Le mokélé-mbembé, un dragon « au cœur des ténèbres »

par François de Sarre

 Son nom signifie celui qui arrête le cours des rivières, il est décrit par les habitants du bassin congolais, comme un énorme saurien aquatique au long cou et à la petite tête de serpent.

Un monstre préhistorique survivrait-il encore au cœur des ténèbres, dans les profondeurs des forêts du Congo ? La question mérite d’être posée.

Un animal composite

   Avec le monstre du Loch Ness, le yéti et le grand serpent-de-mer, le mokélé-mbembé fait partie des vedettes incontestables de la cryptozoologie.

   Les pygmées lui prêtent la taille d’un éléphant ; la créature serait dépourvue de poils, brun-rouge ou grise, et passerait le plus clair de son temps dans l’eau, comme un hippopotame ; on la décrit avec une tête serpentiforme, la queue d’un crocodile, et parfois aussi une corne sur le front, ou encore une sorte de crête, allant du cou jusqu’à l’extrémité du corps…

 Il s’en dégage trois figures distinctes, et donc trois pistes explicatives que nous allons emprunter.

 Pourrait-il être un saurien ? un mammifère ? ou encore animal légendaire « recomposé » ?

   En fait, ce sont les Européens qui ont fait le rapprochement avec un dinosaure, les autochtones se bornant à parler de leur animal comme s’il s’agissait d’un représentant de la faune locale, au même titre que l’éléphant de forêt, l’hippopotame ou les grands singes anthropomorphes.

   Des récits sur le mokélé-mbembé circulent depuis près de 250 ans, mais il n’existe pas de véritable preuve physique, ni de photographie incontestable de l’animal mystérieux, malgré les efforts des cryptozoologues.

Retour sur la riche histoire du Mokélé M’bembé, sur les nombreuses rencontres relatées, et les recherches effectuées.

Les premiers témoignages

   En 1776, l’abbé Louis Bonaventure Proyart avait rapporté non pas la découverte d’animaux, mais celle d’empreintes de pas énormes d’un mètre de circonférence (ce qui fait environ 30 cm de diamètre). L’abbé nota aussi la présence de traces de griffes.

   Bien plus tard en 1909, le chasseur et zoologue allemand Carl Hagenbeck fait état de légendes africaines décrivant des animaux similaires aux sauropodes de l’ère Secondaire. Il écrit notamment : D’après ce que j’ai entendu de la bête, il me semble que ce ne peut-être qu’une sorte de dinosaure, sans doute apparenté au brontosaure . (« Von Tieren und Menschen », traduit en français sous le titre : « Cages sans barreaux », 1951).

Le mokélé-mbembé représenté comme un dinosaure sauropodien par l’artiste italien Stefano Maugeri

   C’est la première remarque concernant une forme « dinosaurienne », pourtant les autochtones insistent plutôt sur le fait que la bête est « mi-lézard », « mi-éléphant ». Sa peau est décrite comme « épaisse », telle celle d’un hippopotame, d’un rhinocéros ou d’un éléphant. Une certitude est que le mokélé-mbembé partage à la fois des caractères reptiliens et mammaliens.

   L’étape suivante dans la recherche consistait à rechercher les traces laissées par un tel animal dans la vase, à proximité des rivières ou des lacs, pour confirmer les observations anciennes de l’abbé Proyart.

Empreinte à 3 (ou 4 ?) doigts, attribuée au mokélé-mbembé (Yvan Ridel, Congo-Brazzaville, 1966)

   L’empreinte photographiée par le naturaliste français Yvan Ridel pourrait être celle – déformée – d’un hippopotame (qui possède 4 doigts), ou celle d’un rhinocéros qui lui en a bien 3, mais est habituellement absent de la forêt équatoriale, à moins qu’il ne s’agisse de l’énigmatique mokélé-mbembé ?

   La photo ci-dessus n’est pas sans rappeler ce que décrivait l’abbé Proyart, voici plus de deux siècles. Elle provient de l’expédition Powell-Greenwell de 1981 (dont nous reparlerons), mais ces supposées empreintes paraissent peu plausibles.

   Bien entendu, on ne saurait totalement exclure l’hypothèse d’un animal inconnu de la science, ou alors seulement sous sa forme fossile.

