Les Simiots, mystérieux hybrides catalans

La vallée du Vallespir est l’une des les plus reculées de France. C’est la fin de la route, après, il n’y a que les cimes des Pyrénées à perte de vue, et encore plus loin,  l’Espagne.  Le village d’Arles sur Tech, dans le Vallespir, connu un renommée phénoménale, jadis, pour les événements dramatiques qui y seraient survenus. A l ‘approche de l ‘An mille, les intempéries succédaient aux catastrophes, grêle, inondations, glissements de terrain… L ‘ensemble de la vallée se trouvait menacée par les eaux. Sur le peu de terres émergées disponibles, Hommes et animaux se retrouvaient sur les même territoires, par la force des choses. Alors, surgis de la forêt des êtres sauvages mi-hommes, mi-bêtes, ont persécutés les villageois, et marqué à tout jamais l’histoire locale de leur empreinte. C’est cela, la légende des Simiots.

Arles sur Tech

Le village aurait donc été la cibles d’attaques d’animaux étranges, d’une espèce inconnue des habitants, qui enlevaient les gens dans leurs maisons pour les dévorer, fracassant les portes, ou les cheminées. Ce ne sont ni des loups, ni des ours, qui étaient alors accusés, mais des créatures sauvages à «  tête humaine » surnommées les «  Simiots », c’est-à-dire les singes. ( en Latin, Simia : singe)

C’était il y a fort longtemps d’après la légende, il y a plus de 1000 ans. Au fil des siècles, des écrivains, historiens, ont perpétué le souvenir des Simiots qui ont harcelé les habitants de cette vallée. Les Simiots, sont ainsi devenus un mot utilisé au moyen-âge par les populations locales pour désigner les hommes sauvages rencontrés dans tout le pays catalan, jusqu’aux portes de Barcelone.

Mais si les Simiots ont pu traverser les siècles jusqu’à nous c’est également pour une autre raison : les habitants d’Arles sur Tech, ont voulu garder une trace impérissable de leurs malheurs, et ils ont peint, gravé, ces bêtes à têtes humaines dans plusieurs endroits. C’est un témoignage précieux sur l’importance du folklore lié à l’homme sauvage dans les Pyrénées.

Une bête sauvage avec une tête humaine, c’est ainsi qu’au moyen-âge, les villageois d’Arles sur Tech ont voulu que l ‘on se souvienne de l ‘aspect de ces créatures énigmatiques. Eglise St Sauveur d’Arles, 12ème siècle.

Nous allons passer ici en revue, les textes principaux qui ont propagé la légende des Simiots, du plus récent au plus ancien, et en même temps nous examinerons les traces qu’ils ont laissé dans le patrimoine d’ Arles sur Tech.

Des ossements des saints Abdon et Sennen auraient suffit à faire fuir les Simiots

Nous débutons par l’ apport de l’abbé Adolphe Crastre, d’Amélie les Bains ville thermale de la vallée du Vallespir, qui publia l’ Histoire du martyre des saints Abdon et Sennen, en 1932. Il décrit les créatures ainsi, page 119 : des espèces de singes, gorilles, babouins, cynocéphales dont le vieux chroniqueur et la tradition locale ne parlent encore que sous le nom de Simiots.

Joan Amades, (1890-1959), le fokloriste espagnol catalan le plus important, a passé sa vie à collecter les croyances et les récits oraux catalans. Auteur notamment du Folklore de la Catalogne, il a écrit plus de 200 ouvrages. Voici comment il décrit les Simiots dans son Essers Fantasticos paru en 1922  (page 17) :

Joan Amades recueillant des traditions orales

 Les Simiots étaient une sorte d’Hommes à moitié bestiaux, velus, à cornes, à grande queue munis de griffes à la place des mains qui vivaient en haut dans les arbres. La nuit il entraient dans les maison, en faisant s’effondrer les cheminées, prenaient plaisir à effrayer les gens. (..).Ils croyaient que les gens étaient des démons, car quand ils avaient froid, ils soufflaient sur leurs doigts pour les réchauffer, et lorsqu’ils avaient des aliments brulants, ils soufflaient également dessus pour les refroidir »

