étymologies peuvent aisément se combiner pour comprendre le phénomène menehune : « les enfants de la terre » rappelle que les menehunes sont les habitants originels de la terre hawaïenne ; le sobriquet « manahune », plus tardif, correspond à un mépris de leur condition (notamment par leurs travaux de manutentionnaires) par les nouveaux arrivants de l’île, rappelant le phénomène de dévalorisation déjà étudié avec les cagots. Les recherches sur les menehunes mettent donc en lumière les origines du peuplement de l’archipel d’Hawaï.

     D’abord, la datation au radiocarbone suggère que les Polynésiens arrivèrent dans l’archipel d’Hawaï en provenance d’Hiva (les Marquises) entre 1000 et 1200 ap. J.C. Cette première vague de polynésiens venus des Marquises trouva des viviers, des temples, des routes, des barrages et des maisons parsemés sur les îles, constructions des menehunes qui vivaient dans des grottes ou au fond des forêts. Ces indices archéologiques sont ceux précédemment évoqués : fossé d’irrigation, lacs artificiels, heiau, etc.

     Ensuite, vint une seconde vague d’immigration dans les années 1400 par les habitants de Kahiki (identifié comme Tahiti), également polynésiens, qui considéraient les premiers colons comme des manahune – « manutentionnaires de bas étage » ou menehune, les forçant à fuir vers les forêts et les montagnes ou bien à participer aux travaux les plus vils.  

     Enfin, les colons anglais arrivent sur les terres hawaïennes avec James Cook en 1778, séquence moderne qui s’achèvera avec l’annexion d’Hawaï au territoire des Etats-Unis le 7 juillet 1898, faisant des deux premières vagues (marquisienne et tahitienne) les véritables autochtones hawaiiens.

Pirogues à balanciers, qui participèrent aux premières vagues de peuplement d’Hawaï

     Alors, ces menehunes sont-ils réductibles à la première vague marquisienne ou viennent-ils d’une vague antérieure ? Rien n’est moins sûr… Nous savons en revanche que ce peuple fut méprisé par les marquisiens et les tahitiens, réduit aux travaux les plus pénibles, ce qui entraîna irrémédiablement leur disparition.

     Les récits collectés par Thrum et Fornander nous donnent à nouveau une clef de compréhension : « Il existait il y a 800 ans un monarque du nom de Ke-alii-waha-nui. Il était le roi du pays appelé Honua-i-lalo (ndlr : île d’Hoau). Il a opprimé le peuple Menehune. ». Une autre source de la bibliothèque de l’université d’Hawaï raconte ceci : « Vers 1500, Umi, roi de la Grande Ile (ndlr : île d’Hawaï), aurait fait un recensement de son royaume. Rassemblant tout son peuple dans une plaine près de Hualālai, il a demandé à chacun de déposer une pierre sur une pile représentant son district. Un recensement minutieux de la vallée Wainiha (île Kauai), a permis de dénombrer plus de 2 000 personnes, dont soixante-cinq ont été décrites comme étant menehune ».

     Soixante-cinq menehunes sur deux mille, soit 3,25% de la population de Kauai : les menehunes sont donc en très grande minorité après le contact avec la vague tahitienne qui s’établit en 1400 ap. J.C. De plus, leur nombre tendrait à décroître comme le laisse supposer le récit de leur exil de l’île de Kauai vers l’île très isolée de Necker.

L’isolé ilot de Necker, dernier exil des menehunes

     Les îles hawaïennes du nord-ouest comprennent l’île Necker. Il y a peu de traces d’occupation humaine à long terme. Cependant, l’île compte 52 sites archéologiques, dont 33 heiaus cérémoniels (pierres dressées de basalte) censés être orientés vers le ciel, ainsi que des objets en pierre similaires à ceux observés dans les principales îles hawaïennes.

      De nombreux anthropologues pensent que l’île était un lieu religieux et rituel. L’île Necker était le dernier sanctuaire connu des menehunes, selon les contes et les traditions des habitants de Kauai, qui se trouve au sud-est. Après avoir été chassés de Kauai par les Polynésiens les plus forts, les menehunes se sont installés à Necker et y ont créé de nombreux bâtiments en pierre, selon la légende.

L’heiau de Mokumanamana (île Necker), censément construit par les menehunes

Les menehunes devenaient une population de plus en plus éparpillée, en déshérence, errant sur ce gros rocher battu par les vents, et se nourrissant vaille que vaille de quelques œufs de goélands arrachés de haute lutte. Ils auraient péri sur cet îlot rocailleux à la fin du XVIe siècle, soit une centaine d’années avant l’arrivée de l’équipage de James Cook et des colons européens. Triste fin pour le petit peuple hawaïen…

Les menehunes à l’épreuve de la modernité

     Comment les hawaïens s’approprient-ils eux-mêmes le sujet des menehunes ? En le rendant vivant, palpable et ancré dans la modernité, par l’entremise de contes oraux, de témoignages oculaires et de représentations artistiques.

