Expédition yéti

Par Richard Freeman

L’équipe de l’ expédition partie sur les traces de l’almasty russe était sur le point de se reformer. Dr Chris Clark, Adam Davies, Dave Archer et moi-même devions simplement  déterminer vers quelle destination le CFZ irait pour l’expédition de 2010.

Plusieurs années auparavant, Adam était parti au Tibet sur les traces du yéti. Ian Redmond, biologiste en terrain tropical et écologue lui avait indiqué qu’il y avait de nombreux rapports sur le yéti provenant de l’État de Meghalaya, au nord de l’Inde.

Article sur le mande burung

De retour en Angleterre, il enquêta de plus près et découvrit qu’un  journaliste et réalisateur de documentaires local, Dipu Marak, était sur les traces de la créature depuis plusieurs années. J’avais moi aussi entendu parler du yéti indien ou, comme on l’appelle localement «mande-burung», l’homme de la forêt. En juin 2008, le journaliste de la BBC, Alistair Lawson, s’était rendu dans la région pour enquêter sur les observations de la créature. Il avait été impressionné par le paysage isolé et intact et a écrit :

Si jamais il y avait un terrain où un yéti épris de paix pouvait vivre sa vie sans être dérangé par l’activité humaine, alors c’était sûrement celui-là. L’observation la plus célèbre a été rapportée en avril 2002, lorsque l’agent forestier James Marak faisait partie d’une équipe de 14 fonctionnaires, ils effectuaint un recensement des tigres à Balpakram lorsqu’ils ont vu ce qu’ils pensent être un yéti.

Dipu avait donné à la BBC des cheveux qu’il avait trouvés dans un village isolé qui s’appelait Balpakram. Après analyse, ceux-ci se sont avérés provenir d’un goral, une espèce de chèvre sauvage asiatique. Cela n’enlève rien à la valeur des rapports des témoins oculaires.

Nous avons décidé que l’équipe CFZ devait enquêter et avons commencé à préparer un voyage en Inde. Adam, qui est un organisateur chevronné, a contacté Dipu qui à son tour a contacté des guides, réservé des gîtes et pris rendez-vous avec des témoins oculaires.

Nous devions tous les quatre être rejoints pour ce voyage par Jonathan McGowen. Jon est un excellent naturaliste et taxidermiste de terrain, en plus d’être le conservateur du Musée d’Histoire naturelle de Bournemouth.

L’Assam actuel s’étend sur les contreforts de l’Himalaya, situé dans la vallée du Brahmapoutre, entre l’Himalaya au nord et divers massifs montagneux au sud.

À l’Halloween 2010, nous nous sommes envolés pour l’Inde. Au milieu du trajet, Chris a perdu connaissance et nous avons appelé un médecin. Il a reçu de l’oxygène et s’est rapidement rétabli. Le diagnostic était qu’il souffrait d’un manque d’oxygène causé par ce long vol étouffant.

Nous avons atterris dans la cacophonie démente de Delhi dans la soirée et sommes allés à notre hôtel. Nous avons eu une soirée à tuer alors nous avons demandé à un chauffeur de taxi de nous montrer quelques-uns des sites touristiques de la ville. Malheureusement, le conducteur s’est empressé de nous jeter dans un vrai centre commercial en pensant que, étant occidentaux, ce serait l’endroit qui nous intéresserait le plus!

Finalement, nous sommes retournés à l’hôtel après avoir évité les vaches errantes sur la route et une quasi-collision avec un trois roues. Conduire dans les villes asiatiques est certainement une expérience. Il semble se composer de 90 % de coups de klaxon. En Inde, il existe même un code du klaxon, certains nombres de coups signifiant certaines choses. L’autocollant «Horn Please» posé à l’arrière de nombreux véhicules m’a toujours fait sourire.

Le jour suivant, nous avons pris l’avion depuis l’aéroport de Delhi propre et efficace vers Guwahati dans l’Assam. Nous avons été accueillis à là-bas par notre guide en chef Rudy Sangma,   son assistant Pintu et nos chauffeurs. Nous avons alors commencé le long voyage vers la ville de Tura dans les collines Garo de l’ouest.

De gauche à droite : Richard Freeman, Adam Davies, Dave Archer, Jonathan McGowen, Dr Chris Clark

Meghalaya est un état montagneux du nord-est de l’Inde. Il a été taillé dans l’état de l’Assam en 1972 pour accueillir les tribus Khasi, Garo et Jaintia qui, à un moment donné, avaient chacune leur propre royaume. Les trois territoires étaient passés sous administration britannique au début des années 1800 et ont été assimilés à l’Assam en 1835. Autrefois féroces chasseurs de têtes, les Garos étaient parmi les premiers Indiens à être convertis au christianisme par des missionnaires britanniques. Suite à leur conversion, les tribus ont été plutôt épargnées, ce qui a permis à une grande partie de leur culture de rester intacte.

Des membres de la tribu Garo en habit traditionnel lors du festival annuel de Wangala.

Cette expédition devait être quelque peu atypique. En général, nous campons dans la jungle, les montagnes, le désert et nous ne retournons, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, uniquement à la «civilisation» pour faire le plein de fournitures. Cette fois, cependant, le gouvernement indien ne nous a pas laissé passer la nuit dans la jungle en raison des activités du groupe d’insurgés l’Armée de libération nationale de Garo. Cela a considérablement réduit nos chances de voir le mande-burung.

Enclavé entre le Bangladesh, la Chine et la Birmanie, le Nord-Est de l’Inde est une mosaïque de peuples et ethnies en proie de longue date à des tensions intercommunautaires. Certains groupes tribaux y mènent encore des insurrections séparatistes contre New Delhi.

Plus grand Etat de la zone, l’Assam est en particulier le théâtre d’une vieille hostilité entre les autochtones et les migrants bengalis, amenés par le colon britannique pour travailler dans les plantations de thé ou arrivés en masse au moment de la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971.

Alors que les routes sinueuses montaient vers le haut, laissant la place à des pistes rocheuses, Rudy m’a parlé de certaines des autres créatures étranges du folklore des collines de Garo. Une créature qui occupe une place importante dans les Garo est le sankuni. C’est un serpent monstrueux qui porte une crête sur sa tête un peu comme un peigne de coq. La description du sankuni correspond très bien à celle du naga, le vaste serpent à crête que j’ai recherché en Thaïlande en 2000 et le ninki-nanka le dragon serpent de Gambie que j’ai chassé en 2006. On dit que tous portent des crêtes, être de grande taille, avoir des écailles noires brillantes, vivre dans un lac ou une rivière ainsi que des terriers souterrains et qu’ils ont une relation spéciale avec la pluie.

