L’homme sauvage et la preuve : l’almasty

Marie-Jeanne Koffmann devant une empreinte de pied nu (Almasty 92

     Après le bigfoot et son lien hypothétique avec des indiens primitifs, l’orang-pendek et son probable cousinage avec les orang-outang, les preuves accumulées jusqu’à très récemment à propos du yowie, l’almas de Mongolie et ses accointances avec les Homo sapiens archaïques, il est grand temps de mettre à l’épreuve de la science un homme sauvage très largement documenté : l’almasty du Caucase.  

     Les recherches autour de cette créature ont été entreprises largement à l’initiative de la chirurgienne franco-russe Marie-Jeanne Koffmann (1919-2021), qui a fait l’objet d’un vibrant hommage de notre part. Avant ses travaux d’une grande rigueur scientifique, quelques érudits et explorateurs émérites étaient déjà dans le secret de cet énigmatique homme des bois réfugié dans les hautes vallées du Caucase. A ce titre, le grand naturaliste Constantin A. Satounine (1863-1915) a documenté dès 1899 sur le Biabane-gouli (homme sauvage local)

Constantin A. Satounine en bivouac à la recherche du Biabane-gouli (1899)

    

 Un soir, C. A. Satounine cheminait avec ses guides à travers les forêts désertes des contreforts de la chaîne de Talych, tout au sud de l’Azerbaïdjan. Ils ont observé la silhouette d’un être humain d’aspect sauvage, apparemment une femme, qui avait franchi le sentier devant eux et traversé une clairière. C’est seulement à l’issue de l’étape, lors de la halte, que notre zoologiste a pu recueillir des renseignements locaux sur les hommes velus et privés de paroles qui vivent dans les monts Talych. De nos jours, réagissant enfin au signal lancé autrefois par Satounine, le professeur N. I. Bourtchak-Abramovitch s’est efforcé de rassembler des témoignages récents à la faveur de diverses missions de reconnaissance. Des centaines de notes se sont déjà accumulées de la sorte sur les observations faites par la population indigène. Vers l’automne, ces êtres hominoïdes, velus et sauvages – appelés Gouleibanes quand ils sont de sexes mâles, et Vilmojines s’il s’agit de femelles – apparaissent à la proximité des villages, dans les melonnières et les potagers. En été, ils se tiennent plutôt le long des rivières, où abondent poissons, grenouilles et crustacés. Nombreux sont les chasseurs qui peuvent décrire les traces qu’ils laissent derrière eux dans la neige. Mais l’enquêteur se heurte, ça et là, à un rideau invisible. Un usage très ancien veut que les chasseurs ne tuent pas les hommes sauvages. Il arrive cependant encore au peuple Tate, d’après certains renseignements, d’en abattre pour les offrir en sacrifice dans leurs sanctuaires. Aussi tient-on d’autant plus secrets les lieux d’habitation des individus encore vivants.  

De nombreuses empreintes de qualité

     Lors de ses recherches en Kabardino-Balkarie (1962-2005), Marie-Jeanne Koffmann a relevé un nombre important d’empreintes, dont la plus emblématique demeure la piste de Dolina Nazarov (1978).

Série d’empreintes de pieds (rivière Malka, Dolina Narzanov, mars 1978) 

Empreinte extraite de la série (rivière Malka, Dolina Narzanov, mars 1978)

                             

     Deux années auparavant, à quelques encablures de Dolina Nazarov, Marie-Jeanne Koffmann avait déjà documenté, malheureusement dans une qualité photographique assez dégradée.  

(Marie-Jeanne Koffmann, Kabardino-Balkarie, 1976)

     Une autre empreinte de qualité, découverte par Marie-Jeanne Koffmann durant l’expédition almasty 1992 et le tournage du documentaire de Sylvain Pallix, a fait l’objet d’un moulage qui se trouve toujours au Musée Darwin de Moscou.

