Pygmées européens 2

Nains du Massif central

La grotte de Soubès, site de la découverte archéologique des pygmées de Lapouge (1895)

          Chers lecteurs de Strange Reality, l’exceptionnelle découverte des pygmées suisses du Néolithique en 1894 par Julius Kollmann ne tardent à faire des émules chez les savants français, en particulier avec les travaux anthropologiques de Georges Vacher de Lapouge (1854-1936), brillant anthropologue qui prit malheureusement une part active dans les thèses eugénistes de son époque (Race et milieu social : essais d’anthroposociologie, Editions M. Rivière, 1909). S’étant illustré en 1890 avec l’affaire du « géant de Castelnau » (« Le géant fossile de Castelnau », Nature n°888, 1890), Lapouge s’intéresse particulièrement aux autres humanités, notamment aux nains dont il pense avoir trouvé les représentants néolithiques d’une communauté dans les Cévennes.

Les pygmées fossiles de Lapouge

     Lapouge relate dans un article phare son expertise sur deux mandibules bien singulières : « Au mois de novembre 1889, j’ai reçu de Monsieur Joseph Vallot, un des intrépides explorateurs des abîmes cévenoles, deux lots importants d’ossements provenant d’une petite grotte, située au-dessous du château de Soubès, près Lodève. Le premier comprenait seulement deux fragments de mandibule, remarquables par leur petitesse extrême, l’autre une caisse d’ossements et de poteries, le tout en menus morceaux. » (Lapouge, id., p. 10).

Georges Vacher de Lapouge (1854-1936), le « père » des pygmées du Soubès (1895)

  D’abord, ces mandibules ont été consciencieusement décrites et mesurées par le savant homme : « Les données numériques sont largeur bicondylienne (par construction) 0,081; largeur bigoniaque (id.) 0,072; hauteur de la branche montante, 0,036?; largeur de la branche, 0,025; hauteur symphysaire, 0,023 ; première molaire, 0,017  […] » (Lapouge, id., p. 12).   

     Ensuite, il revient en détails sur la petitesse des dimensions et le caractère archaïque de l’ensemble : « La pièce est très petite. Superposée à la partie correspondante d’un crâne de nain portant le n° 62 de ma série de Karlsruhe, elle fait pont au-dessus sans épouser les contours, malgré l’analogie de conformation générale […] Le menton est représenté par une facette triangulaire d’un centimètre de côté, en relief très faible à la partie supérieure, en faible retrait à la partie inférieure. En norma verticalis, il représente une droite coupant l’angle formé par les branches horizontales; en norma lateralis il rappelle beaucoup la forme caractéristique de H. Neanderthalensis » (Lapouge, id., p. 12).

     Enfin, ces deux mandibules (et des fragments crâniens) permettent de se faire une idée, par les lois corrélatives de l’anatomie comparée, de la silhouette générale de leurs propriétaires : « Ces diverses pièces, provenant d’au moins deux ou trois individus différents, concordent pour établir la présence à Soubès d’une race de pygmées dont la taille ne dépassait pas celle des enfants de sept à dix ans de nos races ordinaires. Le simple aspect des fragments d’os longs, graciles, d’un cinquième environ plus courts que la moyenne, bien adultes cependant et dont les épiphyses sont parfaites, achève de trancher la question » (Lapouge, id., p.15).

     Les pygmées de Soubès seraient alors une variété humaine de type brachycéphale, du grec brakhus et kephale, ce qui signifie « crâne court ». En étudiant les fragments épars d’un crâne, Lapouge le trouve bien singulier et émet le verdict suivant : « Nous avons montré une discordance entre la face et le crâne, comme si l’on avait appuyé à la fois sur le milieu du visage et sur la région occipitale jusqu’à produire un rapprochement compensé par la voussure du front et par l’approfondissement exagéré des fosses temporales : de là Homo contractus » (Les Sélections sociales, cours libre de science politique professé à l’Université de Montpellier, 1888-1889, Editions A. Fontemoing, 1896, p. 23).

     Selon Lapouge, une morphologie crânienne compressée aux fosses temporales saillantes est caractéristique de cet hominidé dont il osera une détermination scientifique sous le terme d’Homo Contractus, ce qui signifie l’« Homme comprimé ». En conclusion, sa communication scientifique est rehaussée par l’argument des pygmées suisses du Néolithique, qui fait déjà consensus dans les milieux savants : « Les découvertes faites récemment par M. Nüesch au Schweizerbild près de Schaffhouse, me paraissent confirmer mon opinion. […] Il attirait l’attention sur la découverte « des pygmées fossiles trouvés pour la première fois en Europe » (Lapouge, id., p.10).