Ninki-nanka
Sculpture du Minhocao

Cette étrange imbrication de ces histoires nous a fait sérieusement nous demander si les sankuni et autres serpents monstres sont basés sur des rencontres avec une espèce réelle de serpent gigantesque inconnue de la science. Contrairement aux naga ou ninki-nanka, le sankuni est également associé à des glissements de terrain. Son rampement souterrain est censé provoquer des remous et des  déplacement dans le sol humide. Cela ressemble beaucoup à l’étrange cryptide serpentin sud-américain connu sous le nom de minhoco qui causerait ce genre de perturbations : déraciner des arbres, détruire des maisons et même modifier le cours des rivières.

Le sankuni n’est pas totalement malveillant. En effet, dans la légende, on dit qu’il permet aux humains d’utiliser ses grandes babines comme un pont leur permettant de traverser les rivières. On dit également qu’il se manifeste dans des rêves avertissant les gens de glissements de terrain imminents. On dit que le sankuni chante comme un coq de la même manière que le cobra à crête de l’Afrique. Sa ressemblance avec le basilic européen (sauf dans sa grande taille) et les lindworms et vers serpentins géants n’a guère besoin d’être mentionnée.

Le basilique

Une autre entité étrange du folklore dont Rudy m’a parlé était le skaul. C’est une entité vampirique qui ressemble à un être humain normal le jour, mais la nuit, sa tête se détache de son corps et vole comme une entité indépendante. Il a des cheveux lumineux et de la salive. On dit que le skaul se nourrit d’excréments et de détritus, mais aussi d’aspirer la force vitale humaine, ce qui fait que la victime tombe malade, s’affaiblit et finit par mourir. Le skaul a peut-être été une première tentative pour expliquer la maladie. Les cheveux lumineux et la salive pourraient bien être basés sur des observations précoces de la foudre en boule ou de certains autres phénomènes métrologiques. Le skaul a des analogues à travers l’Asie avec le malais Penanggalan, le Manananggal philippin, le balinais Leyak, le Thai Krasue et le japonais Nukekubi.

Nukebuki par Sawaki Suushi 1737

Nous sommes arrivés dans l’affreuse ville de montagne de Tura. Des bâtiments gris sans âme poussés comme des champignons  tandis que des conduites de gaz et d’eau serpentaient au-dessus du sol comme un mycélium de métal rouillé. La ville était sale, bruyante et malodorante. Nous sommes arrivés à l’hôtel Sandre, en ruine, et avons déballé nos affaires.

Tura

L’aspect peu attrayante de Tura a été compensée par notre rencontre avec Dipu Marak, l’homme qui était sur la piste du mande-burung depuis de nombreuses années, un homme très sympathique. Dipu voue une passion profonde et contagieuse pour le yéti indien. Il nous a raconté comment il se rappelait avoir entendu des histoires de la bête dans son enfance et cela a suscité son intérêt pourle reste de sa vie. Avec une mère Garo et un père bengali, Dipu est un homme très grand qui domine tout le monde dans la ville.

Dipu Marak, à droite

Les Garos indigènes sont assez distincts de l’Indien moyen. C’est un peuple oriental originaire du Tibet. Ils se sont frayés un chemin vers l’Inde et se sont finalement installés dans les collines qui portent leur nom à ce jour. La propriété et la terre sont transmises par le versan féminin de la famille, une sage décision chez un peuple qui a dû se battre à chaque étape de sa longue migration.

Le parc national de Nokrek abrite une population de Pandas roux, des éléphants d’Asie, 8 espèces de félins, dont le tigre, 7 espèces de Primates et de nombreuses espèces d’oiseaux.

Le jour suivant, nous nous sommes rendus au parc national de Nokrek. Les collines ici sont couvertes par une forêt tropicale vierge profonde. C’est là que nous avions l’intention de laisser nos pièges photographiques pendant toute la durée de l’expédition. C’est ici que l’ancêtre sauvage de toutes les variétés modernes d’orange a été découvert. J’ai goûté du Citrus indica, trouvant qu’il avait le goût d’un citron moins fort. Une autre plante qui poussait en abondance était un petit fruit sphérique brun sale que les habitants appelaient «tescun».

Tescun

Ils ressemblaient à un gland de chêne surdimensionné mais avaient un goût exquis. La saveur était assez différente de tout ce que j’ai jamais essayé auparavant. Tenter de le décrire reviendrait à essayer de décrire une nouvelle couleur. Rudy nous a dit que quelques semaines auparavant, la région grouillait d’éléphants et de buffles sauvages, mais ils étaient maintenant partis. Nous avons entendu des gibbons hoolock appeler au loin.

Nous avons fait une randonnée difficile dans la forêt tropicale. Le terrain était très accidenté et la montée et la descente  des crêtes était constante. Nous sommes tombés sur l’antre d’un sanglier et avons descendu une falaise dangereusement escarpée pour enquêter sur une petite grotte. La grotte n’a offert aucun résultat autre que les empreintes de pattes d’un petit félidé, peut-être un chat léopard indien.

Nous avons installé des pièges photographiques à plusieurs endroits en nous assurant que chacun avait une bonne vue sur la région. Tous les pièges étaient appâtés avec des bananes et des oranges. Le mande-burung est censé être principalement un herbivore bien qu’il y ait quelques observations de créatures mangeant des crabes d’eau douce. Dipu nous a parlé d’un cas où un fermier a vu une famille de quatre mande-burung voler des ananas dans ses champs. Les créatures se sont enfuies en le voyant mais ont continué à arracher des fruits au passage.

Nous avons déménagé de Tura dans le West Garos à Siju dans le sud de Garos. Nous avons été accueillis par Rufus, un ami de Rudy et un autre guide. Nous nous sommes arrêtés dans un lodge touristique assez basique mais propre.

Tout près se trouvaient les grottes de Siju où le chef du village aurait rencontré un mande-burung plusieurs années auparavant. Toute la zone était infestée d’animaux sauvages, des chauves-souris vampires indiennes et des geckos tokay dans la cuisine aux tarentules dans les murs à l’extérieur. Jon McGowen a utilisé une ligne de pêche et un grillon vivant pour aller pêcher la tarentule, appâtant l’araignée suffisamment pour être photographiée.

La pêche à la tarentule

Les grottes elles-mêmes étaient incroyables. Apparemment, elles parcourent des kilomètres avec de nombreux passages plus étroits qui se ramifient dans la grotte principale. Des chauves-souris nichent dans la grotte et des champignons blancs bizarres poussent de leurs excréments. Les eaux qui traversaient la grotte étaient vives avec de minuscules poissons, crevettes, crabe et écrevisses des cavernes. Un essaim d’entre eux se nourrissait d’une chauve-souris morte. Jon a trouvé deux chauves-souris récemment mortes et a décidé de les ramener avec lui pour être empaillées. Des araignées Huntsman aussi larges qu’une main humaine se précipitaient sur les rochers.

Pintu dans la grotte, l ‘os mystérieux qu’il a trouvé

J’étais en train de fouiller dans la terre de la grotte dans l’espoir de trouver du matériel osseux comme les systèmes de grottes Pintu, l’un des guides / porteurs a trouvé une section de ce qui ressemblait à de l’os de la jambe sous des roches. Il mesurait environ six pouces de long. En l’examinant à la lumière du jour, Jon pensa qu’il ressemblait au fémur d’un bipède. Nous l’avons gardé pour analyse.

