Pour les lecteurs occidentaux qui ne sont pas familiers avec les lectures cryptozoologiques, le terme obscur de Ksi-Gyik est mentionné pour la première fois dans un agréable livre de poche, Le col des Milles Larmes de Xavier-Laurent Petit, paru en 2004 aux Editions Flammarion Jeunesse. « Après son accident, Ryham a vécu quelques temps avec les Ksy- Gyik, les « derniers hommes sauvages », si différents qu’il les considère à peine comme des hommes ». Dans ce court extrait, l’hommage à Tintin au Tibet (1960) d’Hergé est évident, et l’auteur Xavier-Laurent Petit tisse une passerelle entre Ryham sauvé par les Ksy- Gyik et Tchan, le meilleur ami de Tintin, recueilli par le Yéti.

Mais qui est ce Ksy-Gyik, homme sauvage méconnu ?
Boris Porchnev, grand hominologiste et défenseur de la thèse du paléanthropien relique, sera notre porte porte d’accès vers le Ksi-Gyik car ce savant russe a exhumé les travaux oubliés de son confrère Vitali Khakhlov et en a exposé la substantifique moelle dans son précieux Matériel d’informations pour l’étude de la question de l’Homme-des-neiges (1958-1959). Vitali Khakhlov a entrepris des recherches sur le Ksi-Gyik qui ont abouti à une thèse de doctorat en sciences humaines intitulée Sur la question de l’homme sauvage (1914), dont Boris Porchnev a pu retrouver à grand peine la note préliminaire (une dizaine de pages) à la Bibliothèque de l’Académie des Sciences de l’U.R.S.S. à Leningrad, dossier tristement égaré dans le répertoire des Notes sans importance scientifique.
Afin de compléter ce maigre rapport d’une dizaine de pages, Boris Porchnev décida d’aller lui-même rendre visite à Vitali Khakhlov en 1958, soit une quarantaine d’années après ses travaux sur l’homme sauvage : « Bientôt, je me rendis moi-même chez Vitali Khakhlov. Et le voilà enfin devant moi, ce savant émérite, aujourd’hui en retraite et blanchi par les ans ».

« Il y a déjà un demi-siècle qu’encore simple étudiant (1907), il a découvert un Nouveau Monde, et que pour tout prix de sa conquête il a essuyé une rebuffade injustifiée. Pendant quarante-cinq ans, il s’est efforcé d’oublier, et de ne jamais retoucher à sa blessure. Ce n’est pas moi qui suis venu lui retourner le couteau dans la plaie en lui rappelant le passé : l’actualité s’en est chargée. Dès les premières informations journalistiques sur l’Homme-des-neiges (Expédition du Daily Mail, 1954), le professeur Khakhlov s’était en effet enflammé : l’heure de la réhabilitation et de la victoire semblait enfin venue pour lui ! Il s’était empressé d’écrire un article sur ses recherches anciennes et de l’adresser à la revue Priorda (La Nature). Mais l’article lui avait été froidement renvoyé. Et une nouvelle fois, le vieil homme avait dû baisser la tête. Suspendu aux lèvres du professeur Khakhlov, je griffonne de brèves notes. Lui, fébrilement, extrait des profondeurs de sa mémoire les joyaux d’un trésor à demi enseveli. Hélas ! Ces carnets de travail fondamentaux de ces années déjà lointaines se sont perdus dans le chaos des évènements. Mais peut-être sera-t-il tout de même possible d’en retrouver des échos dans ses archives personnelles… » (Boris Porchnev, « La lutte pour les troglodytes », in. L’homme de Néanderthal est toujours vivant, Editions Plon, 1974. p. 49).