     Dans les contes autochtones récoltés par Thomas G. Thrum au début du XXe siècle, les menehunes possèdent des même des attributs magiques : « Trois d’entre eux nommés Ha’alulu, Molawa et Eleu sont très connus car ils possèdent des pouvoirs particuliers. Ha’alulu, dont le nom signifie trembler, a toujours froid et chaque fois qu’il frissonne il devient invisible. Molawa, dont le nom signifie paresseux, peut avoir l’air de dormir alors qu’il est en train de parcourir l’île pour multiplier les bonnes actions. Eleu, dont le nom signifie agile et rapide, peut courir si vite que personne ne peut le rattraper ».

     Au début des années 1950, les autochtones dépoussièrent l’antique dossier des menehunes par ce témoignage plus récent : « En 1951, les Hawaïens qui extraient des rochers à Diamond Head affirment que chaque nuit, les menehunes défont le travail que les hommes accomplissent durant la journée. Ces nains font toujours l’objet de croyances au début du XXIe siècle, il n’est pas rare que des écoliers partent à leur recherche en compagnie de leurs professeurs ».

     Au début du XXIe siècle, les menehunes font tellement partie de l’inconscient collectif hawaïen qu’ils sont omniprésents dans l’archipel : tantôt gardiens vigilants de la tradition et des valeurs ancestrales, tantôt modernisés en nains de jardin ou bien en égérie de la pop culture.

Le menehune en bois, gardien du foyer et des cours d’eau

Le menehune en pierre, protecteur des sites naturels

Le menehune moderne, influencé par le tourisme, est souriant et accueillant

Semblable au nain de jardin disneyen, le menehune devient la mascotte de plusieurs entreprises

     

Autour de ce vaste dossier des menehunes, trois thèses sérieuses et non exclusives sont envisagées pour expliquer leur persistance dans la mémoire collective.

     D’abord, la thèse historique déjà évoquée : les menehunes seraient alors les polynésiens de la première vague des Marquises qui auraient été dénommés « manahune » (classe inférieure et ouvrière) par la seconde vague des tahitiens et feraient donc partie d’une mémoire culturelle conservée par ce peuple.

     Ensuite, il est possible que les menehunes fassent partie d’un imaginaire européen exporté par l’historien déjà cité Thomas G. Thrum qui ferait la part belle à la fascination mondiale au XIXe siècle pour les récits fabuleux mettant en scène des nains (Perrault, Swift, Andersen, Grimm).

     Enfin, la thèse anthropologique, même si elle pâtit de l’absence totale d’une couverture fossile sur l’archipel d’Hawaï, ferait des menehunes une première vague austronésienne de culture Lapita, possiblement arrivée sur l’île vers 2000 ans B.P, soit mille ans avant les polynésiens modernes de vagues marquisienne et tahitienne. Cette communauté humaine de culture Lapita aurait pu évoluer vers un nanisme insulaire propre à d’autres ethnies modernes (Pygmées Aetas ou Rampasasa).

     Même si le rapport des autochtones hawaïens aux menehunes demeure très ambivalent, alternant entre mépris et célébration, honte et vénération, ce que l’on appelle les premiers peuples de l’archipel sont désormais en très grande minorité. Quasiment menacés.

    Envoyé par le journal Sacramento Union à Hawaï en 1866, le grand écrivain américain Mark Twain y passe quatre mois, loue un cheval, et constate déjà le déclin dramatique de la population polynésienne d’origine. Cette communauté passe alors d’envahisseurs des menehunes à envahis par les communautés américaines et japonaises, de largement majoritaire à très minoritaire. Ils sont passés du statut de nouveaux arrivants à celui d’autochtones. Du rôle d’oppresseur à celui d’opprimé. De la majorité à la minorité ethnique, devant tout faire face au gouvernement américain pour revendiquer leurs droits sociaux, leurs cultures et leurs terres.

Des autochtones manifestant contre la construction d’un Télescope au centre de l’île d’Hawaï (Caleb Jones, presse canadienne, 2019)

     Depuis 2019, les autochtones d’Hawaï ont une Constitution. Ce vote a eu lieu fin février, dans l’île d’Oahu, au terme d’un mois de rencontres et de discussions autour de l’avenir des peuples premiers de l’archipel américain et de leurs aspirations sur le plan politique. Néanmoins, ces peuples n’ont toujours pas de gouvernement indépendant. L’obtention récente de cette Constitution serait-elle un premier pas vers une émancipation totale des autochtones hawaïens, à l’instar de leurs homologues amérindiens des Etats-Unis et du Canada ?

     Chers lecteurs de Strange Reality, après ce dossier de longue haleine, nous dériverons dans un prochain article de la Polynésie vers la Mélanésie, afin d’éclairer le dossier trop méconnu des créatures humanoïdes des îles Salomon.

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