   Dinosaure ou grand mammifère du Tertiaire, il ne faut pas perdre de vue non plus qu’une espèce a pu dériver génétiquement, à partir d’un ancêtre fossile connu de la science, au point de devenir méconnaissable (la filiation n’étant plus tellement évidente).

 Si l’animal existe vraiment, l’explication la plus « économe » consiste à dire qu’il s’agit d’un grand varan. (le « dragon » de Komodo en Indonésie peut mesurer jusqu’à 3m ½, mais le Megalania atteignait 8 m de long, il vivait encore en Australie, voici à peine 40.000 ans !)

Le problème, c’est que les varans sont carnivores, alors que l’on prête au mokélé-mbembé des habitudes plutôt frugivores : il serait en effet friand des fruits du malombo ou « chocolat de brousse ».

   Par ailleurs, sa façon de se déplacer (par exemple, quand il émerge de l’eau au milieu d’une rivière, et que seul son dos est visible) n’est pas celle d’un reptile, mais plutôt d’un gros mammifère (ou d’un dinosaurien, qui ondule lui aussi son corps dans un plan vertical).

   Selon certains récits, l’animal inconnu attaquerait l’éléphant et serait friand de la moelle contenue dans ses défenses que l’on retrouve parfois brisées…

   Une certaine inimitié semble aussi exister entre l’hippopotame et  le mokélé-mbembé qui ne supporterait aucun autre gros animal amphibie dans « son secteur », et d’ailleurs s’il voit des pirogues, il chercherait à les soulever. Quand il y a des hippopotames dans la rivière, ceux-ci ne se montrent pas en amont, là où règne le mokélé-mbembé. (c’est le cas de la rivière Boumba, au sud du Cameroun, où se concentrent les efforts de l’explorateur français Michel Ballot).

Michel Ballot, chercheur, cryptozoologue mène des recherches de terrain intenses sur les traces du mokélé mbembé, qu’il raconte dans cet ouvrage.

   On peut aisément le comprendre, car ces animaux partagent la même niche écologique, même si l’hippopotame sort de l’eau la nuit pour aller brouter, alors que le mokélé-mbembé se nourrirait plutôt de plantes aquatiques et de feuilles d’arbres sur la berge.

Autres témoignages ou expéditions

   En 1913, le baron von Stein zu Lausnitz entendit parler au sud du Cameroun (aujourd’hui le nord du Congo Brazzaville) d’une étrange créature appelée mokélé-mbembé. On lui montre même la prodigieuse trouée que l’animal est supposé avoir faite sur la berge en allant chercher sa nourriture favorite, les fruits du malombo.

   En 1932, le naturaliste écossais Ivan T. Sanderson déclare avoir vu très brièvement au Cameroun une créature aquatique de taille gigantesque dont la tête était aussi grande qu’un hippopotame.

   En 1977, un professeur d’école congolais affirme avoir vu sortir de la rivière Likouala-aux-Herbes un animal qu’il identifia à un brontosaure (Apatosaurus) quand l’herpétologiste américain James Powell lui montra une reconstitution.

« La Tribuna Illustrata » du 18 janvier 1920, publie un canular qui n’est pas sans évoquer les récits relatifs au Mokélé-Mbembé

   En 1980, Powell et le biochimiste Roy Mackal rencontrent le missionnaire Eugene P. Thomas qui déclare avoir vu la créature, et leur raconte également comment en 1959 des pygmées ont capturé un mokélé-mbembé.

   En 1981, Roy Mackal lance une nouvelle expédition au Congo-Brazzaville en direction du lac Télé, accompagné de Richard Greenwell, secrétaire de l’International Society of Cryptozoology, et du zoologue congolais Marcellin Agnagna. Alors qu’il était à l’écart du groupe, Greenwell certifie avoir observé un très gros animal dans un biotope marécageux. Au sud de la ville d’Epéna, le plongeon brusque d’une large créature dans l’eau provoqua une vague d’un ½ m de haut frappant de plein fouet la pirogue des explorateurs…

L’ouvrage de Roy Mackal publié en 1987

 La même année, l’Américain Herman Regusters prend des photos d’une forme non identifiable sur le lac Télé qu’il dit être le mokélé-mbembé. Regusters était en compagnie de sa femme quand il voit surgir un long cou terminé par une petite tête de serpent. Après les avoir regardés, la bête disparaît lentement sous l’eau.