Des «  goigs » catalans  ( chants à l’honneur de la Vierge et des saints) dédiès aux saints Abdon et Sennen, imprimés dans la ville de Barcelone au 16ème siècle et conservés depuis dans les archives de la basilique de Santa Maria del Pi, sont les documents de référence relatifs aux Simiots. Ils parlent d’êtres difficiles à cataloguer,  créatures repoussantes et terrifiantes, de grandes tailles, couvertes de poils, qui pouvaient être pris autant pour un homme ou une femme que pour des bêtes,  habitants aux sommets des arbres, dans les forêts profondes et les montagnes reculées. Et qui infestaient alors toute la région.

Voici la légende telle que l’on peut la consulter aujourd’hui :

Il faut savoir qu’il existe au milieu d’Arles, dans une vallée que traverse le fleuve appelé Tech par les habitants, en comté du Roussillon, au territoire de Vallespir, au diocèse d’Elna, un monastère de moines bénédictins de l’ordre de Cluny. Or il y eut une longue période pendant laquelle de terribles orages de grêle éclataient au moment où les récoltes allaient récompenser le dur labeur des paysans : dans les vignes, il ne restait ni feuilles ni fruits et dans les champs ne restaient que la paille sans le grain. Mais, ce qui est pire, la région n’était pas seulement en butte au fléau d’orages de grêle dévastateurs, mais elle était infestée de jour comme de nuit d’animaux malfaisants, entre autres des bêtes féroces assez semblables à des chats et même à des singes qui, sans crainte de l’homme, s’introduisaient dans les maisons, enlevaient les enfants de leurs berceaux, les étouffaient et les emportaient pour les dévorer. Tous les habitants de la contrée, aussi bien les moines que les laïcs, étaient consternés. On tint conseil pour voir ce qu’il serait bon de faire. Or il y avait en ce temps là, au monastère, un certain abbé Arnulfe, homme de sainte vie et de bonnes mœurs, ornés de vertus, humble, pieux et plein de sagesse. (…) Le Saint abbé se dit que tout cela était arrivé à cause de ses propres péchés et de ceux des habitants de la région, le fléau ne pourrait être conjuré que par l’arrivée en ce lieu d’Arles de reliques de quelques saint. »

C’est ainsi qu’Arnulfe partit pour Rome.

Homme de bonté, il obtint de Jean XIII d’importantes reliques de St Abdon et Sennen. Mais le plus difficile était peut-être encore à faire : les ramener à Arles sur Tech. Pour s’en sortir il décida de cacher les reliques dans des barriques truquées. Il commanda deux barriques à trois compartiments. Il remplit les parties supérieures et inférieures de vin et cacha les reliques dans les parties du milieu. Et c’est grâce à ce stratagème qu’elles purent arriver à bon port, où on peut les voir encore de nos jours.

L’histoire raconte que dès que le convoi arriva, les Simiots disparurent, en hurlants, en gémissants… et la légende commença.

La tombe qui contenait les restes d’Abdon et Sennen est elle même considérée comme sainte. Les propriétés particulières de la pierre utilisée, et sa façon de restituer l ‘humidité ambiante provoquent un écoulement de gouttes d’ eau, qui la rend miraculeuse aux yeux des fidèles

En 1665, le curé Francisc Morés, de Barcelone, relate les miracles liés à Nuestra Señorà de Nuria, dans la province de Gérone : un lieu infesté de démons, de satyres et de simiots, d’après un écrit daté de 1338. C’est l’ermite Amadeu qui, en construisant ce sanctuaire, aurait chassé définitivement les esprits maléfiques