(Marie-Jeanne Koffmann, Kabardino-Balkarie, 1992)

     Plus récemment, en juin 2014, Jean-Louis Maurette a relevé avec son camarade d’exploration Henry de Tydere une magnifique empreinte de pied nu imprimée dans la boue en allant sur un site d’ammonites fossiles en Kabardino-Balkarie.

Une empreinte de pied nu dans le lit d’une rivière (Jean-Louis Maurette, Kabardino-Balkarie, juin 2014)

                         

     De manière originale, une autre empreinte est apparemment laissée par la marque de dents d’une de ces créatures sur deux boîtes de conserve en 1985. L’expertise dentaire a été confiée à deux chirurgiens-stomatologistes russes, Y.A. Treigher et N.A. Nikolskaya, qui concluent : « A en juger d’après les traces, la largeur des couronnes des incisives dépasse considérablement celle d’incisive humaines. De même, la largeur de l’arc dentaire est nettement supérieure à celle d’un arc humain : la portion d’arc examinée porte 4 dents centrales supérieures. Chez l’homme, on en compterait 6. Il semble inutile de pousser dans le détail la recherche de corrélations dimensionnelles : chez l’homme, ces dimensions varient dans des limites assez vastes et bien connues, mais nous ignorons ces limites chez l’individu examiné. En ce qui concerne la disposition réciproque des empreintes maxillaire et mandibulaire, elle est probablement orthognathe. Nous ne pouvons toutefois l’affirmer en l’absence d’une empreinte occlusale. Vu ces considérations, nous sommes admis à conclure que la trace de morsure examinée appartient le plus probablement à un grand primate dont les indices faciaux sont plus puissants que ceux de l’homme ».

Quelques pièces anatomiques encore discutées

     Le dossier scientifique de l’almasty du Caucase, déjà ample, ne se limite pourtant pas à de simples empreintes de voutes plantaires ou dentaires, mais peut se vanter de quelques pièces anatomiques plus ou moins convaincantes et diversement étudiées par la communauté scientifique : poil, ongle et même un cadavre supposé appartenir à un almasty.    

     Le cryptozoologue allemand Hans Jörg Vogel a enquêté en 2018 sur une preuve autoscopique tout à fait intéressante, celle d’un hypothétique ongle d’almasty. Les mensurations exactes de l’artefact sont :  9cm de long, 4cm de large et une épaisseur de quelques 1,5mm. Une analyse plus poussée de cette curiosité permet de déterminer une analogie avec l’ongle d’un caprin : le vendre sur le marché comme un authentique « ongle d’almasty » n’est alors qu’une vulgaire supercherie.

Le cryptozoologue allemand Hans Jörg Vogel présentant l’ongle de l’almasty (2018)

     En 1994, Marie-Jeanne Koffmann lègue à son collègue sur l’expédition almasty 92, Gregori Panchenko (1966- ), l’avenir des recherches de terrain dans le Caucase. Ce biologiste russe avait auparavant observé le 25 août 1991 un almasty à quatre mètres de distance, la nuit, pendant environ trois minutes.

Croquis de l’observation (1991)

     Cet intrépide chercheur russe, avec le soutien logistique de son collègue anglais du CFZ Richard Freeman, monte l’expédition almasty 2008 et demeure vingt-et-un jours dans le Caucase. A cette occasion, de nombreux indices sont récoltés, dont des poils et des vestiges de capes de bergers (vêtements récupérés par ces créatures sauvages). Mais le résultat d’enquête le plus probant demeure la localisation d’un site d’inhumation d’un cadavre d’almasty. Voilà, retraduit en substance, le récit de cette enquête menée par Grigori Panchenko :  En 1997, un résident local a découvert le corps d’un homme sauvage et l’a enterré sous un rocher dans les montagnes. Quand je lui ai parlé au sujet de l’opportunité de se faire beaucoup d’argent avec cela, il a mis sur le tapis sa superstition que ça apporte le malheur de mentionner ceci à des gens. Pendant plus d’une semaine, nous avons entrepris des fouilles dans la région avec lui. Il semblait avoir oublié l’emplacement exact, et le secteur avait changé à cause des nombreuses avalanches. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé le squelette, mais dans la prochaine expédition on pense poursuivre la recherche . Ce cas résume bien le problème majeur des recherches en hominologie qui se heurte le plus souvent aux superstitions des témoins locaux qui n’ont aucune envie que des russes remuent les vieux fantômes du Caucase.