   En 1983, Marcellin Agnagna observe l’animal pendant une vingtaine de minutes, le filme, mais dans l’excitation oublie d’enlever le cache sur l’objectif de sa caméra…

   En 1985, il repart avec l’Ecossais William J. Gibbons, mais l’Operation Congo se solde par un échec.

   En 1988, une expédition japonaise (qui ne recherche pas spécialement le mokélé-mbembé) survole le lac Télé en avion et filme pendant une quinzaine de secondes un objet nageant à la surface, avant que celui-ci ne disparaisse sous l’eau.

 

En 1992, William J. Gibbons et Rory Nugent lancent l’Operation Congo 2 dans la région de la rivière Baï ; Nugent prend une photo floue (ci-dessous) d’un objet flottant sur l’eau qu’il pense être la tête du mokélé-mbembé.

  

En 2001, une campagne d’exploration est lancée au Cameroun par le British Columbia Scientific Cryptozoology Club et l’organisation Crypto Safari ; l’équipe se compose de William Gibbons, John Kirk, Robert Mullin, Scott Norman et du Camerounais Pierre Sima, mais aucune preuve tangible de l’existence du mokélé-mbembé ne peut être apportée.

   Depuis 2004, l’explorateur français Michel Ballot organise de nombreuses expéditions au Sud-Cameroun, à la recherche du mokélé-mbembé et d’autres cryptides (emela-ntouka, morou n’gou), recueillant de nombreux témoignages, dont certains de première main, auprès des pygmées Baka.

   Enfin en juin 2010, une équipe de cinéastes (Marie Voignier, Steffi Baumann et Thomas Fourrel) accompagne Michel Ballot et François de Sarre dans le secteur du Parc National de la Lobéké, de la Boumba, du Ngoko, du Dja et de la Sangha (à la frontière entre le Cameroun et le Congo-Brazzaville).

Aspects zoologiques et écologiques

   Au cours de cette dernière expédition en juin 2010, j’ai pu étudier de visu le vaste écosystème constitué par la forêt tropicale primaire du Sud-Cameroun et le système de 4 cours d’eau (la Sangha, dans laquelle se jette le Ngoko, lui-même formé de la réunion du Dja et de la rivière Boumba ) qui paraît à même d’héberger une grande espèce d’animal aquatique ou semi-aquatique, encore inconnue de la science.

   Ces rivières à proximité de la frontière congolaise sont larges et profondes, riches en alluvions et en matières organiques en suspension, et de ce fait très poissonneuses.

   En l’absence de l’hippopotame, on peut envisager la présence d’un autre gros animal herbivore dont les déjections nourrissent les micro-organismes, alevins et petits poissons… contribuant ainsi au maintien de la biomasse, à la diversité des espèces et à l’équilibre de l’écosystème fluvial.

   Est-ce le tant recherché mokélé-mbembé ?

   Ce qui étonne néanmoins le zoologue, c’est qu’un gros animal – n’ayant à craindre aucun prédateur – ne soit pas plus fréquemment observé sur son aire de répartition actuelle : le bassin du Congo.

L’hypothèse dinosaurienne

   Dans un environnement préservé au cœur de l’Afrique, un dinosaure sauropode a très bien pu survivre sans modification anatomique notable, ce qui ne contredit en rien les lois de l’évolution.

   La forêt tropicale humide du bassin du Congo est l’une des dernières forêts originelles qui subsistent dans le monde. On sait que le climat y est resté chaud et stable depuis 200 millions d’années. Cette région se trouvait alors au centre de la Pangée, le continent unique qui allait se scinder en Gondwana et Laurasia, à l’origine de nos continents actuels.

Massospondylus

   Les dinosaures vivaient alors dans des marais, au milieu de prêles, de cycas et de fougères arborescentes. Au Trias (vers 190 millions d’années), le prosauropode « Massospondylus » était très commun dans ce qui allait devenir l’Afrique ; il avait une petite tête, un cou mince et flexible, mesurait 4 à 5 m de long, marchait habituellement à 4 pattes, mais pouvait aussi se dresser sur ses membres postérieurs pour atteindre la végétation en hauteur (un comportement qu’aurait aussi, selon certains témoignages, le mokélé-mbembé).