Stalactites de Siju

Le lendemain, nous avons traversé un immense pont suspendu qui enjambait la rivière Simsang et avons commencé à marcher dans la jungle. Très tôt, Chris s’est plaint de douleurs à la poitrine et s’est retourné, nous laissant tous très inquiets. Bien qu’il soit le plus âgé d’entre nous, lors d’expéditions précédentes, il avait escaladé des montagnes, des desserts et des jungles qui nous laissaient le reste à bout de souffle. Il était clair qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez lui.

Chris et Dave sur le pont suspendu

Alors que nous entrions dans la jungle, un énorme hibou grand-duc du Bengale a traversé la canopée. Au fur et à mesure que le chemin montait, nous aperçûmes la volaille sauvage de la jungle, ancêtre du poulet domestique. Cet endroit m’a vraiment rappelé l’Inde de Kipling. Nous sommes tombés sur une zone d’affleurements calcaires dans la jungle. Certains avaient été sculptés par le vent et l’eau pour ressembler à des visages humains; d’autres ressemblaient aux murs de temples perdus ou de villes en ruines, bien que tous aient une formation naturelle. Ils ressemblaient à l ‘endroit ou les singes ont amené Mowgli dans le Livre de la Jungle. L’un d’eux était en particulier un passage étroit entre deux falaises de calcaire. Rudy et Rufus nous ont dit que jusqu’à il y a environ 20 ans, le passage était utilisé par les tigres pour tendre une embuscade aux hommes. Les humains étaient obligés de marcher en file indienne et les murs étaient trop raides et glissants pour grimper, faisant des hommes des proies faciles pour ces grands félins. Plus tard, nous sommes tombés sur un point d’eau et avons fouillé la boue à la recherche de traces; nous avons repéré des éléphants, des sambur, des cerfs et des buffles qui aboyaient. À un moment donné, alors que nous nous reposions dans la jungle, quelque chose a sauté des arbres juste au-dessus d’une crête au-dessus de nous. Les guides ont pensé que c’était peut-être un léopard qui nous traquait, mais après examen, ils ont dit que c’était plus probablement un singe. En effet, bien que nous n’en ayons vu aucun, nous avons trouvé de nombreuses excréments de singes.

Le paradoxe de la jungle est que même si elle contient la plus grande concentration de vie sur Terre, les animaux sont plus difficiles à voir ici que partout ailleurs. Les créatures peuvent entendre un humain venir de loin et se fondre comme des fantômes dans l’ombre. La faune est beaucoup plus facile à repérer dans les prairies ouvertes. Pendant tout mon séjour dans de nombreuses forêts tropicales du monde entier, je n’ai vu qu’une poignée de grands animaux.

La rivière Simsang où vivrait le sankuni

Alors que la plupart d’entre nous étaient partis dans la jungle, Dave Archer était resté près du Simsang à la recherche de serpents et de traces d’animaux. Il avait trouvé les empreintes de pas d’une tigresse dans le sable. C’était bon de savoir qu’il y avait encore des tigres dans la région.

Plus tard, nous avons interviewé le chef du village, Gentar. Il avait rencontré quelque chose d’étrange dans les grottes de Siju plusieurs années auparavant, quelque chose qui l’avait tellement effrayé qu’il avait refusé d’y retourner depuis. Lui et quelques amis avaient pêché à la lueur des torches. Ils avaient entendu un bruit qu’il décrivait comme ressemblant à quelqu’un qui marche sur du bambou. Lors de l’enquête, ils ont trouvé des empreintes de pas humides sur les rochers. Ça ressemblaient à des humains mais de grande taille. Les traces de pas conduisaient vers l’un des passages qui menait vers la galerie principale. Le groupe de pêcheurs pensait qu’un mande-burung était entré dans la grotte par l’une de ses nombreuses entrées dans la jungle. Ils ont paniqué et ont quittés la grotte.

J’ai trouvé étrange qu’une telle créature se cache si près de l’habitation humaine, mais je devais entendre des histoires ultérieures d’eux approchant d’autres villages. Les systèmes de grottes conservent une température stable, il se pourrait que la créature soit entrée dans les grottes pour se rafraîchir ou peut-être pour chasser les crabes.

Rudy et Rufus nous ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’avenir de la culture Garo. La jeune génération perd tout intérêt et souhaite de plus en plus s’occidentaliser. Seules les tribus très éloignées sont encore animistes et s’accrochent encore à toutes les vieilles croyances qui commencent à s’éteindre ailleurs. Ils prévoient d’écrire un livre sur la culture et la coutume de Garo avant qu’il ne soit perdu.

De Siju, nous sommes descendus à Bagimara et avons installé le QG dans un charmant lodge avec une vue magnifique sur le Simsang. Le soir, nous regardions le soleil se coucher sur la rivière depuis la véranda. Je me suis régalé de plusieurs chapitres des ouvrages immortels de Kipling, tellement abîmés et affadis par Disney. De tous les endroits où nous nous sommes arrêtés en Inde, ce fut mon préféré.

Pendant notre séjour ici, nous avons été présentés à un homme du coin nommé Beka. Sculpteur de métier, il s’intéressait à la cryptozoologie. Il nous a raconté une histoire que son père lui a racontée. Vers 1940, dans un lac près des frontières du Bangladesh, un groupe d’hommes armés, probablement des soldats, avait abattu un sankuni. Apparemment, la créature avait dévoré un certain nombre de personnes au fil des ans. Le corps de la créature était en partie hors du lac et en partie à l’intérieur. La partie hors du lac mesurait 60 pieds ( 18m). S’il y avait une quelconque vérité dans l’histoire, cela m’a fait me demander quel type d’armes à feu serait nécessaire pour causer des dommages sérieux à un serpent si énorme et aussi ce qui est arrivé au corps? L’histoire n’est peut-être rien de plus qu’un grand conte, mais elle met en évidence la croyance en un serpent géant à crête dans les Garos.

Plus récemment, au cours des cinq dernières années, il y avait eu le cas d’une femme qui avait rêvé qu’un homme l’avait avertie que sa maison allait être détruite en raison d’un glissement de terrain gênant. Elle a quitté sa maison qui a en effet été détruite par un glissement de terrain. Des témoins ont vu un énorme sankuni ramper loin de l’épave. Il se pourrait que si le sankuni est un véritable animal de chair et de sang, il habite des terriers et des repaires souterrains. Si les terriers des animaux sont endommagés par le glissement de terrain et que l’animal est vu en train de ramper à proximité, alors les gens vont peut-être penser que les ondulations du sankuni sont à l’origine du glissement de terrain.

