La découverte des deux crânes
Après les débuts prometteurs de Byambin Rinchen sur les pas de l’homme sauvage mongol, la troisième partie des archives oubliées de l’almas voudrait se pencher sur la découverte majeure de ce savant, à savoir deux crânes humanoïdes en très bon état de conservation, l’un découvert par Zhugderiin Damdin, l’autre par l’informateur Tsoodol.
L’équipe de Strange Reality, pour cette nouvelle enquête de fond, tient à remercier tout particulièrement Pierre Lagrange et Tjalling Halbertsma qui ont été les premiers auteurs à mettre en lumière cette immense découverte, Michel Sartori qui est le dépositaire du Fonds d’archives Bernard Heuvelmans (Musée cantonal de Lausanne), et enfin l’ostéologue Pierre Konrad-Kasso qui éclaire d’un jour nouveau les spécificités anatomiques de ces deux crânes.
Découverte du crâne de Bulgan (1962)
Mr Choysa, natif Torgut mongol du Sinkiang, anciennement éleveur de bétails, par la suite employé de la station agricole de l’académie mongole des sciences à Bulgan somon, a raconté par le menu détail la découverte de ce premier crâne : « C’est arrivé le 26 juin 1953 à 10h, je me rappelle parfaitement de l’heure car c’est un évènement qui est resté à jamais gravé dans ma mémoire. A l’aube de cette journée, je suis allé chercher mes chameaux perdus dans la direction de la soi-disant « montagne rouge des almas ». C’était une belle matinée ensoleillée quand je suis descendu dans un ravin. Le vent diffusait une fragrance de fleurs et d’herbes de montagne mais j’étais pressé de partir avant la chaleur étouffante du zénith de ce labyrinthe de canyons et de ravins. Mon chameau gravissait et descendait un défilé escarpé. Tout à coup, j’ai vu dans le coin d’un ravin reculé, sous deux petites broussailles de saxaouls, quelque chose de couleur fauve. Je me suis approché et j’ai vu le corps velu d’une robuste créature humanoïde desséchée et à moitié ensevelie par le sable. Je n’avais jamais vu un tel être humanoïde couvert de courts poils jaune brunâtre de couleur fauve et j’ai reculé, bien que dans ma patrie d’origine, au Sinkiang (Chine), j’avais vu de nombreux hommes morts tués à la guerre. Mais quel était cette étrange chose morte – homme ou bête ? Je décidais de retourner et de l’examiner minutieusement. Je me suis approché une fois de plus et j’ai regardé du haut de mon chameau. Le cadavre n’était assurément pas un ours ou un grand singe et en même temps il n’était pas un homme. Le poil de sa tête était plus long que sur son corps. La peau à l’aine et aux aisselles était assombrie et ratatinée comme la peau d’un chameau mort.
J’ai aussi examiné le terrain près de son corps et j’ai trouvé des restes de vêtements. La crainte saisit mon cœur. Je me suis rappelé les vieilles goules (Vétalas) de la légende et je devais voir devant moi l’une d’entre elles. Je me suis éloigné avec précipitation. Après mon retour chez moi, j’avais informé notre administration locale et Mr Climeddoye, gestionnaire de la station agricole, mais personne ne sembla prêter attention à mon récit. C’est seulement après dix années que Mr Damdin est venu d’Oulan-Bator en m’expliquant que le corps en question avait une grande valeur scientifique.
L’année dernière, Mr Damdin avait fouillé le lieu mortuaire de l’almas et en avait retrouvé uniquement le crâne (crâne de Bulgan) de la créature sauvage. Le soleil et le vent, la neige, la pluie, les bêtes carnivores et les oiseaux avaient réduit en poussière le corps de l’almas durant les dix années passées. Mr Damdin, Mr Choysa et Mr Climeddoye réussirent à trouver plusieurs poils grisâtres de la tête de l’almas. Mr Climeddoye photographia le crâne de l’almas sur son lieu mortuaire » (Rinchen, « Almas Still Exist in Mongolia ? », Genus, 1964).
Ce matériel photographique inestimable existe-t-il toujours ?
Grâce au travail méticuleux de Michel Sartori, garant du Fonds d’archives Bernard Heuvelmans au Musée cantonal de Lausanne , le matériel photographique correspondant au crâne de Bulgan a pu être conservé. La première série de clichés montre trois photographies distinctes d’un crâne photographié selon trois axes (frontal, latéral gauche, latéral droite). La série montre aussi une boîte posée sur une surface rocheuse, certainement placée là pour servir de référence dimensionnelle.