   Dans le Sud-Cameroun, les pygmées Baka rapportent généralement que sa grosseur est celle d’un éléphant, qu’il a un long cou très flexible et une longue queue musculeuse comme celle d’un crocodile, une petite tête de lézard et un large dos proéminent. L’animal possèderait également toute une série de pointes dermiques (appelées « griffes ») le long du cou, du dos et de la queue. Tous ces traits font penser à un dinosaure.

Dicraeosaurus

   Les paléontologues prêtent une crête semblable à « Dicraeosaurus », un sauropode du Trias tanzanien (vers -145 millions d’années), dont un squelette bien conservé se trouve au Berliner Museum für Naturkunde. Sous-tendue par des épines, la crête débutait à l’arrière du crâne et se prolongeait le long du cou et du dos, jusqu’au bout de la queue.

   Au Crétacé inférieur ( vers -135 millions d’années ) vivait aussi Jobaria tiguidensis dans un environnement de marécages. Découvert en 1999 au Niger, donc au nord du Cameroun) ce sauropode présentait également une rangée d’épines le long de son cou.

   Les dinosaures sont censés avoir disparu voici 65 millions d’années, mais des trouvailles récentes en des endroits aussi divers que la Mongolie, l’Angleterre ou le Nouveau-Mexique montrent que certains d’entre eux ont bien pu survivre à la grande extinction de la fin de l’ère Secondaire.

   En rapport avec le mokélé-mbembé, les zoologues Ivan T. Sanderson (1948) et Bernard Heuvelmans (1955, 1978, 1986), l’herpétologiste James H. Powell (1976) ou le biologiste Roy P. Mackall (1987), ont évoqué à diverses reprises l’hypothèse dinosaurienne.

   L’explorateur écossais William J. Gibbons que j’ai rencontré fin août 2010 à Nice semble aussi partager ce point de vue.

Les autres hypothèses

   Si le mokélé-mbembé paraît être un survivant de la préhistoire ancienne, voire même un transfuge de l’ère Secondaire, son identité zoologique n’est pas clairement définie. En dehors de l’hypothèse dinosaurienne, on peut évoquer aussi la possibilité d’un grand varan, ou d’un mammifère ayant acquis la même forme corporelle par convergence évolutive (rhinocéros aquatique à long cou ?).

   Comme nous l’avons déjà indiqué, le plus grand varan actuel est le dragon de Komodo qui vit en Indonésie et mesure près de 3,5 mètres de long ; non loin de là, en Australie, un varan géant, le Megalania, a vécu au Pléistocène, les premiers aborigènes l’ont  rencontré, voici 40.000 ans.( Voire à ce sujet l’article A la recherche des dragons vivants 1)

 Le fait que toute une mythologie entoure le mokélé-mbembé ne constitue pas un véritable argument en faveur de son existence réelle. L’animal pourrait n’être qu’une figure de l’imaginaire des pygmées, colportée à travers tout le bassin du Congo par les migrations des tribus.

On peut aussi évoquer une extinction récente, suite à une épizootie virale qui a décimé l’espèce.

Peut-être certains individus isolés ont-ils pu survivre jusqu’à nos jours ? Cela expliquerait les témoignages recueillis depuis de nombreuses années par MM. Michel Ballot et William J. Gibbons.

   En tout cas, beaucoup d’observations pourraient reposer sur des confusions avec des animaux connus, mais devenus rares : loutres, crocodiles, tortues aquatiques, lamantins, ou même hippopotames.

Une bête légendaire ?

   On en revient aussi à l’animal mythique « composite ». En dehors du mokélé-mbembé à l’aspect de brontosaure, certains récits évoquent aussi l’emela n’touka (en lingala,  » tueur d’éléphants « ), plus agressif, avec une corne dont il se servirait pour empaler les éléphants… On connaît des statuettes de cet animal qui réunit les traits de l’éléphant, du rhinocéros, de l’hippopotame et du crocodile.