Nous sommes allés au village d’Imangri et avons marché dans la jungle au-delà. Nous avons vu des simulacres d’une empreinte de pas en calcaire au bord d’une rivière. C’est une formation naturelle, mais le fait qu’elle ait été liée au mande-burung montre que les créatures doivent avoir été connues depuis longtemps pour qu’une telle association ait surgi. Des essaims de papillons jaunes volaient autour, et nous nous sommes reposés un moment au bord de l ‘eau. Chris se sentit de nouveau malade et resta au village.

Nous sommes retournés à Imangri et avons interviewé le chef Shireng R. Marak, un homme de 56 ans avec deux pouces sur la main droite. En 1978, lui et quelques amis chassaient dans la forêt. Alors qu’il l’obscurité s’installait, il entendit quelque chose de grand et de puissant traverser la forêt avec fracas. Il entend un appel fort et profond AUHH! -AUHH-AUHH! Ce qu’il a imité pour nous à haute voix. Il avait entendu les anciens du village parler du mande-burung et expliquer le son qu’il produisait. Lui et ses amis ont couru dans une grotte et ont allumé un feu à l’entrée. Ils ont entendu la créature beugler et faire du raffut à l’extérieur de la grotte toute la nuit. Aux premières lueurs du jour, cela s’est éloigné dans la forêt et alors les chasseurs sont sortis de la grotte ils ont couru vers le village.

Chef Shireng R. Marak

Shireng a déclaré que les observations de la créature étaient plus courantes il y a 40 ans. Le grand-père de son ami avait tiré un coup de fusil sur un d’eux. Il a dit que c’était comme un homme, couvert de fourrure noire et un visage comme un singe.

Le chaman du village, qui aurait également vu le mande-burung, était quelque part dans les champs, alors un garçon du village a été envoyé à sa recherche. En attendant, j’ai fait un court voyage en canoë sur la rivière Simsang. Finalement, le chaman a été retrouvé et nous l’avons interviewé autour d’une tasse de thé.

Neka Marak avait 77 ans et souffrait maintenant de cataracte. Il fabriquait des médicaments et des charmes. Avant la guerre indo-pakistanaise de 1965, il cherchait un arbre à encens dans la jungle. Il tomba sur des plantes grimpantes épaisses qui avaient été cassées par quelque chose d’une force immense. Il entendit un bruit de fracas et se retourna pour voir un énorme mande-burung le charger à travers la jungle. Neka montra le toit d’un salon de thé voisin dans le village afin de nous donner une idée de la taille de la créature. Le toit de la maison  mesurait 15 pieds de haut (4m50), une taille totalement invraisemblable. Je ne sais pas si ce sont le cataracte du vieil homme qui est responsable, ou le temps écoulé depuis l’observation ou la peur simplement. Il a poursuivi en disant que cela ressemblait à un énorme homme couvert de cheveux. Le visage avait l’air très humain et les mains étaient assez grandes pour avoir brisé le cou d’un humain. Après tout ce temps, il ne pouvait pas se souvenir de la couleur de la fourrure de la créature. À son crédit, il n’a pas essayé d’embellir mais a admis qu’il ne se souvenait pas de la couleur des cheveux. Il a fui la forêt aussi vite qu’il le pouvait.

Neka avait également vu le sankuni. Cela s’est également produit avant 1965. Il a vu la créature émerger d’une grotte à côté de la rivière Simsang. Il n’a pas vu l’animal entier car il a fuit précipitamment. Il a indiqué que la partie qu’il avait vue faisait entre 25 et 30 pieds de long (8m). Il était noir écaillé avec un ventre jaunâtre. Il avait une crête rouge comme celui du coq et des caroncules rouges sous la mâchoire inférieure. Neka a fui terrorisé par le serpent géant.

Le lendemain, nous nous sommes rendus à Balpakram, une zone qui occupe une place importante dans la légende de Garo. On pensait que c’était le lieu où les âmes des morts se reposaient avant d’aller dans le monde suivant. C’est un parc national et les zones boisées regorgent d’animaux sauvages.

Les routes devenaient de plus en plus dangereuses à mesure que nous roulions plus haut. Bientôt, même les quatre roues motrices ont été inutiles. Nous avons parcouru les derniers kilomètres à pied jusqu’au grand plateau qui formait Balpakram. Je remarque que la zone était très utilisée pour le pâturage et qu’il y avait pas mal de monde autour. Les bergers brûlaient l’herbe sèche pour favoriser une nouvelle croissance pour le pâturage de leur bétail. J’ai eu du mal à visualiser un grand singe ou en fait tout gros animal existant dans la région. Les roches basaltiques du parc ont été formées en formes géométriques à six côtés, un peu comme celles de la Chaussée des Géants en Irlande. La roche fondue a formé les formes en se refroidissant et en se contractant. Contrairement à l’Irlande, il n’y a pas de colonnes et les formes ne sont visibles qu’au niveau du sol. Les populations locales appellent cette configuration étrange le marché fantôme. Rudy nous a dit que des graines fossiles de citrouille, de melon et de tomate ont été trouvées dans la région, ce qui a conduit à la légende selon laquelle c’est un endroit où les esprits viennent faire leur marché la nuit.

Gorge de Balpakram

En marchant plus loin sur le plateau, nous sommes finalement tombés sur une gorge vraiment spectaculaire. Sept kilomètres de large, deux kilomètres de large et environ un kilomètre de profondeur, la gorge de Balpakram offrait un spectacle époustouflant. Elle était fortement boisés et avait des côtés presque abruptes. Une rivière coule au fond et Rudy a expliqué que le seul moyen sûr d’entrer était en canoë depuis le bord de la rivière d’un village voisin. Seuls deux ou trois chasseurs s’aventuraient dans la gorge chaque année et elle restait encore largement inexplorée. On aurait dit qu’elle pouvait facilement abriter un petit groupe de yéti dans ses forêts profondes et inaccessibles. Malheureusement, nous n’avons pas eu assez de temps pour enquêter sur la gorge car une telle entreprise aurait pris une semaine entière. Nous avons fait des plans pour retourner dans la gorge lors d’une future expédition.

De retour au lodge, nous avons rencontré la propriétaire Bullbully Marak qui nous a dit à quel point elle tenait à promouvoir l’écotourisme dans la région. Les collines de Garo et Meghalaya en général ne sont pas souvent visitées par les touristes. Rudy et Rufus ont mentionné qu’ils se sentent souvent comme des étrangers dans leur propre pays et qu’ils sont souvent confondus avec des Indonésiens ou des Malais. Le sentiment dans tout le Garos est que le gouvernement central de l’Inde les ignore. De tels sentiments ont conduit à la formation de plusieurs groupes d’insurgés dans la région.Nous sommes retournés dans les environs quelque peu déprimants de Tura et avons retrouvé Dipu.

Tura elle-même est dépourvue de tout ce qui approche de la vie nocturne. Le seul bar de la ville était à l’hôtel Sandre et fermait à 22 heures précises. Le barman semblait totalement désintéressé de gagner de l’argent et en voulait à tous ceux qui entraient dans le bar après 21h45.