Cet article que nous avons l’honneur de présenter sur Strange Reality est la version la plus complète des recherches théoriques et pratiques de Vitali Khakhlov, que j’ai pu compiler grâce au travail méticuleux et acharné d’archiviste de Jean-Luc Drevillon, que je remercie amplement.
Intérêt de Vitali Khakhlov pour le Ksy-Gyik
En 1907, Vitali Khakhlov, étudiant en zoologie, se trouvait à Zaisan, dans le Turkestan chinois. C’est au cours d’un voyage vers les glaciers du Mouztau, qu’il entendit pour la première fois, des lèvres de son guide kazakh, parler de l’existence d’un homme sauvage en Dzoungarie. Pour quelque raison, cette simple mention captiva l’attention du jeune homme. Avec une curiosité sans cesse croissante, il se mit à récolter des renseignements auprès de la population kazakhe locale. Ils étaient tout à fait prosaïques, et le zoologue avait d’ailleurs imaginé les questions pièges les plus insidieuses pour s’assurer de leur véracité.
Piotr Souchkine, son directeur de recherches à l’Université, l’encourageait très vivement à réunir de la documentation sur ce sujet fascinant. Souchkine lui expliquait que les grands explorateurs de l’Asie centrale (Prjevalski, Kozlov, Groumm-Grjimailo) possédaient des informations sur ces hommes sauvages asiatiques.
Nicolas Prjevalski, grand savant qui baptisa le cheval sauvage mongol (Equus caballus przewalskii), s’était en effet trouvé deux ou trois fois au seuil d’une découverte prodigieuse. Au cours de son premier voyage en Asie centrale, en 1872, il avait récolté les premières informations, dans les montagnes, sur ce qu’il appelait Khoun-gouressou (l’« homme-bête »). Il promit même une prime au chasseur qui lui en rapporterait un. Mais quand, pour toucher celle-ci, quelqu’un lui ramena un ours empaillé, il en conclut un peu hâtivement que le Khoun-gouressou n’était qu’une variété d’ours. Ensuite, au cours de son quatrième voyage, l’explorateur apprit bien des choses sur « les hommes sauvages » au voisinage des champs de roseaux du lac Lop-nor et des marais du bas Tarim, mais cette fois il se laissa non moins naïvement convaincre qu’ils n’étaient que les descendants, devenus sauvages, des bouddhistes ayant fui là-bas au XIV° siècle ! ».
En 1911, Vitali Khakhlov, fort des conseils de son maître à penser Piotr Souchkine, se mit à parcourir pendant trois ans les régions de la Dzoungarie, du lac Zaisan et des monts Tarbagatay. Partout, il interrogeait les locaux et notait avec soin tout ce qui, de près ou de loin, touchait à l’homme sauvage. On lui apprit ainsi que le Ksy-Gyik, comme on disait là-bas, était généralement répandu plus au Sud, là où on trouvait aussi l’At-gyik (cheval sauvage) et le Tié-gyik (chameau sauvage).

Quelques témoignages du Ksy-Gyik de Dzoungarie
Un kazakh séjournait chez ses parents en Asie centrale. C’était en été, quand le village s’est transporté dans les montagnes Iren-Kabyrga, dans le campement d’été de Djaouliaou. Une fois, il a passé la nuit avec les gardiens de chevaux. A l’aube, les gardiens de chevaux ont aperçu une forme humaine qui s’approchait des chevaux. Croyant à un voleur, deux gardiens sautèrent sur leur monture en emportant des perches munis de lassos (arkanes) avec lesquelles on attrape les chevaux. L’homme se sauvait maladroitement et lentement. Bientôt, les cavaliers l’avaient rattrapé et lui avait passé l’arkane au cou. Son cri ne ressemblait pas à celui de l’homme. Il ressemblait plutôt à celui d’un lièvre blessé. Il se défendait d’une manière très étrange : au lieu d’essayer d’enlever le lasso, il l’attrapait avec ses mains contractées et le tirait. De cette façon, il resserrait encore davantage la boucle. Le gardien en chef, habitant du pays, avait dit qu’il fallait libérer le prisonnier. Cet « homme sauvage » est une créature inoffensive, ne faisant jamais de mal aux humains. Les autres ont obéi après avoir bien examiné l’énigmatique créature sauvage.
Son aspect était étrange. Tout son corps était couvert de poils « comme celui d’un petit chameau ». Ses bras sont longs, descendant au-dessous des genoux. Son cou est court et très musclé « comme celui d’un taureau ». Il n’a presque pas de front et ses arcades sourcilières sont très accusées. Pas de sourcils. Par contre, ses cils sont très longs et fournis. Le nez est inexistant, avec de larges narines. Par contre, la bouche est immense. Les lèvres sont épaisses et adhèrent aux dents qui s’avancent. Ksy-Gyik montrait ses dents et tout le monde avait vu ses grandes canines.
Les oreilles de cette étrange créature sont pointues en haut « comme celles d’un renard ». Les jambes sont courtes et courbées aux genoux. L’« homme sauvage » marche et se tient debout, non tout droit mais en inclinant son corps en avant. Il court maladroitement en écartant largement les jambes et en agitant ridiculement les bras. Comme si des oints lourds étaient attachés à ses jambes. C’est d’ailleurs très compréhensible : le pied de Ksy-Gyik a une forme bizarre, ce n’est pas un pied mais une patte d’ours. Ce « pied » est plat, très large, sans talon, avec des doigts écartés, quant au gros orteil, il est très gros et s’avance latéralement. Ainsi, la trace de l’homme sauvage ressemble à celle de l’homme chaussée d’itchiguis (sorte de mocassins).
Quand l’« homme sauvage » fut relâché, il se sauva en roulant maladroitement d’un côté sur l’autre et se cacha dans une petite grotte. Dans cette grotte, les kazakhs découvrirent une couche de tiges sèches de saxaouls et d’algues des marais. Un gardien local nous a raconté que Ksy-Gyik confectionne sa tanière dans de simples trous qu’il couvre de roseaux ou de branches. Ces créatures vivent souvent en couple, sont rares et parfaitement inoffensives pour l’homme.
Un autre témoin avait parlé au professeur Vitali Khakhlov d’un « homme sauvage qu’on gardait au bout d’une chaîne dans la cour d’un moulin sur la rivière Manas. C’était une créature silencieuse et triste. Ce n’est que lorsque les humains s’en approchait que Ksy-Gyik montrait ses dents et gémissait. Il dormait le jour et prenait alors une étrange pose : « comme un chameau », en repliant ses genoux sous lui, le front contre terre et les mains sur la nuque.