La seconde série de clichés montre deux photographies distinctes présentant le crâne selon deux axes opposés (le haut, le bas). Ces deux premières séries photographiques de cinq clichés se réfèrent au fameux crâne de Bulgan trouvé par Damdin et Choija et photographié par Chimmeddorje, gérant de la Station expérimentale de fruits et légumes, en 1962.

La mandibule est malheureusement manquante, ce que déplorera mon collègue ostéopathe Pierre Konrad-Kasso. En effet, elle a été brisée par un employé bien maladroit de l’Institut de biologie du Musée d’Oulan Bator, que le professeur Rinchen, rancunier, taxe dans sa correspondance épistolaire de « maudit bipède non velu de l’Institut » !
Découverte du crâne de Gobi (1963)
La découverte du second crâne (crâne de Gobi) est très difficile à recouper, car nous ne connaissons de cet indice matériel que la correspondance et les photographies envoyées par Rinchen à ses deux collègues cryptozoologistes (Bernard Heuvelmans et Ivan T. Sanderson). Les lettres de Rinchen, exhumées par les soins de Pierre Lagrange dans un excellent article cryptozoologique (Kraken, Vol.2, Musée cantonal de Lausanne, 2009), apportent un éclairage bienvenu sur le crâne trouvé en 1963 (crâne de Gobi) et permettent tout de même de resituer chronologiquement la chaîne des évènements. Ce second crâne attribué à l’almas a été découvert par Tsoodol au sein du tumulus des almas, dans la province d’Obout-khangain, dans la région de Gobi. Ces tumuli, selon Tsoodol, sont de petites caves artificielles, pour la plupart en ruines. Malheureusement, le crâne de Gobi n’est jamais arrivé entre les mains de Rinchen, bien qu’il en ait eu connaissance par les photographies de Tsoodol.
Cette troisième série photographique, à nouveau conservée aux Fonds d’archives Bernard Heuvelmans, est composée de deux clichés montrant un crâne accompagné d’une règle qui sert à l’estimation des dimensions du crâne).

L’analyse actuelle de l’ostéologue Pierre Konrad-Kasso
Mon collègue Pierre Konrad-Kasso, ostéopathe de formation, s’est penché sur l’analyse des trois séries photographique des deux crânes de Rinchen.
– Pour le crâne de Bulgan, il pense qu’il appartiendrait à un mâle de 25 ans.
« La qualité des photos n’est pas terrible ! Je dirais un jeune homme d’une vingtaine d’année.
Figure 2a : Facies humanoïde, les orbites apparaissent très anguleuse et la fosse nasale très ouverte. Il n’y a quasi aucun sinus maxillaire (propre à la phonation). L’espace inter-orbital est très large (la photo ne permet pas de savoir si le frontal descend bas ou les nasaux montent haut). Dans tous les cas, cela tendrait vers un ethmoïde large et des sinus ethmoïdaux et sphénoïdaux large. L’os zygomatique gauche présente une déformation importante. On a l’habitude de dire que c’est le « pare-chocs » du visage (un peu comme un casque de football américain) parce qu’il va prendre tous les coups.
Toute déformation osseuse physiologique est due à une traction tissulaire, or il ne s’insère (sur cet os zygomatique) que des muscles peaussiers permettant d’exprimer la tristesse ou la joie (donc pas assez puissant pour déformer autant). En dehors d’une maladie génétique, la cause la plus probable serait une tumeur osseuse. Cette déformation (assez ancienne) a entraîné une modification de l’orbite gauche qui aura une répercussion sur tout le crâne (cf figure 3a et 3b). Des chocs intra-utérins répétés pourrait aussi en être la cause.
D’instinct, je dirais que le sujet devait avoir entre 20 et 25 ans à sa mort. La déformation doit quasi avoir le même âge ce qui tendrait vers la pathologie génétique.
Figure 2b et 2c : On note que la face est très plate et plonge en arrière (dommage qu’il manque la mandibule), de même que le crâne. Les tensions posturologiques devaient être très prononcées. J’ai le sentiment qu’il devait avoir un cou très court de par l’orientation des processus mastoïdes > insertion du muscle « SCOM » Sterno-Cléido-Occipito-Mastoïdien. Comme son nom l’indique il s’insère à l’arrière de la base du crâne et passe sur les côtés pour s’insérer sur le sternum (manubrium), donc devant. L’orientation vers le bas et l’avant est très prononcé d’où mon idée d’un cou court.
Le viscérocrâne (tous les os de la face) est « tracté » en arrière, comme retenu. L’odorat ne devait pas être terrible et des problèmes ophtalmiques sont forcément lié (exophtalmie).