Nous devions passer le lendemain à interviewer un certain nombre de personnes autour de Tura. Le premier sur notre liste était le Dr Milton Sasama, Vice-chancelier de l’Université Garo Hills. Il avait écrit un certain nombre de livres sur l’histoire et le folklore des collines de Garo. Il ne croyait pas au mande-burung car il n’avait jamais rencontré de descriptions de la bête dans aucune de ses études. Il n’avait entendu parler du monstre, comme un orang-outan géant, qu’au cours des 20 dernières années. Il a également affirmé qu’il n’y avait pas de tradition d’une créature semblable au yéti dans l’Assam, l’État indien situé entre les collines de Garo et l’Himalaya.

À l’inverse, il croyait implicitement au sankuni. Il connaissait un homme qui avait mangé la chair d’un sankuni juvénile mort après avoir été emporté dans un village par une inondation. Il mesurait entre 12 et 20 pieds de long ( environ 5m) et portait une crête en forme de coq. La viande de la carcasse avait fourni suffisamment de nourriture pour tout le village. L’homme, maintenant âgé de 80 ans, appelé Albin Stone, résidait à Tura ces jours-ci.

Notre prochain interviewé était avec Llewellyn Marak, l’oncle de Rufus, qui était un naturaliste reconnu et auteur d’un certain nombre de livres sur la faune des collines de Garo. En 1999, il est tombé sur un ensemble de quatre énormes empreintes de pas en forme d’homme à Nokrek Peak, à environ 21 km de Tura. Elles ont été trouvées dans le sable à côté d’un ruisseau et mesuraient 18 pouces de long. Les traces mènaient dans la jungle.

Le grand-père de Llewellyn était un chasseur renommé qui a amassé une grande collection de trophées. Il avait rencontré le mande-burung lors d’un voyage de chasse de nombreuses années auparavant. Il a dit qu’il avait croisé la bête dans une clairière de la jungle. Il ressemblait à un énorme gorille et était de couleur noire. Il se déplaçait à quatre pattes et semblait chercher de la nourriture. Parfois, il s’arrêtait et restait assis, semblant manger quelque chose. Le grand-père de Llewellyn a eu peur et a reculé.

C’est le seul rapport que nous ayons de la créature se déplaçant à quatre pattes. Là encore, il a peut-être fait cela pour chercher de la nourriture. Le chasseur expérimenté était sûr que ce qu’il avait vu n’était pas un ours.

Llewellyn, un défenseur de l’environnement plutôt qu’un chasseur, nous a invités à regarder la collection de son père. Jon McGowan aux yeux d’aigle a repéré quelque chose d’inhabituel parmi eux. Il y avait une paire de cornes de muntjac d’une taille incroyable.

Muntjack indien

En y regardant de plus près, ces cornes très distinctives se sont avérées encore plus grosses que celles du muntjac géant du Vietnam et du Laos. La photo d’accompagnement montre les cornes à côté de celles du muntjac indien, la différence de taille surprenante est apparente. Nous avons prélevé des échantillons du bois pour analyse en Europe.

Llewellyn avait également entendu des histoires de poissons-chats géants et de raies géantes d’eau douce, un peu comme celles qui se cachent dans le Mékong en Indochine.

Suite à cela, nous avons parlé à l’oncle de Rufus, un chirurgien appelé Dr Lao. Le Dr Lao croyait également que le mande-burung existait, mais il pensait qu’il était maintenant très rare. Dar Lao avait une collection de livres sur la faune indienne. Parmi eux se trouvait un livre intitulé «A Naturalist in Karbi Anglong» d’Awaruddin Choudry, publié pour la première fois en 1993. Le livre, écrit par l’un des naturalistes les plus réputés d’Inde, raconte son séjour dans le district de Karbi Anglong à Assam, l’État indien au nord de Meghalaya.

«A Naturalist in Karbi Anglong» d’Awaruddin Choudry,

Un chapitre du livre de Chourdy est consacré au khenglong-po, une créature semblable au yéti vue dans la région. Comme l’Assam touche le Bhoutan, il existe bien un lien ou un couloir qui relie directement l’Himalaya aux collines de Garo le long desquelles des yétis sont signalés et cela réfute totalement l’affirmation du Dr Milton Sasama selon laquelle aucune de ces créatures n’est signalée dans l’Assam.

Chourdy écrit

«Le pic Singhason et certaines zones voisines sont sacrés pour les Karbis. Ici, dans la forêt dense vit le Khenglong-po, le légendaire «homme sauvage velu». Le Khenglong-po est une figure importante du conte populaire Karbi. Chaque fois que j’obtenais des rapports sur son existence, je les rejetais comme une fable ou une identification erronée d’un animal ordinaire. Mais lorsque le très expérimenté Sarsing Rongphar m’a donné un nouveau rapport, j’ai dû y réfléchir. Sarsing avait été mon guide dans certaines parties de la forêt interdite de Dhansiri, et il s’est révélé en toutes circonstances un observateur précis et fiable.»

Sarsing était un chasseur qui utilisait des chiens pour renifler du gibier comme le muntjact et le porc-épic, qu’il découpait ensuite au moyen d’ un long couteau de chasse … Avant même son arrivée, Choudry avait entendu parler d’un grand singe marchant debout. Au début, il a demandé aux témoins s’ils pouvaient confondre un macaque à queue de souche (Macaca arctoides) ou un gibbon hoolock (Hoolock hoolock), mais les témoins ont rejeté cela car ils connaissaient les deux espèces, et lorsque son guide de confiance lui a raconté une rencontre avec la bête, alors Choudry fut obligé de changer d’avis.

Un article récent sur Choudry et le Khenglong-po

C’est le 13 mai 1992 que Sarsing Rongphar et son ami Buraso Terang et ses chiens de chasse se sont aventurés dans le parc naturel de Dhansiri. Dans l’après-midi, ils sont tombés sur de grandes empreintes de pas en forme d’homme d’environ 18 pouces de long (45cm) et 6 à 7 pouces (17cm) de large. Le couple a suivi les pistes pendant 3 kilomètres jusqu’à ce que leurs chiens habituellement courageux commencent à paniquer. Craignant qu’un éléphant ou un tigre ne se trouve à proximité, ils s’avancèrent prudemment. Bientôt, un son de respiration bruyant est devenu audible en tant que son «khhr-khhhr». De 260 à 295 pieds (80m) de distance, ils ont vu une créature ressemblant à un singe appuyée contre un arbre, apparemment endormie. Les témoins étaient à une altitude plus élevée que la créature et avaient une vue dégagée en raison du fait qu’il n’y avait pas de sous-bois dense obscurcissant leur vue. La créature était noire de jais comme un gibbon hoolock mâle avec des poils épais semblables à ceux d’un ours sur le corps. Les cheveux sur la tête étaient longs et bouclés. La créature était une femelle aux seins visibles. Sa bouche était ouverte et de grandes dents ressemblant à des humains. Le visage, les mains et les pieds étaient noirs et ressemblaient à des singes. Devant la créature se trouvait un arbre brisé et les chasseurs pensaient que la créature se nourrissait de lui. Ils ont observé l’animal endormi pendant environ une heure. Sarsing l’a comparé à un gibbon hoolock géant mais avec des avant-bras beaucoup plus courts.