Si l’on considère les cours d’eau au Sud-Cameroun, comme la Boumba ou le Dja, la non-présence d’hippopotames dans le secteur est évidemment une question réelle qui demande solution, d’autant que la préservation des équilibres biologiques (chaîne alimentaire) « implique » pour ainsi dire la présence d’un (autre) gros animal herbivore.  ( Des études comparées sur le PH de l’eau pourraient s’avérer fructueuses, l’hippopotame étant réputé avoir une peau très sensible, mais cela ne donnera bien sûr pas d’explication sur l’animal qui le remplace…)

   La légende du mokélé-mbembé se base peut-être sur des faits réels, mais dans un souci d’objectivité, il faut faire appel d’abord aux animaux connus, comme le lamantin ; dans un second temps, on peut penser à des variétés (mais il peut s’agir d’individus isolés) d’éléphants ou de rhinocéros particulièrement aquatiques et agressifs ; dans un troisième temps seulement, on se doit d’évoquer le gros animal antédiluvien « relique », mammifère ou dinosaure !

Le fleuve Boumba

   Quant au mythe lui-même, il peut être constamment « réactivé », comme nous l’indiquions, par l’observation d’animaux simplement entrevus : loutres, tortues, crocodiles ou gros poissons, à l’aube ou à la tombée de la nuit, quand les conditions de visibilité ne sont pas très bonnes.

   L’explorateur Jean-François Floch qui connaît bien l’Afrique sub-saharienne parle aussi de « codes traditionnels » en usage dans les tribus.

   Ainsi, les histoires d’animaux légendaires – que ce soit en brousse ou en forêt – doivent être analysées en connaissance de cause et accompagnées d’un travail de terrain rigoureux pour les expliquer.

Différents degrés d’initiation ?

   Lors de cérémonies d’initiation, les jeunes pygmées dansent en imitant le comportement d’un animal fétiche : léopard, oiseau ou éléphant.

   Dans le même état d’esprit, les descriptions d’un animal fantastique relèvent moins de la réalité que d’un « message d’interdiction » à destination des gens de passage, et surtout des initiés !

   Jean-François Floch me l’assurait, au cours de nos échanges :  les « messages » ainsi délivrés sont tout ce que l’on veut, sauf la description d’un animal réel !

   La légende du mokélé-mbembé peut être basée sur quelque chose de massif et de dangereux, mais ne ressemblant en aucun cas aux « observations » des témoins…

   Les populations d’Afrique sub-saharienneutiliseraient des « codes » pour faire passer des messages, un peu comme nos panneaux indicateurs sur les routes. On y voit par exemple l’image d’un « cerf » stylisé, mais cela sert aussi à indiquer le passage d’autres animaux sauvages : sangliers, daims, chevreuils… pas seulement des cerfs ou des biches !

   En Afrique, les chefs de tribus ou les grands initiés interdisent le droit d’accès à certaines zones en délivrant un message codé que tout le monde connaît (sauf l’Occidental…), mais que chacun « déchiffre » selon son niveau d’initiation.

   Le message peut ainsi avoir plusieurs sens. Pour certains, ce sera l’interdiction absolue de pénétrer dans la zone où est censé vivre l’animal légendaire ; pour d’autres, ce sont des indications sur ce qu’on pourrait réellement y trouver !

   Il peut s’agir d’un danger caché (animal, hommes ou « esprits ») ou d’un endroit tabou pour des raisons que seuls les initiés connaissent.

   En tout cas, cette hypothèse a le mérite de donner une explication rationnelle à l’aspect étrange et composite du mokélé-mbembé (tête et cou de serpent, corps d’hippopotame, crête de caméléon, queue épaisse de crocodile) ou de l’emala-ntouka (museau et corne de rhinocéros, dents de crocodile, oreilles, tronc et pattes d’éléphant, queue charnue ressemblant à celle d’un gecko).

  Ces « codes animaliers » restituent pour les initiés (des divers niveaux) la nature « de ce qu’ils doivent comprendre ». Pour cela, il faut connaître la symbolique de chaque élément du « monstre ». En tout cas, le message est clair pour ceux qui connaissent bien les animaux de la forêt. Et les initiés peuvent encore y retrouver des informations supplémentaires (relatives à un sanctuaire, à un endroit cultuel, ou encore à un animal auxquels on prête des pouvoirs sacrés et secrets.

   Pour les non-initiés, le message est clair : « Ne pas approcher ! ».