Miquel Llot de Ribera, écrit en 1591, Llibre de la Translatio dels Sants Abdon et Sennen une adaptation d’un texte du 13ème siècle, et parle d’une forme d’animaux féroces, comme des singes, qui n’avaient ni crainte ni respect pour les hommes, car ils en tuèrent beaucoup et les mangèrent »

Llot de Ribera reste ici plus proche de la version d’origine, dans sa description des Simiots. Jusqu’au 20ème siècle et Joan Amades, nulle mention de cornes, de queues, ou de traits propres au satyre. Dans les descriptions médiévales domine une caractéristique essentielle, le caractère hybride, homme/singe, des Simiots : des bêtes sauvages, mais avec une tête humaine.

En 1465, un berger de Montbolo nommé Noguer de Gasnach surprit deux sorcières en train d’invoquer les « simiots » afin qu’ils provoquent une tempête. On alla chercher les reliques d’Abdon et Sennen, et le pire fut évité. Depuis, afin de conjurer le sort, les habitants de Montbolo offrent chaque année, le 30 juillet, une Rodella, longue chandelle de vingt mètres de long, de cire d’abeille enroulée.

Le conte de  » Jean de l ‘Ours » est l’un des plus répandus, mais il est particulièrement populaire dans les Pyrénées. Il raconte l ‘histoire d’un homme, Jean, fruit de l ‘union forcée entre une femme et un ours qui l ‘avait enlevée et maintenue en captivité dans une grotte.. Jean (Xan en Catalogne), est une véritable créature hybride homme/animal. Voila comment le folkloriste catalan Joan Amades le qualifie:
Jean de L’ours, dans les Pyrénées orientales est confondu avec le Simiot, une sorte d’êtres mi-personnes, mi-bêtes, velues sur tout le corps, qui vivaient dans les arbres, qui faisaient autant de mal qu’ils le pouvaient aux troupeaux et aux laboureurs.

Les documents évoquant les Simiots les plus anciens, semblent être un ensemble de chants anonymes, datant du 13ème siècle, mais d’une présence bien plus ancienne dans les traditions orales, possiblement dès le 10ème siècle. Les méfaits des Simiots, sont datés, selon les chroniqueurs de l’an 963.

 Qu’étaient les Simiots ? L’hypothèse naturaliste n’est, on peut s‘en douter,  pas vraiment privilégiée par les historiens modernes. Pourtant, les Pyrénées sont avec les Alpes les endroits de France où le folklore de l ‘homme sauvage est le plus riche. Egalement l’un des rares endroits, d’où proviennent des témoignages rares, plus ou moins récents de rencontres supposées avec des hommes sauvages.

Restes de cultes païens et de divinités sylvestres, reliques de populations de chasseurs-cueilleurs, ou invention pure et simple sont aujourd’hui les explications les plus acceptées par les historiens. Il reste que l’utilisation très ancienne du terme «  singe » dans une partie du monde où cette espèce n’est absolument pas présente continu bien évidemment de provoquer la perplexité des savants.

Un Simiot d’Arles sur Tech, au début de chaque fête de l ‘ours, la créature est repérée alors qu’elle observe furtivement les villageois

Pour conclure, il est impossible de ne pas mentionner une tradition qui apporte un éclairage supplémentaire sur la question. Arles sur tech, est l ‘une des rares communes de France dans lesquelles se déroulent, chaque année une fête de l ‘ours, cérémonie folklorique millénaire mettant en scène un ours qui possède manifestement de nombreuses caractéristiques du folklore sur l ‘homme sauvage. ( cf Entretien avec Cristina Noacco). A Arles sur Tech, ce personnage d’ours est nommé un Simiot, c’est un élément objectif qui indique que les fêtes de l ‘ours, ne concernent pas uniquement la relation des habitants avec les plantigrades de la région, mais cela accrédite l ‘idée que ces fêtes de l ‘ours sont un réceptacle pour exorciser certains événements dramatiques restés dans la mémoire locale, et dont le phénomène des hommes sauvages est une composante importante.

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