Ainsi, la peau de ses coudes, de ses genoux et de son front était-elle calleuse « comme la semelle du chameau ». Elle n’acceptait la viande que crue, mais mangeait aussi des légumes et des graines. Elle ne touchait pas à la viande cuite, ni aux galettes de farine, bien que par la suite, elle se soit habituée à ce dernier aliment. Elle croquait les insectes qui s’aventuraient à sa portée. Elle buvait soit en trempant les lèvres dans l’eau et en aspirant « comme un cheval », soit en y plongeant les mains et en léchant l’eau qui y dégoulinait. Un jour, on décida de la relâcher. Balançant ses longs bras en courant à vive allure avec les pieds en dedans, elle disparut bientôt et à tout jamais parmi les roseaux.
La créature avait une peau velue, une poitrine étroite et inclinée, des épaules penchées vers l’avant et de longs bras. Elle avait les jambes fléchies, les pieds plats, des orteils étalés comme des pattes, s’aplatissant au contact du sol, le cou du pied restant dégagé. La tête était décrite de la même manière : elle ne comportait pas de menton et la nuque avait un renflement.
Dans un autre témoignage, surpris par un chasseur, le Ksy-Giyk courut vers le rocher le plus proche en escaladant hâtivement la paroi verticale et disparut en un rien de temps. Le chasseur disait que le Ksy-Gyik montait comme « une araignée sur son fil » ! Non pas « comme un chat », ni « comme un bouc », mais « comme une araignée », en tendant ses longs bras et en attrapant les aspérités des roches. Seules ses jambes servaient d’appui. Pouvez-vous vous représenter cet homme-araignée hirsute qui entraîne son corps avec ses longs bras sur des roches à la verticale ! C’est une image qui reste gravée dans la mémoire du témoin.
D’après les récits des Dzoungariens, le Ksy-Gyik se nourrit surtout de tout ce qu’il peut trouver dans les montagnes et les déserts de son inhospitalière patrie. Il mange surtout des baies, des jeunes pousses et des tubercules. Il attrape des insectes, des souris des champs et des déserts, des lézards, etc. Ils pillent aussi des nids d’oiseaux. Le Ksy-Gyik n’a pas d’habitat fixe. Seul ou en petite famille, il erre dans tout le pays. En hiver, les hommes sauvages se déplacent plus au Sud vers la frontière avec le Tibet. On peut les rencontrer dans les hautes montagnes, près des glaciers, sur les plaines désertiques et les sables arides, ainsi que dans les massifs de roseaux près des lacs et rivières. L’important, c’est que le territoire soit inhabité par les humains.
Portrait-robot du Ksy-Gyik
Le corps est couvert de poils, d’un brun roussâtre ou grisâtre, qui rappellent la laine du jeune chameau. Les épaules sont poussées vers l’avant, et la tête est comme enfoncée entre elles, ce qui donne une allure voutée. Les bras ne pendent donc pas vraiment le long du corps, mais un peu devant lui. Dans l’ensemble, la silhouette du Ksy-Gyik se caractérise par la longueur des bras et la brièveté des jambes.