   En tout état de cause, il faut bien admettre que ce sont les Occidentaux qui ont parlé de dinosaures, animaux fossiles que l’on connaît depuis le XIXème siècle et alors déjà très populaires, bien avant que Steven Spielberg ne les porte à l’écran !

Les cryptozoologues poursuivent l’enquête

   Sur le terrain, la prospection continue. Le but des chercheurs au Congo ou au Cameroun est de retrouver des empreintes non ambiguës, des lambeaux de chair ou de peau, des dépouilles ou des ossements que l’on pourrait attribuer au mystérieux mokélé-mbembé.

François de Sarre sur le terrain

   On pense que les dinosaures (ou une majorité d’entre eux) étaient ovipares, c’est-à-dire qu’ils pondaient des œufs. Beaucoup construisaient des nids qu’ils surveillaient eux-mêmes, car de petits animaux (mammifères ou reptiles) chapardaient les œufs.

   Dans le contexte actuel du mokélé-mbembé, on remarque qu’il n’y a, dans les récits des pygmées, pas d’allusions directes à d’éventuels lieux de ponte, forcément sur les berges.

   Les cryptozoologues pourraient en effet consacrer leurs efforts à cet aspect de la prospection, car des œufs – et même à défaut, de simples coquilles – constitueraient la preuve tant attendue de l’existence réelle de l’animal !

   Par ailleurs, la prédation exercée sur ces pontes par les crocodiles ou de petits mammifères, expliquerait la raréfaction du mokélé-mbembé.

   Bien sûr, la viviparité (= les petits naissent vivants) pourrait être une adaptation à la vie aquatique, comme cela a été le cas pour les reptiles marins du Jurassique. Le paléontologue américain Robert T. Bakker a même suggéré que certains gros dinosaures sauropodes avaient été vivipares.

   Dans ce cas, bien sûr, pas d’œufs. Mais cela renforcerait aussi la thèse du grand mammifère aquatique, ayant acquis par convergence l’apparence d’un saurien au long cou, tout comme la girafe est issue d’ancêtres à cou peu développé.

   Certains éléments (comme la queue épaisse à sa base) peuvent faire penser au Mégathérium, même si ce n’est pas étayé par des fossiles, ou plutôt à Thalassocnus, une forme aquatique à cou allongé

   Voici quelques années, des biologistes du Department of Microbiology of Bharathidasan University en Inde, ont fait paraître un article bien documenté sur le mokélé-mbembé. Après avoir listé nombre de témoignages et indices recueillis par différentes expéditions, leur conclusion est étonnamment favorable à l’hypothèse de la survivance d’un dinosaure apparenté à l’apatosaure (ou brontosaure).

représentation ancienne du brontosaure

   Du fait de leur spécialisation en microbiologie, ces chercheurs indiens soulignent qu’une analyse ADN de quelques cellules de cette créature serait possible, en l’état actuel des technologies. Il suffirait d’un peu de peau arrachée, d’excréments, ou même de végétaux broutés (on pense aux fruits du malombo que l’on voit partout sur les berges) : des traces infimes de salive suffisent pour ce genre d’analyse.

   Peut-être les expéditions prochaines de Michel Ballot et William J. Gibbons apporteront-elles des pièces essentielles au dossier ? A défaut d’échantillons biologiques provenant de l’animal lui-même, l’idéal serait bien entendu un film ou de bonnes photographies.

   Des dinosaures ont-ils réellement survécu jusqu’à nos jours en divers endroits peu accessibles du bassin du Congo ?

   Cela reste scientifiquement plausible : des cas d’animaux « venus de la Préhistoire » sont restés célèbres, comme le poisson archaïque cœlacanthe, la limule ou encore les scorpions sahariens, inchangés depuis 400 millions d’années. Le mokélé-mbembé n’aurait même pas le record de « longévité » !

François de Sarre est zoologue, membre de la Societas Europea Ichthyologorum (SEI) à Francfort-sur-le-Main, il est également une figure de la cryptozoologie. Les points forts de l’activité scientifique de François de Sarre sont l’ichtyologie, les sciences de l’évolution, la théorie de la bipédie initiale. François de Sarre est l’auteur ou le coauteur d’une centaine de publications, dans la presse spécialisée (ichtyologie) ou dans des magazines de vulgarisation scientifique.

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