Little Foot

Life with the Little People (Greefield Review, 1998) de Robert Perry

Chers lecteurs de Strange Reality, la terminologie Little Foot se réfère à deux entités bien distinctes dans les recherches actuelles sur les hominidés :

– D’une part, ce terme désigne depuis 2007 un fossile sud-africain d’Australopithèque (Australopithecus prometheus) découvert par Ronald J. Clarke, et nommé ainsi en raison de la taille très réduite de son pied gauche.

– D’autre part, ce terme est réservé sur le sol nord-américain au petit peuple mythique, en quelque-sorte à l’anti-Bigfoot , à sa part d’ombre : si l’un est grand, l’autre est petit ; si l’un est poilu, l’autre est glabre ; si l’un est roux, l’autre est foncé ; si l’un est solitaire, l’autre est communautaire.

Nous avions naguère fait le point à la fois sur le dossier sud-africain et sur le bigfoot, allons cette fois-ci à la rencontre de son petit cousin méconnu, Little Foot, dénommé aussi parfois Little People, en étudiant les mystérieuses affaires de pygmées nord-américains.

Quelques témoignages ici, ici, et ici.

De nombreuses légendes amérindiennes

Little People était connu des tribus Malécites-Passamaquoddy qui occupaient la région qui constitue aujourd’hui le Maine et le Nouveau-Brunswick. On pensait que le Petit Peuple avait fait des concrétions de sable et d’argile le long des berges des cours d’eau. Grâce aux objets qu’ils laissent derrière eux, on peut deviner l’avenir. Un petit objet en forme de cercueil annonçait même la mort. Les Indiens Yana qui vivaient le long de la rivière Sacramento, à côté de ce qui est aujourd’hui le parc national de Lassen, croyaient en une race de petites personnes sournoises, appelées yo-yautsgi, qui semblaient avoir la taille de petits enfants mais avaient la réputation d’attirer les voyageurs afin de les manger.

Les Indiens Seri qui vivent sur l’île Tiburon, dans le golfe de Californie, que l’on disait autrefois être « la tribu la plus sauvage et la plus primitive ayant survécu en Amérique du Nord », parlent d’Abtiso’ma. On dit qu’il a « la taille d’un enfant, qu’il a une barbe, un bâton doré, des vêtements blancs à l’intérieur et noirs à l’extérieur » ; il vit dans une grotte et aurait volé un jeune homme « afin de l’habiller joliment ». Selon les Indiens Creek des années 1800, « les petites personnes vivent dans des arbres creux et sur des falaises rocheuses. Elles attirent souvent les gens hors de leurs maisons afin de les perdre dans les bois ».

Les Mohegan croyaient au petit peuple Makiawisug qui vivait sous Mohegan Hill, dans le Connecticut, et leur distribuaient régulièrement des vivres. En échange de la nourriture et du respect, Makiawisug a appris aux Mohegans comment faire pousser du maïs et utiliser des plantes médicinales, tout en maintenant le sol fertile. La tribu Choctaw l’appelait Kwanikosha ; On craignait ces personnes et les aurait enlevées pour les tester et découvrir leur nature. La tribu Crow appelle son petit peuple le Nirumbee : ils auraient vécu dans les montagnes Pryor. La tribu Shoshone du Wyoming croyait en un petit peuple appelé Nimerigar qui vivait dans les montagnes Rocheuses. Ils n’étaient pas très amicaux et utilisaient des arcs et des flèches empoisonnées pour éloigner les intrus.

Bien que considérée comme mythique, la réalité des contes de Nimerigar a été remise en question en 1932 avec la découverte de la momie des montagnes de San Pedro, une momie de 14 pouces (36 cm) de haut trouvée dans une grotte à 60 miles au sud de Casper, Wyoming. Des tests approfondis ont été effectués sur la momie dans les années 1990 par George Gill de l’Université du Wyoming qui ont démontré que ce n’était pas un canular mais la dépouille d’un nourrisson anencéphale. Des tests ADN plus récents ont confirmé l’ancienneté de la momie qui daterait des années 1700.

La momie de San Pedro, un nourrisson anencéphale enterré par un rite shoshone

Quelle que soit les détails divergents entre ces légendes amérindiennes, ces hypothétiques humanoïdes sont généralement considérés de la taille d’enfants (généralement de 2 à 4 pieds, 0,6 m à 1,20 m environ), souvent à la peau foncée et parfois agressifs. Ils ont généralement un cou trapu et des dents pointues. Ils vivent dans les bois et sont souvent considérés comme des nains au visage poilu. Ils construisent des maisons dans les structures rocheuses sous les arbres, le long des ruisseaux et parfois dans les arbres. Ils se cachent de quiconque pénètre dans la forêt. Dans cette longue liste de récits amérindiens, un dossier nord-américain demeurera à ce titre bien plus palpable, bien plus tangible : celui du petit peuple du Cherokee.