     Si le matériel osseux de Soubès décrit par Lapouge (deux mandibules et des fragments d’un crâne) est moins important que la récolte conséquente du Schweizerbild décrite par Julius Kollmann (des fragments issus de cinq squelettes), le savant français n’en agit pas moins comme un précurseur dans le dossier des pygmées européens : recevant les fossiles en 1889, il s’active dès 1890 pour proposer des communications scientifiques à la Société archéologique de Montpellier, à celle des Félibres montpelliérains, à l’Association languedocienne et enfin, le 26 mai, au Congrès d’études languedociennes. Lapouge reçoit même des objections de la part du public : la petitesse des hominidés du Soubès pourrait être due à des « anomalies individuelles ». Nous évoquerons cet argument du nanisme pathologique dès le prochain article de cette étude.

    Ainsi, la découverte de Lapouge se fait en parallèle de celle de Julius Kollmann et si le savant français évoque les travaux de son confrère suisse, il le précède d’une année dans la publication de ses résultats (1895 contre 1896). Les Pygmées de Soubès apparaissent donc dans le même élan scientifique (1894-1896) que leurs célèbres voisins suisses.

Les pygmées historiques, des Négritos aux Pitikos

     Si Julius Kollmann évoque une analogie avec les pygmées africains (Akas), Lapouge va se permettre de trouver dans son pygmée du Soubès des caractéristiques crâniennes très proches des Négritos : « Le crâne de cette race, peu volumineux, se présente comme s’il avait subi une compression sur le maxillaire supérieur et sur l’inion, faisant basculer la face et l’enfonçant sous le crâne, mettant en relief la région frontale et oculaire, rendant le profil presque vertical, approfondissant la fosse temporale au point de rappeler le caractère essentiel du crâne Négrito et de donner dans la norma verticalis l’impression d’un étranglement entre la région frontale et la pariétale. » (Lapouge, id., p.10).

     Mais qui sont donc ces Négritos précités ? Les Négritos sont des populations humaines des îles Adaman, Philippines et de la péninsule malaise qui se distinguent nettement de leurs voisins papous et hindoues par une petite taille et une peau très foncée. « Quand les Espagnols, an commencement du XVIIe siècle, pénétrèrent dans l’intérieur de Luçon, ils trouvèrent des populations sauvages à peau noire et à cheveux crépus. Ils donnèrent à ces populations, dont la présence au centre d’un pays malais les surprenait beaucoup, le nom de Negritos del monte, petits nègres de la montagne, appellation fort juste qui rappelle les deux caractères frappants de cette race : sa petite taille et la couleur de sa peau. » (Louis Lapicque, « La race Négritos et sa distribution géographique », Annales de Géographie, Tome V, 1896).

Crane d’un Négrito (brachycéphale) par rapport à son voisin papou (dolichocéphale)

Taille des Négritos par rapport aux populations hindoue (1896) et caucasienne (1901)

     Pour quelle raison les Négritos étaient-ils d’aussi petites tailles ? Le phénotype des Négritos des Philippines a évolué en se spécialisant avec une petite taille, très probablement par adaptation à la forêt humide tropicale et peut-être aussi, dans les îles (Adaman, Philippines), par nanisme insulaire. Ce même phénomène de réduction de la taille a pu opérer pour nos populations néolithiques des Cévenne et de Suisse, adaptés toutes deux à un écosystème de montagne forestière propice au mécanisme du nanisme : l’ours brun du massif pyrénéen (Ursus arctos arctos) est de petite taille par rapport à l’ours brun des plaines du Caucase(Ursus arctos syriacus).

Ursus arctos arctos est plus petit et gracile que son cousin Ursus arctos syriacus

   

Peut-on identifier, dans l’écosystème montagnard du Massif central, des peuples apparentés aux pygmées du Soubès décrits par Lapouge ? Si ces restes fossiles datent du Néolithique, la région était à la même époque hantée par une peuplade préceltique qui se nommait les Volques. Si les Volques exploitaient à la fin du Néolithique les mines d’or, tout comme les nains germaniques, rien ne laisse à supposer qu’ils étaient de stature médiocre. Bien au contraire, les nombreuses sources latines à leur sujet (Cicéron, Tite-Live, César) leur prêtent une stature tout à fait respectable.

    Pourtant, au Sud du Massif central, les grecs se heurtent, dans l’arrière-pays marseillais (Sainte-Baume, Verdon) à un peuple très peu documenté mais dont la petite taille est attestée : les « Pitikos », farouches habitants de la montagne, qui fuient dans les grottes par crainte du contact avec la civilisation.

    A Castellane, dans le massif du Verdon, nous retrouvons au XIXe siècle trace de ces nains, très discrets et furtifs, aux mœurs nocturnes. Ils étaient accusés d’enlever des gens aux champs que l’on ne revoyait jamais. Excédé, le maire du village de Castellane aurait fait poser une lourde grille cadenassée sur l’entrée de leur antre rocheuse afin de les empêcher de sortir la nuit et de commettre des rapines et des exactions en tout genre. Si l’on quitte le Verdon pour revenir sur le Massif central, les montagnes ardéchoises sont riches d’un folklore sur un peuple nain nocturne et furtif : les afars.