Figure 3a : On note une déformation péri-sutural. L’ensemble des muscles occulo-moteur (vernier) qui s’insère à la base de l’occiput, n’ont provoqué quasi aucune déformation. La base est plate (ce qui me refait dire que le cou devait être court). L’écaille de l’occiput monte très haut mais on note tous les reliefs osseux habituels (protubérance occipitale entre autre). A noter aussi : la présence d’un os wormien sur la suture occipito pariétal droite.
La compression gauche et antérieure poussant le crâne à s’ouvrir vers l’arrière va provoquer l’ajout d’une pièce osseuse pour la « respiration crânienne » (ce qui tend à prouver que la déformation du zygomatique date de la naissance et peut être avant).
La suture lambdoïde est dans l’ensemble très marquée mais pas inhabituelle. En revanche, la suture sagittale, interpariétale, apparaît comme aspirée à l’intérieur du crâne provoquant ce « fossé » autour de la suture. Un concept ostéopathique concernant les membranes de tension réciproque (se basant sur l’anatomie) pourrait expliquer la raison de cette déformation.
Le viscérocrâne (os de la face) étant déformé l’ensemble des tensions sur le crânes sont erronées. La faux du cerveau doit sans doute avoir une tension formidable forçant le crâne,
lors de la croissance, à ne pas pouvoir se développer correctement.
Figure 3b : On note une déformation du foramen magnum sur la portion droite. L’articulation entre l’occiput et l’atlas (première vertèbre cervicale) ne devait pas être terrible et il devait avoir des céphalés formidables. Il devait avoir des problèmes pour tourner la tête.
La deuxième chose marquante c’est l’arc mandibulaire qui ne ressemble pas à grand-chose. Très « anguleux », il est dévié sur la gauche comme si quelque chose avait tracté l’os. De telles déformations ne se trouvent pas normalement chez les humains modernes ».
– Pour le crâne de Gobi, il pense qu’il appartiendrait à une femelle de 35 ans.
« La qualité de la photo est vraiment trop mauvaise, sans parler du crâne à qui il manque trop de morceaux pour en faire une analyse cohérente. D’instinct, je dirais que c’est une jeune femme d’une trentaine d’années. Dire précisément ce qu’elle était, je ne peux pas au regard du matériel photographique à ma disposition. L’os apparaît bien épais quand même… »
L’Homo sapiens almas
Dans sa seconde lettre à Heuvelmans datée du 12 décembre 1963, Rinchen explique que le crâne de Bulgan est arrivé à Oulan-Bator et qu’il est sur le point de télégraphier la nouvelle à la « Comission d’étude pour le problème de l’Homme-des-neiges » de Boris Porchnev. Rinchen admet que le crâne ressemble à celui d’un Homo sapiens, mais qu’il y aurait d’autres caractéristiques intrigantes qui mériteraient une étude plus approfondie. Il écrit aussi qu’il a en sa possession la photographie d’un second crâne trouvé quelque part dans « le tumulus des almas » (le crâne de Gobi).
Dans sa seconde lettre à Ivan T. Sanderson en date du 3 février 1964, Rinchen confirme que le crâne est classé à l’Institut de zoologie d’Oulan-Bator. Il décrit à nouveau le crâne comme majoritairement Homo sapiens mais ajoute que certaines caractéristiques le distinguent du type mongoloïde, notamment un nez extrêmement petit. Il poursuit ainsi : « Après l’examen attentif de ces deux crânes, j’estime que notre almas appartient à une sous-espèce de l’Homo sapiens. Et je propose de le nommer Homo sapiens almas ».
En dehors des deux crânes, Rinchen a pu prélever des poils à proximité du crâne de Bulgan. Le savant mongol a pensé que ces crânes étaient tout à fait uniques et les a classés sous le terme générique d’Homo sapiens almas. A partir de 1966, les lettres de Rinchen sont devenues plus énigmatiques. Sans doute est-ce la conséquence des problèmes politiques survenus qui ne lui permirent pas de rencontrer Bernard Heuvelmans à Paris en 1973 : Rinchen faisait uniquement allusion aux crânes, écrivait de manière cryptique car il ne savait visiblement pas qui exactement lisait ses lettres et si elles arrivaient bien à destination.
Cette découverte incroyable des deux crânes par Rinchen et son équipe a été synthétisée pour la première fois par Tjalling Halbertsma, auteur passionné par l’homme sauvage mongol qui a publié Homo sapiens almas (Editions Buchmania, 2012).