Pygmées de l’Ohio

Jerry Wolfe, membre éminent des Cherokees et dépositaire des traditions de son peuple

L’amérindien Jerry Wolfe, d’ascendance Cherokee, estime qu’il était important de saupoudrer de tabac le sol avant d’entrer dans la forêt en guise de paiement pour pouvoir pénétrer sur le territoire du Petit Peuple. La légende dit aussi que le Petit Peuple aime jouer de la musique et surtout du tambour, mais qu’il ne faut surtout pas les suivre car ils n’aiment pas être dérangés dans leur forêt. Ils jetteront alors un sort à l’étranger pour qu’il soit désorienté et s’égare, et même s’il revient enfin chez lui, il demeurera dans un état d’hébétude constante. La légende poursuit en disant que si vous trouvez un ustensile dans la forêt comme un couteau ou un bibelot, vous devez demander au Petit Peuple si vous pouvez l’obtenir. Si vous ne lui demandez pas, ils peuvent vous jeter des pierres sur le chemin du retour.

Les magnifiques chutes d’eau de Tallulah (Appalaches), domaine des Nunne’hi

Les Cherokee croyaient que les chutes de Tallulah, dans le nord-est de la Géorgie, étaient occupées par une race de petites personnes qui vivaient dans les rochers et les grottes sous les cascades. Connus sous le nom de Nunne’hi, on estimait qu’ils n’étaient pas plus grands que des enfants, mais qu’ils étaient formés harmonieusement et que leurs cheveux arrivaient jusqu’à leurs pieds.

Les petites personnes étaient ambivalentes et présentaient donc une double nature, étant à la fois utiles et hostiles : si quelqu’un voyait les Nunne’hi à leur travail, ils mourraient. En raison de cette hostilité, les chasseurs et pêcheurs Cherokee évitaient de se rendre aux chutes d’eau. James Mooney, dans son livre Myths of the Cherokee (1996), a rapporté qu’au début du XXe siècle « deux chasseurs de Raventown, passant derrière la haute chute près de la tête de l’Oconaluftee dans la réserve East Cherokee, y ont trouvé une grotte avec des empreintes fraîches du Petit Peuple partout sur le sol ».

A ce titre, Eagle’s Rest en Géorgie a décidé de dédier une zone à la commémoration de ce Petit Peuple présent dans les légendes Cherokees et Creeks sous la dénomination de Wah’-tee-tas.

Parcours commémoratif autour du Petit Peuple (Eagle’s Rest, Géorgie)

A travers ce faisceau d’indices accumulés (légendes, empreintes, espace commémoratif), ce petit peuple existe-t-il vraiment ? Approfondissons le sujet en revenant sur son chapitre le plus tangible : les pygmées de l’Ohio.

Dans le livre Cherokee Little People Were Real (2014), l’auteur Mary Joyce présente le dossier des pygmées de l’Ohio. En interviewant le spécialiste des mythes Cherokee Walter Middleton, notamment auteur de Qualla (Alexander Books, 1998), Mary Joyce recueille l’histoire de petits tunnels creusés dans le sol argileux lors des travaux de construction de la Western Carolina University (Caroline du Nord) dans les années 1930.  Les tunnels étaient voûtés et hauts de quelques pieds. Les ouvriers du chantier ont également trouvé de petits os et un petit crâne avec des dents de sagesse indiquant une personne plus âgée. On a également trouvé sur la propriété du campus ce que l’on croyait être deux monticules indiens.

Ces tertres funéraires amérindiens abritant des squelettes de petits hommes rappellent l’affaire d’un cimetière de Coshocton dans l’Ohio où une vingtaine de corps de petites tailles ont exhumés dans les années 1830. « Ces corps sont d’une stature inférieure d’un pied et demi à celle d’un indien moyen. Ainsi, ces corps mesuraient en moyenne quatre pieds de hauteur (1m22) et étaient installés en position assise, ce qui semble une configuration habituelle des rites funéraires du néolithique » (Journal de l’Institut anthropologique, 6:100, 1876). Malheureusement, dès la fin du XIXe siècle, la charrue a depuis longtemps transformé ces hectares de Coshocton en champs de maïs, et effacé ce dernier vestige d’une population humaine de petite taille présente avant l’arrivée des amérindiens. Reste à leur sujet simplement une grande énigme autour des ces corps détruits ou disparus : celle des pygmées de l’Ohio.

 

La réhabilitation du mythe

Dès la fin des années 1990, les amérindiens vont se lancer dans un mouvement de réappropriation culturelle de leur passé qui va évidemment déteindre sur les récits du Petit Peuple : ainsi, avec Life with the Little People (Greefield Review), l’auteur amérindien Robert J. Perry, d’ascendance Chichacas, recevra le premier prix du Cercle des écrivains autochtones en 1997.