Les afars, pygmées folkloriques de l’Ardèche

     Selon la culture populaire, le portrait-robot des afars ne varie guère. Ce sont des hommes et des femmes, les adultes étant « de la taille d’un enfant de six ans avec des oreilles pointues » (Patrick Carrier, conférence sur « Les Afars du Haut-Vivarais », 28 septembre 2019). Les afars sont souvent tout nu. Ils vivent en société, ont le sens de la famille. Disséminés dans les campagnes, ils se contentent de peu et mènent une vie chiche.

     Les afars ne sortent que la nuit pour aller à la maraude. Ils volent alors des raves dans les terres, des légumes au jardin, des objets autour des fermes, des sabots ou des bottes, bien trop grands pour leurs petits pieds. Embarrassés par ces grandes chausses, certains se seraient fait attraper ainsi, même si on finissait par les relâcher par pitié !

     Toujours nuitamment, les afars vont traire les vaches pour nourrir leur progéniture. Et comme c’est un peuple mécréant, ils dérobent volontiers les langues des enfants baptisés ! Alors, le monde chrétien inventa l’Angélus. La triple sonnerie des cloches avait, pour effets secondaires, d’écarter la grêle, les mauvais esprits et les afars de tout sexe.

     Les afars trouvaient leur logis dans des excavations naturelles. Ces trous s’appellent tunes à Vanosc, pertus de Las Fars dans la vallée du Douzet, et de façon plus générale bornas. Voici quelques lieux précis où l’on pouvait rencontrer des afars dans le Haut-Vivarais : à Saint-Désirat (la colline du Châtelet), à Annonay (le Mont-Miandon, les Rochers des Faya et des Fouines), à Vanosc (les tunes du Cluzeau), à Vocance (la grotte de Haut-Boydel), à Saint-Julien-Vocance (La Selle, Rocheplate, Chirat-Blanc), à Vaudevent (La Roche Berne), à Paillarès (Rochas de Fag), à Rochepaule (Chatelard), à Saint-Agrève (roche des Grisards).

Représentation des afars au sortir de leur grotte par un artiste local

     Les montagnes hantées par les afars sont souvent associées à des structures mégalithiques assez pauvres d’aspect, comme c’est le cas avec le dolmen de Champ-Vermeil. Selon les auteurs H. Vaschaldé et Paul Paya, ces assemblages sommaires en pierres datant du Néolithique étaient liés aux danses religieuses des afars.

Le dolmen de Champ-Vermeil (courtoisie Vincent Bordier, 2009)

     Des constructions mégalithiques sont aussi présentes à Soubès, site de la découverte des pygmées par Lapouge, avec le site archéologique du dolmen de Coutelles qui présentent de nombreuses tombes datant du Néolithique tardif.

Les tombes du dolmen de Coutelles, datant du Néolithique tardif

   

Une nécropole néolithique s’est établie à Soubès, à quelques encablures des dépôts osseux analysés par Lapouge. Seraient-ce les lointains descendants des pygmées qui, après avoir vécu et péri dans ces grottes, auraient fait le choix de construire des stèles funéraires ex nihilo ? Le scénario, s’il s’avère séduisant, manque d’indices osseux pour pleinement convaincre. Nous pouvons toutefois noter, sur un même site archéologique (Soubès), une présence néolithique à travers des artefacts osseux de petites tailles (Homo contractus) et des structures funéraires (dolmen de Coutelles).

     Si Lapouge demeure sans conteste le précurseur des travaux archéologiques sur les pygmées fossiles en France, son Homo contractus (1895) deviendra quelques années plus tard un rouage des thèses racialistes en étant classé comme la typologie européenne la plus arriérée, derrière l’Homo alpinus, petit brun craignant le progrès. Au sommet de la hiérarchie trônera l’Homo europeus, grand blond anglo-saxon ou nordique, dominateur et créateur (L’Aryen, son rôle social, Editions Ars Magna, 1901). Si l’auteur a lui-même dévoyé ses propres recherches archéologiques avec le temps, nous verrons, cher lecteur, que le grand folkloriste Arnold Van Gennep réussira brillamment la synthèse des travaux de Lapouge et Kollmann autour de ses propres recherches sur les pygmées français.

4 commentaires

    1. Cher Jean,

      Merci pour votre remarque très juste.

      Oui, tous ces termes sont taillés dans le même patron sémantique, à savoir la « fée » dans son acceptation française et non anglaise, celle avalisée par les recherches ethnographiques de Charles Joisten. Point d’ailes, de trainée magique ou de visages gracieux, les fées (hadas) de l’Ariège sont de petites tailles, mais farouches, velues, sauvages, assez laideronnes, et peu enclines à partager les secrets de la nature avec les hommes, jusqu’à fuir dans des grottes telles des possédées dès que l’Angélus retentit dans la campagne.

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