     Alors que les indices (testimoniaux, digitaux, dentaires, osseux) abondent en faveur de l’almasty du Caucase, le riche répertoire fossile de ce massif montagneux à la croisée des influences géographiques et culturelles permettrait quelques corrélations assez pertinentes. Quel serait le candidat fossile qui partagerait le plus de points communs avec l’almasty ?

Le riche répertoire fossile du Caucase

  Le Caucase, d’après les dernières recherches fossiles, serait à un carrefour non négligeable pour les hominidés autres qu’Homo sapiens, qui colonisèrent par vagues successives cette contrée montagneuse piégée entre mer Noire et mer Caspienne. L’Homo georgicus (Dmanisi, 2002) est certainement le premier représentant du genre homo à avoir peuplé cette zone il y a 1,8 million d’années ; les Homo neanderthalensis classiques de Shanidar (Kurdistan, 1950) s’implanteront vers 60000 ans ; ensuite, les Homo neanderthalensis tardifs de la grotte de Mezmaiskaya (1993) arriveront sur ces terres, 29000 ans avant notre ère ; enfin, le peuple indo-européen des Kazars arrivent sur ce territoire 1000 ans avant notre ère.

     Bien que très ancien, l’Homo georgicus, présentant des traits intermédiaires entre l’Homo habilis et l’Homo ergaster, est un candidat intéressant, notamment par sa capacité crânienne et sa bipédie avancée.

          Crâne Dmanissi n°4 D3444                      Crâne Dmanissi n°3 D2700

           Diverses reconstitutions physiques d’Homo georgicus

     

Mais quel est le portrait-robot le plus affiné de cet almasty du Caucase, de cet homme sauvage asiatique, de ce Primihomo asiaticus documenté par Vitaly Khakhlov il y a déjà plus d’un siècle ? Concorde-t-il avec le registre fossile des hominidés du Caucase ? A la lueur des nombreux témoignages, l’homme sauvage asiatique combinerait des caractères d’homme ancestral et de primate : « Il avait l’air d’un homme, ou devrait-on dire plutôt, d’un homme-singe fossile » (Maréchal Rybalko, 1937, Kazakhstan).

     Le répertoire fossile exhumé dans la première moitié du XXème siècle était pourvu de deux types d’humanoïdes : des hominidés (Homo erectus, Homo neanderthalensis, Homo rhodesiensis) et de lourds primates bipèdes (Gigantopithèques, Sivapithèques).

Un fossile d’hominoïde de la région caucasienne, négligé par toutes les études cryptozoologiques sur la question, pourrait attirer davantage notre attention : l’Udabnopithecus garedziensis. Récemment documenté par David Begun dans ses travaux phares sur les singes archaïques, notamment à travers l’article « La planète des singes du Miocène » (Pour la Science n°57, Décembre 2007),.ce primate bipède semble un candidat fossile intéressant pour expliquer la survivance de l’élusif almasty : même zone géographique, bipédie confirmée, taille humaine. Le grand savant du XIXème siècle Albert Gaudry trouvait déjà remarquables les similitudes entre le groupe d’hominoïdes Dryopithecinae (dont l’Udabnopithecus garedziensis fait partie lato sensu) et les humains : « Le dryopithèque était un singe d’un caractère très élevé. Il se rapprochait de l’homme par plusieurs particularités. Sa taille devait être à peu  près  la même ; ses incisives étaient petites […] » (Le dryopithèque, 1890, Librairie Polytechnique Baudry et cie, Paris.).