Par ce premier coup d’éclat, Robert J. Perry ouvrira la voix à tout un cercle d’auteurs amérindiens qui auront à cœur de transmettre les valeurs culturelles de leurs communautés. Ainsi, l’écrivaine amérindienne Rosanna Deerchild, d’ascendance Cree, reprend depuis 2014 les contes amérindiens à travers son émission radiophonique Unreserved sur CBC Radio One.

L’autrice Cree Rosanna Deerchild dans Unreserverd (CB Radio One, depuis 2014)

Rosanna Deerchild a interviewé l’artiste amérindien Brand Mitchell, d’ascendance micmaque, qui s’inspire des histoires de son peuple pour le roman graphique Les aventures de Pugulatmu’j: le cadeau de Giju, (HighWater Press, 2022). L’auteur se confesse alors : « J’étais simplement fasciné par le Petit Peuple. J’étais toujours à l’affût quand j’étais plus jeune… c’est ce qui m’a marqué, cet émerveillement et cette excitation de pouvoir en voir un ».

Brand Mitchell, Les aventures de Pugulatmu’j : le
cadeau de Giju, HighWater Press, 2022.

Récit micmaque mettant en scène le canevas du Petit Peuple chapardeur

L’auteur amérindien William Dumas, d’ascendance Cree, partage aussi sa connaissance des traditions orales du Manitoba, notamment à travers le livre Le don du Petit peuple (HighWater Press, 2022). Il est impliqué avec Warren Cariou, professeur d’anglais à l’Université du Manitoba à Winnipeg, dans le projet Six Seasons of Asiniskow Īthiniwak qui a pour objet la collecte des langues, de l’histoire et des connaissances autochtones. Dumas décrit le Petit Peuples comme « pas plus grands que votre genou » et d’apparence assez humaine, peut-être comparable aux lutins – mais dans son nouveau livre, ils n’ont pas d’oreilles pointues. Dumas a décrit comment lui et sa femme regardent autour d’eux et voient de nombreux anciens étudiants, à l’instar de Rosanna Deerchild, s’épanouir et partager la culture Cree, et ils se sentent très satisfaits du travail accompli par la communauté amérindienne.

William Dumas Le don du Petit peuple, HighWater Press, 2022

La reprise en main par les autochtones de leur propre culture concernant le Petit Peuple s’accompagne bien souvent d’une « féérisation » de ces récits, sans doute imputable à des impératifs éditoriaux. Un glissement s’opère donc vers l’imaginaire européen, notamment à travers la miniaturisation excessive du Petit Peuple (William Dumas) ou le canevas usité du Petit Peuple chapardeur (Brand Mitchell), là où les récits amérindiens les plus anciens montraient des créatures physiquement palpables, pragmatiques, sauvages et hostiles. La reprise des archétypes anglosaxons qui se vendent bien semblent avoir finalement raison des récits amérindiens originaux qui transparaissent dans certains témoignages récents comme ici et ici.

Représentation artistique de paléoaméricains chassant le glyptodon (Heinrich Harder, 1916)

En ce sens, les hypothétiques squelettes du cimetière de Coshocton (pygmées de l’Ohio) semblent acquérir une importance capitale dans le dossier des pygmées nord-américains et mériteraient une étude plus approfondie afin d’être localisés, expertisés et soumis à une analyse adn.

Cependant, nous pouvons nous contenter pour le moment des hypothèses du savant Virgilio R. Pilapil, qui dressa un parallèle entre l’étude crânienne des pygmées de l’Ohio et celle des Aetas, les Pygmées des Philippines : « Pilapil rappelle l’examen par Barry Fell du matériel squelettique du Tennessee. Fell a noté que la capacité du cerveau du crâne était équivalente à environ 950 centimètres cubes, soit environ le volume d’un enfant non pygmée de 7 ans ; les dents étaient complètement développées et présentaient une usure sévère caractéristique des individus matures ; les crânes étaient brachycéphales avec des mâchoires saillantes, ce qui correspond assez bien aux crânes des Aetas philippins adultes modernes » (Rick Osmon, Les Tombes de l’Ours d’Or : anciennes forteresses et monuments de la vallée de l’Ohio, 2011). Alors, ces hypothétiques pygmées nord-américains, bien proportionnés, à la peau foncée, partageraient-ils des caractéristiques communes avec les Aetas des Philippines ?

Chers lecteurs de Strange Reality, les populations modernes d’Asie de l’Est et du Sud-Est, qui ont migré vers le continent américain, peuvent être considérées comme un mélange entre deux groupes, sous diverses impulsions et vagues : d’une part, un ensemble de populations issues de groupes liés à l’Homme de Tianyuan ; d’autre part, un ensemble de population dont les représentants actuels sont les Onges, les Négritos de Malaisie et des Philippines, les Papous et les Aborigènes d’Australie. Attendons d’avoir le fin mot sur cette interprétation paléoanthropologique dans le prochain dossier que nous engagerons sur les pygmées de l’Alaska : Ice Gnome.

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