Au niveau de sa tête, le front est à peine marqué. A sa place s’avancent des arcades sourcilières massives : derrière elles, il y a une étroite bande de peau calleuse au-delà de laquelle les cheveux poussent aussitôt. La tête s’allonge en pointe vers l’arrière. Le cou est massif, les muscles de la nuque étant extrêmement puissants. Le nez est écrasé, et les narines sont grandes. Les pommettes saillent. Le bas du visage est lourd et très proéminent, mais les kazakhs disaient en se tenant le menton : « Les Ksy-Giyk n’ont pas de menton comme ça », et ils montraient du geste comment la mâchoire inférieure fuyait. Ils s’élargissaient aussi la bouche au maximum en l’étirant par les coins au moyen des doigts, et ils ajoutaient : « La bouche des Ksy-Gyik est encore plus large ». Cependant, les lèvres sont très minces : leur muqueuse très foncée n’est visible que lorsque le Ksy-Gyik montre les dents. Les incisives sont inclinées vers l’avant comme « chez un cheval ». La peau du visage est glabre et foncée. Les oreilles sont pointues en haut « comme celles d’un renard ».


La main, dont la paume est dépourvue de poils, paraît longue est étroite à cause de la faible opposabilité du pouce.

En revanche, sur le pied, dont la plante est elle aussi dépourvue de poils, le gros orteil est beaucoup plus écarté que chez l’homme, plus massif aussi et plus court que les autres. L’opposabilité du gros orteil est donc supérieure à celle de l’homme.

Conclusion
Lorsque Boris Porchnev recueillit de la bouche-même de Khalkov ces recherches inédites en 1958, le savant émérite était déjà à la retraite et blanchi par les ans. Amer, blessé, il y a quasiment un demi-siècle qu’il a découvert un Nouveau Monde en Dzoungarie et les alpinistes du monde entier sont en train de lui ravir sa découverte sur les hautes cimes de l’Himalaya ! Pourtant, ravalant son orgueil, l’honorable Khalkov aida la jeune garde lors de la création de la commission pour l’étude de l’Homme-des-neiges en 1958 : « Dans une pièce biscornue et follement encombrée (ndlr : le local de « Société de la Protection de la Nature » de Moscou) on écoutait Khalkov ou Démentiev, on discutait des bases zoogéographiques et anatomiques de la reconstitution sans précédent qui s’esquissait peu à peu […] » (Boris Porchnev, p. 91).
Quel était donc ce Nouveau Monde que Khakhlov avait découvert ?
Notre chercheur russe, audacieux, avait tenté le baptême scientifique de son objet d’étude en le nommant Primihomo asiaticus, ce qui signifie « l’Homme primordiale asiatique ». Malheureusement, la proposition de baptême scientifique du grand naturaliste Carl Von Linné au XVIIIème siècle sous le terme d’Homo troglodytes est antérieure et fait donc autorité. Cela n’enlève rien au génie scientifique de Vitali Khakhlov, qui conclue avec fougue et illumination sa note préliminaire : « le Ksy-Gyik est un primate ressemblant au plus haut point à l’homme et très avancé sur la voie menant à son apparition. Un homme antédiluvien ».
Nous, enquêteurs de l’étrange, avons à cœur d’exhumer les archives oubliées ou négligées de l’hominologie, afin d’ouvrir un dialogue sur la pertinence de ces sources auprès des communautés actuelles de la cryptozoologie, de l’anthropologie, de la paléanthropologie, etc. Plus de cent années se sont écoulés depuis les recherches pionnières de Vitali Khakhlov (1911-1914), et il reste tant de choses à dire Sur la question de l’homme sauvage !

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