En arrivant dans leur village, ils ont raconté aux anciens de la tribu ce qu’ils avaient vu et ont été informés qu’il s’agissait d’un Khenglong-po, une sorte d’homme poilu que l’on croyait dangereux.

Choudry a emmené Sarsing à son camp et lui a montré des photos de l’ours noir d’Asie (Ursus thibetanus) debout sur ses pattes arrière et du gorille des montagnes (Gorilla beringei beringei). Le chasseur a identifié le gorille comme étant un Khenglong-po tout en reconnaissant l’ours pour  ce qu’il était. Choudry a interviewé Buraso Terang séparément et a obtenu les mêmes réponses.

Un Khenglong-po était autrefois censé avoir parcouru la voie ferrée de Langcholiet à Nailalung.

À une autre occasion, Choudry s’est entretenu avec des chasseurs de Karbi Anglong dans le centre de l’Assam. Ils ont parlé d’un grand singe herbivore vivant au sol qu’ils ont appelé Gammi. Selon eux, deux Gammis ont été vus ensemble en 1982 se nourrissant de roseaux sur le versant oriental du plateau de Karbi dans la région supérieure de Deopani. Un vieux chasseur en avait rencontré un dans le parc naturel d’Intanki au Nagaland en 1977-1978. On dit que les créatures sont couvertes de cheveux gris et d’apparence humaine. Le nom Gammi signifie «homme sauvage».

Choudry conclut…

«Il me semble possible qu’un singe terrestre, plus grand que les gibbons, ait existé dans certaines parties reculées de Karbi Anglong et dans les zones adjacentes du Nagaland. La créature était toujours rare et préférait le coin le plus éloigné de la jungle et, par conséquent, a échappé à la découverte du monde scientifique. Maintenant que les forêts disparaissent partout, ce singe est peut-être menacé d’extinction. Les expéditions au cœur de la forêt réservée de Dhansiri et de la région de Singhason pourraient bien produire des résultats. Mais pour l’instant, je recherche des preuves fossiles, y compris un crâne, un os ou une partie de celui-ci. Cela mettra au moins le Khenglong-po à sa bonne place, même s’il est éteint. Enfin, si un grand mammifère comme le Javan ou un rhinocéros à une corne plus petit (Rhinoceros sondaicus) peut être découvert ces dernières années dans une petite poche du Vietnam ravagée par la guerre, en dehors de sa localité connue en Indonésie et contre toute attente, on ne peut alors pas éliminer la possibilité d’un Khenglong-po dans les forêts de Karbi Anglong.

Il existe une suite ininterrompue d’observations de yétis depuis le Bhoutan jusqu’en Inde.

Le lendemain, nous avons interrogé un autre témoin, un enseignant de 51 ans appelé Kingston. En 1987, lui et un ami étaient sur le pic Tura. Il a vu de grandes empreintes ressemblant à des hommes à cinq doigts de pieds dans le sable humide à côté d’un ruisseau. Les orteils et le talon dépassaient largement les siens. Ma taille de chaussure, 9,  était plus grande que celle de Kingston, il m’a dit que les traces de la créature étaient plus grandes que mes pieds. Les traces étaient enfoncées d’un pouce (5cm) dans le sable alors que celles de Kingston n’allait jusqu’à un demi-pouce. Il entendit le cri du mande-burung, AUHH! -AUHH-AUHH! Il a imité le son, c’était le même que celui émis par les autres témoins. Il voulait enquêter plus avant mais son ami avait trop peur. Il a dit qu’il avait ensuite de nouveau entendu le cri sur Tura Peak, au cours des dernières années.

Nous avons pris le thé avec Kingston et il nous a dit qu’il avait été mordu par une vipère – d’après sa description, c’était une vipère à lèvres blanches (Trimeresurus albolabris) – et comment il avait utilisé une pierre de serpent pour extraire le venin et sauver sa vie. L’utilisation de pierres de serpent est répandue en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Ce ne sont pas vraiment des pierres, mais des parties d’os d’animaux qui ont été coupées et façonnées avec du papier de verre avant d’être enveloppées dans du papier d’aluminium et placées dans un feu de charbon de bois pendant 15 à 20 minutes. On dit que l’os poreux retire le venin du serpent. Kingston a déclaré que la pierre de serpent avait adhéré à la morsure et avait «aspiré» tout le venin de son bras avant de tomber. Des études ont montré que les pierres de serpent ne sont rien d’autre qu’un placebo colporté par des charlatans. Peut-être que Kingston a été juste très chanceux et s’est rétabli naturellement ou peut-être que la vipère n’a pas injecté toute la charge utile de son venin. Il nous a dit que le pharmacien de Tura les vendait toujours. Nous avons pensé que ce serait bien d’en acheter comme souvenirs, mais il s’est avéré que les pierres de serpent ne se trouvaient plus en vente parmi les médicaments modernes.

Une vipère à lèvres blanches morte trouvée dans la forêt.

Plus tard dans la journée, nous avons visité le village d’Apertee à quelque 56 km de Tura pour rencontrer un témoin appelé Nicholas Sama. Dans les années 1960, il avait vu la main et l’avant-bras coupés d’un mande-burung sur un marché de village. L’avant-bras, qui était exposé sur l’étal d’un magasin vendant de la viande de brousse, était aussi long que son bras entier. La main ressemblait à celle d’un homme mais beaucoup plus grande, et les ongles étaient longs. Le bras était couvert de longs cheveux noirs. Nicholas a pensé qu’il était très vieux car la peau était desséchée. Personne ne savait d’où il venait. Nicolas savait que ce qu’il regardait n’était pas le bras d’un ours ou d’un gibbon.

Nicholas Sama

Le lendemain, nous avons rencontré un témoin des plus impressionnants dans le village de Ronbakgre. Teng Sangma avait appris qu’en avril 2004, un menuisier du village avait vu une femelle mande-burung allaiter son enfant dans une forêt de bambous près de Rongarre. Il ne croyait pas à l’hitoire, mais le 24 de ce mois-là, lui et un ami étaient à la recherche de la volaille de la jungle dans la forêt lorsqu’ils sont tombés sur une énorme silhouette assise leur tournant le dos. Même en position assise, il mesurait 1,50 mètre. Il était couvert de cheveux noirs et avait des cheveux plus longs sur la tête qui tombaient sur les épaules et le dos. Les épaules étaient très larges. C’était une femelle qui allaitait un jeune dont les jambes étaient visibles à côté de sa mère suggérant que l’enfant était assis sur ses genoux. Le jeune faisait des gargouillis. L’adulte abaissait de grandes tiges de bambou et en arrachait les feuilles pour les manger. Les hommes se sont rendus à moins de 15 mètres des créatures et les ont regardés pendant 2 minutes avant qu’ils ne deviennent effrayés et reculent en laissant les créatures derrière eux. Apparemment, les créatures ne les avaient pas remarquées.

