Almas versus Denisova
Les dépôts ostéologiques, à la fois récent [Byambin Rinchen, crâne de Bulgan (1962) et de Gobi (1963)] et fossile [Yves Coppens, crâne de Salkhit (2007)], s’accumulent autour de l’almas, humanoïde bipède qui tendrait vers une identification avec un homo sapiens archaïque. Pour autant, la thèse très reprise en cryptozoologie du néanderthalien relique est-elle à négliger ?
La corrélation fossile de l’almas avec un homme de Neandertal (Homo neanderthalensis) semble difficilement concevable, car les Néanderthaliens n’ont colonisé que sporadiquement l’Altaï, à l’extrême-Est de leur zone de confort (l’Europe et le Caucase). Pourtant, le professeur Rinchen s’est vu écarté par le professeur Porchnev et ses deux compères (Heuvelmans et Sanderson) pour qui l’almas ne cadrerait pas avec un Homo sapiens archaïque mais plutôt avec un paléanthropien relique (Homo neanderthalensis), thèse avancée dans La lutte pour les troglodytes (Revue Prostor, 1968). Très influencée par la voix prochnevienne, l’archéologue britannique Myra Shackley reprend le dossier mongol dans le dyptique Neanderthal Man (1980)/Wildmen (1983) et avance l’hypothèse (peu argumentée) que les almas puissent descendre de l’homme de Neandertal. Peu certaine elle-même de ses propres conclusions scientifiques, elle se hasarde à penser quelques lignes plus tard, sans aucun indice en ce sens, que l’almas puisse être un descendant de l’Homo erectus asiatique.
Loin de ce flou phylogénétique, plus artistique que scientifique, ce nouvel article de Strange Reality explorera d’autres voies que celle de l’Homo sapiens archaïque défendue par Rinchen ou celle de l’Homo neanderthalensis relique avancée par Shackley, en se penchant sur la découverte en territoire mongol d’un troisième genre d’Homo : l’Homo denisovensis.
L’hypothèse du taxon Lazare
La survivance d’une forme fossile, à savoir un l’homme de Denisova, est-elle possible scientifiquement ? La survie actuelle de formes fossiles a trouvé un regain d’intérêt en 1938 avec l’authentification d’un poisson sud-africain, le cœlacanthe (Latimeria chalumnae), auquel je me suis vivement intéressé dès 2013 (Le cœlacanthe, une espèce animale à l’épreuve des médias). Avant d’être exposé au public comme un « Chaînon manquant », le cœlacanthe a d’abord été connu des milieux scientifiques en tant que poisson archaïque, c’est-à-dire en tant que « Fossile vivant ». La science a longtemps pensé que le cœlacanthe était apparu il y a 400 millions d’années, et qu’il avait disparu il y a 90 millions d’années. Etant encore actuellement vivant avec les deux espèces Latimeria chalumnae (souche africaine) et Latimeria menadoensis (souche indonésienne), la dénomination assez fallacieuse de « Fossile vivant » lui a donc été attribuée. Nouveau miroir aux alouettes, car le cœlacanthe serait davantage un exemple – certainement même le paradigme – du « Taxon Lazare », c’est-à-dire qu’on ne connaît de lui que des preuves de vie ancienne et des preuves de vie récente, mais qu’il n’en existe aucune forme pour les périodes intermédiaires. En ce qui concerne le cœlacanthe, on ne connaît encore aucun stade intermédiaire entre les deux espèces vivantes actuelles (Latimeria chalumnae africain et Latimeria menadoensis indonésien) et les autres groupes de cœlacanthes préhistoriques, soit une lacune impressionnante de près de 90 millions d’années !