La reconstruction faciale de Wieczyslaw Plawinski (d’après le crâne de Bulgan)
Le crâne de Bulgan semble avoir servi, malgré son endommagement par un membre de l’Institut de biologie, de référence au professeur polonais Wieczyslaw Plawinski pour la reconstruction faciale de l’almas. Dans sa sixième lettre adressée à Bernard Heuvelmans, datée du 6 août 1973, Rinchen s’excuse avant toute chose de son long silence (il y a un trou dans la correspondance de sept années, mais sans doute des lettres ne se retrouvent pas dans les archives). Rinchen explique qu’il est obligé de décliner l’invitation de Bernard Heuvelmans à se rendre sur Paris car les autorités mongoles ne lui laissent pas la possibilité de quitter les frontières du pays. Rinchen explique aussi comment il a engagé le professeur Plawinski pour la reconstruction faciale de l’almas, après le refus du professeur Gerasimov. Rinchen explique que les débris du crâne sont conservés au Muséum national, mais aussi que cela fait cinq ans que la reconstruction faciale est gardée sous scellée à l’Ambassade de Mongolie à Varsovie en Pologne. Rinchen donne à nouveau l’adresse complète du professeur Plawinski, avec l’idée que le grand savant Bernard Heuvelmans, star de la cryptozoologie, pourra sans doute démêler la situation en sa faveur. Cette lettre supposerait que Rinchen rencontrerait des problèmes idéologiques, comme grand nombre des académiciens mongols à cette époque.
Dans sa lettre à Heuvelmans du 20 janvier 1974, le professeur Plawinski explique que Rinchen lui a donné un crâne dont il a entrepris la reconstruction. La reconstruction, selon les aveux de Plawinski, est actuellement au Muséum d’Oulan-Bator. Plawinski envoie aussi deux photographies à Heuvelmans pour publication : une photographie de la reconstruction faciale et une autre de lui-même avec Rinchen. Le Fonds d’archives Bernard Heuvelmans nous permet à nouveau de nous rendre compte de l’ampleur du travail de reconstruction faciale opérée par le professeur Plawinski en prenant comme référence le crâne de Bulgan.



Conclusion
Rinchen confirme dans ses écrits (la relation épistolaire avec Bernard Heuvelmans Heuvelmans et Ivan T. Sanderson et l’article pour la revue Genus) l’existence de deux crânes et d’une touffe de poils (probablement des cheveux). Le matériel capillaire semble perdu dans l’abîme du temps, qui ronge et consume toute chose, et le second crâne (Gobi, 1963) n’est sauvegardé que par deux photographies de mauvaise qualité de l’informateur Tsoodol. Seul le premier crâne (Bulgan, 1962) a été solidement documenté, immortalisé par cinq clichés photographiques de Chimmeddorje, étudié à volonté au Musée national d’Oulan Bator et faisant l’objet d’une minutieuse reconstruction faciale par les soins du professeur Plawinski. Les interprétations scientifiques de Rinchen dans les années 1960, couplées à des analyses photographiques plus récentes (Konrad-Kasso, 2015), supposerait que le crâne de Bulgan appartiendrait à un Homo sapiens dont les particularités osseuses le différencieraient discrètement du type moderne.
L’équipe de Strange Reality vous donne rendez-vous dans un prochain article pour savoir quelles ont été les réactions des collègues scientifiques de Rinchen à l’annonce de cette découverte ? Ces deux crânes, ont ils à l ‘époque été considérés comme une avancée prodigieuse ? Cher lecteur, encore un peu de patience…
Bonjour,
A priori on ne voit rien de vraiment archaïque dans le crâne… ce qui explique d’ailleurs qu’il n’ait pas suscité plus de curiosité et de commentaires. Ou s’agirait-il d’un très jeune ? Cela a-t-il été envisagé ?
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Merci, cher Mr Roche, pour votre commentaire.
En ce qui concerne le « crâne de Bulgan » (1963), le mieux documenté par la série photographique, il présente de toute évidence un faciès humanoïde.
Rinchen admet lui-même que le crâne ressemble à celui d’un Homo sapiens, mais qu’il y aurait d’autres caractéristiques intrigantes qui mériteraient une étude plus approfondie. Étude qui a du être entreprise en Mongolie (par lui-même, Damdin ou Plawinski) mais dont je n’ai pas encore trouvé traces…
J’ai creusé moi-même cette piste analytique avec les maigres photographies à disposition, et l’ostéologue Pierre Konrad-Kasso a relevé plusieurs déformations osseuses qui cadreraient mal avec un Homo sapiens moderne. Il estime d’ailleurs, mais sans être précis à cause de la piètre qualité photographique du matériel, que l’individu en question pourrait avoisiner les 25 ans.
Voilà, l’équipe de Strange Reality est encore en recherche de sources pour creuser ce passionnant dossier…
Bien cordialement,
Florent
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