Nous avons exploré la région, marchant le long d’un ruisseau dans la jungle. Nous avons trouvé les traces d’un chat pêcheur (Prionailurus viverrinus) et ce qui ressemblait à des traces humaines pieds nus. Ces derniers étaient bien trop petits pour appartenir à un mande-burung adulte, mais nous avons essayé d’en prendre des moulages au cas où. Malheureusement, le sol sur lequel ils étaient imprimés était bien trop humide pour permettre la coulée avec du plâtre. Avant de quitter le Royaume-Uni, j’avais cherché d’autres matériaux pour faire des moulages. Je n’ai pas trouvé de résine et un atelier de bricolage m’a dit que le mastic Polly n’était pas adapté. Le seul caoutchouc liquide que je pouvais trouver était fourni avec un gros applicateur en forme de pistolet qui serait difficile à passer la douane. Nous étions tous d’accord pour dire que les empreintes avaient probablement été faits par un humain, mais nous les avons quand même filmés et photographiés.

Le lendemain, nous avons assisté au festival de Wangala à la périphérie de Tura. Le festival, également appelé le festival des cent tambours, a son origine dans les célébrations tribales préchrétiennes de la région. Il a eu lieu dans chaque village après la récolte. C’est une cérémonie de «Thanksgiving» à Misi Saljong, également connue sous le nom de Pattigipa Ra’rongipa (Le Grand Donateur) pour avoir béni les gens d’une riche récolte pour la saison.

Un jour avant la Wangala, un rituel appelé la Rugala est exécuté par le Nokma (un chef de village) et dans ce rituel, les offrandes de bière de riz spéciale avec du riz cuit et les légumes sont données à Misi Saljong, le donneur. Le lendemain, le Nokma exécute la cérémonie du Cha’chat So’a avec la combustion de l’encens sur le pilier central de sa maison pour marquer le début du festival Wangala d’une semaine.

Sous l’influence du christianisme, le festival a commencé à s’éteindre dans tous les villages sauf les plus éloignés. Ainsi, afin de protéger, préserver et promouvoir l’identité culturelle, un groupe de Garos a décidé d’organiser le Festival Wangala sur des lignes modernes. Un groupe de 30 danseurs avec dix tambours formerait un contingent et 300 danseurs constitueraient le festival Hundred Drums Wangala. Il a lieu chaque année depuis 1976.

Nous avons eu la chance d’être invités à ce rassemblement et avons rencontré un certain nombre de dignitaires locaux et avons essayé la bière de riz brassée localement. Les artistes, venus de partout dans les Garos, étaient vêtus de couleurs vives pour chaque tribu. Ils avaient dix batteurs chacun et des danseuses ainsi qu’un guerrier avec une épée et un bouclier en bois.

Chaque rythme de tambour et chaque danse étaient différents et représentaient divers aspects de la vie. Le plus mémorable étant une danse pour représenter «le fait de chasser les mouches qui se perchent sur le riz».

Au festival, nous avons remarqué d’autres occidentaux. C’étaient des filles françaises qui étudiaient les gibbons Hoolock. Ils se sont présentés et ont dit qu’ils avaient trouvé nos pièges photographiques à Nokrek et se sont excusés au cas où ils auraient gâché l’une des photos. Ils nous avaient même écrit une lettre et l’avaient laissée au lodge sans se douter qu’ils nous rencontreraient au Festival de Wangala.

Plus tard, nous avons tous dîné dans un pavillon touristique. La dame qui dirigeait la loge avait récemment cuisiné pour le premier ministre de l’Inde et je pouvais bien le croire. «Dîner» est un terme qui ne rend pas service ce que nous avons mangé. C’était une fête aux proportions positivement médiévales avec des poulets entiers, des poissons énormes, des côtés de porc et des masses de fruits.

Le lendemain, nous avons rencontré un autre témoin de grande valeur. Nelbison Sangma était un agriculteur du village de Sansasico. Il a observé un mande-burung pendant trois jours consécutifs en 2003. Il était à environ 1 640 pieds de la créature qui était en contrebas de lui. La créature était au sommet d’une petite colline. Quand il l’a vu pour la première fois, le mande-burung se tenait sous un arbre. Il mesurait neuf pieds de haut et était couvert de cheveux noirs. Il est resté dans le coin pendant une heure pendant que le témoin le regardait. Il a ensuite dormi dans un nid qu’il avait construit en abaissant des branches comme le fait un gorille. Le jour suivant, la créature était au même endroit et semblait prendre le soleil. Cette fois, il l’a regardé pendant une demi-heure. Le troisième jour, il l’a revu et il se promenait et se nourrissait.

Le lendemain, il a emmené d’autres villageois dans la région et leur a montré le nid. Il y avait une odeur de singe qui envahissait les environs. Ils ont trouvé des pistes ressemblant à des hommes de 18 pouces de long (45cm) et une énorme crotte de la longueur d’un avant-bras humain. Celui-ci contenait des fibres de feuilles de bananier.

Marché du village

Nous avons reporté notre attention sur le parc national de Nokrek. Sur le chemin, nous avons ramassé des provisions, du riz, des fruits et plusieurs poulets vivants. Celles-ci je les ai nommées Little Lofty, Gloria et M. La-di-dah Gunner Graham d’après les personnages de «It Ain’t Half Hot Mum». Dave a apporté un pot de cette bière de riz que nous avions essayée au Festival de Wangala, récupérée auprès d’un vendeur en bordure de route.

Le lodge, en forme de maison traditionnelle

Nous avons séjourné dans un lodge touristique spécialement conçue près d’un village dans le parc. Il a ressemblait à une maison traditionnelle Garo construite en bois et en bambou.

Au cours de l’exploration de la journée, nous sommes tombés sur une immense empreinte ressemblant à un homme profondément imprimée dans le sable à côté d’un ruisseau. L’impression était comme une piste humaine mais avec quelques différences importantes. Le talon était proportionnellement plus large, indiquant un talon porteur. Les orteils étaient plus uniformes qu’un humain, montrant beaucoup moins de courbure du gros orteil au petit orteil. La piste était enfoncée de plus d’un pouce dans le sable humide, car mes propres empreintes de pas ne pouvaient même pas atteindre la moitié de cette profondeur. Nous l’avons photographié avec des repères de mesures.