Holotype (dents fossilisés) d’Udabnopithecus Garedziensis

Timbre ouzbèque représentant Udabnopithecus Garedziensis, anciennement baptisé Dryopithecus Maior

     Richard Freeman, associé à Grigori Panchenko sur l’expédition almasty 2008, me confie dans un échange électronique l’existence d’une créature humanoïde très sauvage et simienne :  Anatoly Sidorenko nous a dit qu’il y avait en fait deux créatures ressemblant à des hommes dans le Caucase. L’almasty qui est la plus petite et la plus humaine des deux, et la mazeri beaucoup plus grande et ressemblant davantage à un singe. Le mazeri ressemble plus au plus grand type de yéti et du sasquatch. Il reste à l’écart des humains alors que l’almasty approchera les humains et l’habitation humaine  (Richard Freeman, 2020).

Ce mazeri pourrait-il avoir une correspondance avec le répertoire fossile propre à l’Udabnopithecus Garedziensis ? La question reste en tout cas ouverte mais, de l’autre côté du spectre humanoïde, il existe aussi dans le Caucase des hommes sauvages qui ne sont que des hommes ensauvagés, des ermites ou renonçants, tel le Misanthrope (1666) de Molière, « fuyant dans un désert l’approche des humains ».

Conclusion

     La grande chercheuse Marie-Jeanne Koffmann se fait à nouveau la caisse de résonance d’une certaine typologie d’almasty très originale, à savoir celle de l’humain ensauvagé : « La déclaration du capitaine Dyakov, confirmée par quatre officiers russes de la garnison de Lagodèkhi (le protocole de l’entretien n’est pas à ma disposition en ce moment) ne laisse, visiblement, aucun doute sur la possibilité d’existence solitaire à l’état sauvage de l’Homo sapiens dans les conditions qu’offrent le climat doux et la richesse des ressources alimentaires du Caucase oriental. La présence chez l’étrange créature ayant visité les chasseurs autour de leur feu de bois et partagé leur repas, de vestiges de vêtement et, surtout, d’une parole articulée, encore qu’incohérente, atteste son appartenance au genre humain. Un détail vient, par ailleurs, le différencier des « hommes des bois » : sa couverture pileuse est noire et frisée, à l’encontre de celle des premiers, toujours décrite rousse et lisse, « comme celle de  l’ours,  du  buffle ». La créature s’était présentée avec deux tortues mortes qu’elle n’oublia pas d’emporter en repartant après avoir dormi auprès des hommes ».

L’homme peut-il devenir « sauvage » ? Que signifie « devenir sauvage » pour un homme ? Abandonner consciemment la société de ses semblables ou avoir perdu la raison ; ne conserver que l’antique instinct de l’animal ? En ce dernier cas, l’adaptation de l’organisme et la réorganisation de certaines de ses fonctions peuvent-elles survenir assez rapidement pour conserver l’existence au premier contact immédiat avec un nouveau milieu extérieur, et l’assurer par la suite.

Combien faut-il de temps, par exemple, à la couverture pileuse pour acquérir l’épaisseur nécessaire à une protection intégrale contre le froid ? » (Témoignage de l’Azerbaïdjan, 1959).

  Chers lecteurs de Strange Reality, c’est avec ce dernier témoignage d’un humain ensauvagé du Caucase que nous nous quittons, l’occasion parfaite pour nous retrouver dans quelques temps avec l’étude scientifique de la femme ensauvagée la plus connue de l’hominologie russe : Zana.  

     

3 commentaires

  1. Bonjour,
    Merci pour ces infos.
    Une précision (qui a malheureusement son importance aujourd’hui), Grigori Pantchenko est ukrainien (en tout cas il habitait Kharkov/Kharkiv lors de sa première expédition). Il vit (ou vivait aux dernières nouvelles, et depuis avant 2008) en Allemagne. J’émettrai un doute sur son observation personnelle : il était arrivé sur les lieux épuisé par une très longue marche non prévue à son programme, et on ne peut à mon sen exclure qu’il ait pris un rêve pour la réalité.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Jean Roche pour ce commentaire éclairé. Oui, Grigori Pantchenko est d’origine ukrainienne, et il a passé une grande partie de sa carrière professionnelle en Allemagne. On espère le meilleur pour lui et ses proches dans ce terrible conflit…

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