Le cœlacanthe moderne Latimeria chalumnae (C2, Smith, 1957
Pourtant, les lacunes fossiles ne sont pas rares, et le problème est connu et soulevé dès les premiers travaux de Charles Darwin : « Toutes les civilisations, chacune à sa manière, se sont interrogés sur le problème fondamental de nos origines ; car comment répondre à notre préoccupation majeure : à savoir qui nous sommes, si nous ignorons d’où nous venons ? Aucune, à part la nôtre, et depuis peu, n’a pressenti que la réponse était écrite au sein de la Terre. Ecrite à la volée, par bribes répandues à travers les continents, et dans une langue propre à la nature. Les paléontologistes, inspirés par les lois de l’anatomie comparative, ont trouvé les clefs de ce langage et en assument la traduction. Ils ont rarement la bonne fortune de rencontrer un gisement de surface, à ciel ouvert. D’habitude, pour atteindre les fossiles, il faut éventrer le sol. Un éboulement, l’exploitation d’une carrière, le percement d’une route ou d’un tunnel, et aussi l’humble pic du géologue, font mettre au jour, chaque année, une foule de vestiges animaux. Les salles d’exposition, dans les musées d’histoire naturelle, en regorgent (leurs coulisses, encore bien davantage !). Et le public s’extasie devant leur abondance, devant l’infinie variété des constructions anatomiques. Il n’y voit cependant qu’un prélèvement infime sur les réserves ensevelies » (Jean Anthony, Opération Coelacanthe, Editions Arthaud, 1976. p.10..
La survie de forme fossile est donc un processus naturel rare mais existant : le cœlacanthe s’est comporté comme Lazare, mort qui ressuscite grâce à la parole de Jésus. On le croyait éteint, il a ressurgi, d’où son rattachement au terme générique de « Taxon Lazare ». D’autres espèces animales suivront le même processus en se retrouvant de manière aberrante dans l’inventaire faunistique, sautant directement le pas de la forme fossile à sa réactualisation moderne : le Kanyou (Laonastes aenigmus), le Takahé (Porphyrio hochstetteri) ou encore le Rat-Chinchilla du Macchu Picchu (Cuscomys oblativa). Le même procédé biologique de « survivance » peut donc en toute logique s’appliquer à un hominidé fossile. Nos hommes sauvages mongoliens, à savoir les almas, pourraient-ils être le taxon Lazare de l’homme de Denisova ?
La découverte de l’homme de Denisova (2010)
L’hominidé de Denisova est le nom donné à une espèce d’hominidé (du genre Homo) identifiée par analyse génétique en mars 2010. Les scientifiques pensent que cette espèce a vécu il y a entre 1 million et 40 000 ans, dans des régions peuplées sporadiquement par l’homme de Néandertal et bien plus intensément par l’Homo sapiens.
Une équipe de scientifiques coordonnée par Svante Pääbo de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste à Leipzig en Allemagne a séquencé l’ADN mitochondrial (ADNmt) extrait des fragments d’une phalange d’auriculaire provenant d’un enfant d’environ 7 ans retrouvée avec quelques dents dans la grotte de Denisova, dans les montagnes de l’Altaï au sud de la Sibérie. Des objets trouvés dans la grotte au même niveau que les fragments osseux ont été datés par le carbone 14 entre 30 000 et 48 000 ans avant notre époque.
Les données disponibles pour l’ADNmt laissent penser que ce nouvel hominidé aurait un ancêtre commun avec l’homme anatomiquement moderne et avec l’homme de Néandertal, qui daterait d’il y a environ un million d’années. Ses ancêtres seraient arrivés d’Afrique par une voie différente de celle des ancêtres des Néandertaliens et des hommes modernes et ils appartiendraient à une espèce distincte. La stratigraphie de la grotte suggère que les hominidés de Denisova ont vécu aux mêmes époques que celles où les Néandertaliens ont cohabité avec l’homme moderne.

Fin 2010, une étude basée sur le séquençage de l’ADN nucléaire extrait d’une phalange provenant du même site confirme que l’hominidé de Denisova a des origines communes avec l’homme de Néandertal. Il aurait également contribué à hauteur de 4 à 6 % au génome des Mélanésiens actuels et aurait été relativement répandu en Asie à la fin du Pléistocène. Une molaire exhumée dans la grotte, appartenant à un individu distinct, présente un ADNmt proche de celui de la phalange évoquée précédemment ; ses caractéristiques morphologiques, très grosse et archaïque d’aspect, indiquent selon les auteurs que l’histoire évolutive des hominidés de Denisova est distincte de celles des Néandertaliens et des Homo sapiens.

En août 2011, un article de Laurent Abi-Rached publié par Science décrit le séquençage de l’ADN de ce Dénisovien qui montre que des croisements se sont produits avec les Homo sapiens. Le transfert de gènes des Dénisoviens aux hommes modernes a laissé la plus forte fréquence d’une variante des gènes HLA (HLA-B) dans les populations d’Asie occidentale, l’endroit le plus probable où des accouplements fortuits entre H. sapiens et Dénisoviens se sont produits.
À partir d’un échantillon d’ADN microscopique prélevé sur un os vieux d’environ 80 000 ans, des chercheurs sont parvenus à décoder le génome de l’hominidé de Denisova, et à le comparer avec celui de ses proches cousins, les Néandertaliens et l’humain moderne. Leurs analyses, publiées en août 2012 dans la revue américaine Science, révèlent notamment que la diversité génétique était assez importante chez les Dénisoviens et qu’une partie non négligeable de leurs gènes a été transmise aux habitants actuels d’Asie du Sud-Est, en particulier aux Papous.