L’empreinte

De retour au lodge, nous avons dîné puis nous nous sommes assis autour du feu pour raconter des histoires. J’ai essayé une partie du vin de riz que Dave avait apporté. Je le regretterai plus tard. Pendant la nuit, j’ai eu de graves douleurs à l’estomac, comme si quelqu’un me tordait un couteau dans les tripes. Je me sentais gonflé et fiévreux. Au cours d’une de mes nombreuses visites aux toilettes pendant la nuit, j’ai entendu quelque chose de grand se déplacer dans l’obscurité à l’extérieur du lodge. J’ai supposé que c’était une chèvre ou une vache qui avait erré dans le village.

Dans la matinée, Rudy nous a dit que quelque chose avait poussé contre la porte de la loge. Il pensait que c’était un tigre qui avait été attiré par les poulets vivants que nous gardions à l’intérieur du lodge.

Je me sentais plus mal que jamais et je souffrais beaucoup. Je me suis forcé à aller avec les autres dans la jungle au cas où la créature ferait une apparition. J’ai trouvé la randonnée difficile avec mes douleurs intenses à l’estomac et ma fièvre. À un point d’eau, j’ai dû m’arrêter et me reposer pendant que les autres avançaient. Dave et Jon ont trouvé un autre ensemble de pistes mande-burung près d’un ruisseau plus loin dans la jungle. Ils suivaient le ruisseau et semblaient assez frais. La créature semblait renverser des rochers et chasser des crabes d’eau douce. Plusieurs crabes ont été découverts avec leurs entrailles aspirées.

J’ai réussi à regagner le camp en titubant. Heureusement le matin, je me sentais mieux.

Nous sommes retournés à Tura car Morgan et Tara ont dû partir pour Delhi le lendemain. Le jour suivant a été passé autour de Tura pour rechercher des pistes et des bouts. Nous avons photocopié le chapitre pertinent du livre du Dr Lao, puis avons visité la bibliothèque plutôt minable pour voir s’il y avait quelque chose sur le mande-burung et le sankuni dans l’un des livres. Nous n’avons rien trouvé. Nous avons essayé de retrouver Albin Stone, l’homme qui aurait mangé la chair d’un jeune sankuni mort, mais il n’était pas chez lui.

Dipu nous a montré un os de côte trouvé par son père à Balpakram en 1989. Je pensais qu’il avait l’air plus bovide que primate, mais nous en avons prélevé un échantillon. Dipu nous a également montré une collection de poils qu’il a trouvés à Nokrek en 2006. Ils m’ont ressemblé à du goral (Naemorhedus goral), une antilope caprine connue pour habiter la région.

Nous avons rencontré l’oncle Garfield de Dipu qui, en pêchant en 1956-57, est tombé sur une empreinte de mande-burung au bord d’un ruisseau. C’était sur un rocher et formé par l’eau où la créature était récemment sortie du ruisseau et à travers les rochers.

Garfield a également affirmé avoir vu la piste d’un sankuni dans les années 1970. Il a émergé de la rivière Garo et rampé presque 100 mètres sous un pont en bois détruisant certains des piliers. Il a traversé une rizière et est entré dans un marais. Cependant, après un interrogatoire plus approfondi, Garfield nous a dit qu’il y avait deux pistes parallèles l’une à l’autre et que le sol et la végétation entre eux n’étaient pas perturbés. Cela ressemble beaucoup aux pistes d’un véhicule tout-terrain plutôt qu’à un serpent géant qui laisserait un seul sillon.

Trop tôt, notre séjour dans les Garos était terminé. Nous avons dû dire au revoir à Dipu, Rudy, Rufus et les autres. Nous sommes retournés à Delhi où nous avons eu une journée pour faire le tour des sites touristiques locaux.

Les échantillons ont été testés par Lars Thomas et son équipe. L’os de la grotte était un humain moderne et le bois d’une espèce connue de cerf.

Je suis convaincu que le mande-burung existe et qu’il fait partie du même type que le yéti. Le meilleur candidat que nous ayons pour cet animal est une forme survivante de Gigantopethicus blacki. Quant au sankuni, sa ressemblance surprenante avec les nagas indochinois, le ninki-nanka ouest-africain, le cobra chanteur à crête d’Afrique centrale et de nombreux autres serpents monstres, me convainc qu’il y a plus dans ces histoires que des rumeurs.

On parle déjà de retourner aux Garos dans quelques années, probablement pour monter une expédition dans les gorges de Balpakram. L’Inde de Kipling est toujours vivante si vous regardez assez attentivement et  j’ai bien l’intention d’y retourner.


Richard Freeman, membre éminent du Center for Fortean Zoology, il est la définition même du cryptozoologue : un passionné, un aventurier, un écrivain, un libre-penseur, quelqu’un qui consacre sa vie à enquêter sur les mystères du monde animal, aux quatre coins du monde. Son dernier ouvrage est disponible notamment ici.

3 commentaires

  1. Bonsoir,
    Merci pour cette évocation (mais je n’ai pas pu lire jusqu’au bout pour le moment, ces caractères blancs sur fond noir, j’ai déjà dit que ça ne va pas).
    A propos du skaul, cela fait en effet irrésistiblement penser aux histoires de vampires d’Europe centrale rassemblées par Augustin Calmet au dix-huitième siècle, avec juste l’originalité de la tête qui se détache. Dans les cas européens, quoi qu’on puisse en penser, il s’agit plutôt de double fluidique ou corps astral, les crocs étant venus après dans la littérature. « S’il y a dans le monde une histoire attestée, c’est celle des vampires ; rien n’y manque ; procès-verbaux, certificats de notables, de chirurgiens, de curés, de magistrats ; la preuve juridique est des plus complètes ; avec cela, qui est-ce qui croit aux vampires ? » (Jean-Jacques Rousseau).

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    1. Bonjour Jean, merci beaucoup pour ces informations très intéressantes sur les vampires, qui donnent envie de se pencher plus attentivement sur cette figure. Un volontaire pour un article fouillé sur le sujet ? Concernant les caractères, nous avons bien pris note de vos remarques, mais cela fera l ‘objet d’une attention particulière lors d’une prochaine refonte, en profondeur du site, en attendant, il faudra nous pardonner de ce manque de confort visuel.
      A propos de Trimeresurus albolabris, Richard imagine qu’il s’agit de cette espèce mais il faut savoir que les reptiles de cette région du monde sont très mal connus. je cite ici un article de The Indian Express, donnant la parole à Harshal S Bhosale, spécialiste de la Natural History Society « Cet endroit est un paradis pour les herpétologues. Pourtant, les espèces qui s’y trouvent restent largement méconnues. « Peu de gens ont étudié les reptiles et les amphibiens en Inde. Les ouvrages de référence dont nous disposons […] ont été publiés dans les années 1930 ».
      Peut-être que la sagesse populaire et les connaissances empiriques des locaux s’appuient sur des rencontres avec d’autres espèces, proches mais plus venimeuses. Sinon, s’il s’agit bien de ce serpent non mortel, cela expliquerait le fait que, malgré l ‘utilisation d’un procédé inefficace, la personne ait survécu à la morsure venimeuse !

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