Une nouvelle étude prouve qu’une partie du matériel génétique de Denisova a été positivement sélectionné pour aider Homo sapiens à s’adapter à de nouveaux environnements, en l’occurrence à la haute altitude. Un variant du gène EPAS1 provenant de l’hominidé améliore le transport d’oxygène et est présent uniquement chez les Tibétains et les Chinois Han dans une moindre proportion.
L’équipe de Svante Pääbo (Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology à Leipzig, Allemagne) a publié le 4 décembre 2013 dans la revue Nature une analyse génétique de l’ADN mitochondrial (maternel) d’un fémur de la grotte de Sima de los Huesos, sur le site préhistorique de Atapuerca, en Espagne. Ce fémur appartient à un groupe de 28 individus de l’espèce Homo heidelbergensis, et est daté d’environs 300 000 ans. Eut égard à la ressemblance anatomique entre Homo heidelbergensis et l’homme de Néandertal, l’équipe s’attendait à un fort apparentement génétique avec ces derniers. Mais « loin de révéler cet étroit lien génétique […], l’analyse de cet ADN mitochondrial a en réalité montré que cet Homo de la grotte de Sima de los Huesos est génétiquement bien plus proche de l’Homme de Denisova que de l’homme de Néandertal ».
Svante Pääbo ne remet pas en cause l’apparentement d’Homo heidelbergensis et de Néandertal. Il pense au contraire « que les Homo de la grotte de Sima de los Huesos seraient […] les ancêtres communs de l’Homme de Denisova et l’Homme de Néandertal ».
De plus, une étude récente d’Eva-Maria Geigl, directrice de recherche au CNRS, parue dans Science Advances (2019), a révélé que la phalange dénisovienne est très proche de celles des Sapiens, et plus éloignée de celles des Néandertaliens. Les paléoanthropologues, et en particulier Isabelle Crevecœur, ont ainsi observé que les phalanges des humains modernes ont à peine changé au cours des deux derniers millions d’années, au contraire des phalanges néanderthaliennes. Ainsi, les phalanges dénisoviennes se rapprocheraient grandement des phalanges sapiennes. Que l’almas soit apparenté à l’Homo sapiens ou bien à l’Homo denisovensis, le fait que ces deux hominidés aient cohabité jusqu’à très récemment dans l’Altaï démontre la pertinence du jeu de la corrélation fossile. Existe-t-il d’ailleurs des témoignages crédibles de l’almas dans le haut massif de l’Altaï ?
Témoignages de l’almas dans l’Altaï
Hormis les expéditions très sérieuses de Zhugderiin Damdin (1962-1965) ou bien de Jean-Louis Maurette (2012), il y’eut des expéditions bien moins reluisantes, comme celle de Sergey Semenov (2003) qui alla jusqu’à ramener une patte d’ours (Ursus arctos gobiensis) en guise de pied d’homme sauvage !

A nouveau, les informations les plus pertinentes dans l’Altaï proviennent de Byambin Rinchen, qui interrogea à ce sujet en 1930 un enseignant kazakh à Oulan-Bator. Il venait de l’Union Soviétique pour enseigner dans le Gobi-Altaï. L’homme lui parla d’un incident où une communauté avait vu une fois le cadavre d’une fille almas qui pourrait avoir environ 7 ans. Elle avait été accidentellement tuée en déclenchant un piège à arbalètes utilisé pour tuer les animaux sauvages. Toute la communauté fut au courant de la mort accidentelle de la fille almas, mais la tint secrète, car il était illégal de chasser le gibier avec des pièges à arbalètes. Ce même enseignant dit au professeur Rinchen que lorsqu’il chassait une autre fois avec un groupe de kazakhs, ils virent un homme complètement nu au coucher du soleil qui disparut à leur vue. Ils tentèrent de lui crier dessus mais il ne s’arrêta pas. Il était velu et fonçait à travers la neige en agitant dans tous les sens ses bras. Un kazakh voulut lui tirer dessus mais les autres l’arrêtèrent à cause des mauvais présages qui arriveraient : mauvais temps, tempêtes de neiges, perte du fourrage, etc. Mais l’enseignant monta tout de même sur son cheval et fonça sur la créature. Son cheval barbota dans la neige profonde et la créature velue s’éloigna. L’enseignant dit qu’il fut aveuglé par le soleil mais au moment où il regarda la créature à distance, les poils de son corps étaient roux sous le soleil couchant.
Cette approche paléanthropologique de l’almas par le biais du dossier de l’homme de Denisova permet de redonner à cet hypothétique bipède velu une assise biologique, c’est-à-dire une image concrète, palpable, intensément présente. Des cimes enneigées de l’Altaï aux steppes arides du Gobi, l’almas constitue l’un des dossiers les moins connus et pourtant les mieux étayés de la cryptozoologie, allant de recueils testimoniaux innombrables (Souchkine, Rinchen, Damdin), à du matériel folklorique (représentations antiques de Vleck, masque d’Uspenski,), en passant évidemment par des indices matériels plus que conséquents (empreintes, poils, crânes).
Mais qui s’occupe actuellement de ce passionnant dossier de l’almas ? Des mongols ? Des occidentaux ? Après d’illustres ainés (Rinchen, Damdin, Ravdjir), qui a pris soin de cet homme sauvage mongol au XXIème siècle ? Chers lecteurs de Strange Reality, nous verrons tout cela dans le prochain et dernier article de ce cycle sur l’almas.
Fascinant vos articles sur l’almas,vraiment.
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Merci Monsieur,
Nous œuvrons au maximum, avec nos collaborateurs, pour que le site de « Strange Reality » puisse accueillir des articles complets et documentés sur les énigmes animales de notre monde. Merci à nouveau pour vos encouragements.
Florent
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