Les sirènes au-delà du mythe

Nous avons tous du sel dans notre sang, dans notre sueur, dans nos larmes. Nous sommes liés à l’océan. Et quand nous retournons à la mer – que ce soit pour naviguer ou pour la regarder, nous retournons d’où nous venons.

John F. KENNEDY

Parmi les créatures fantastiques de notre folklore, les sirènes occupent une place qui peut-être déroutante.  Particulièrement présentes voir incontournables dans les récits mythologiques et légendaires pendant de nombreux siècles, elles semblent avoir disparu de nos imaginaires, et visiblement de nos fleuves et océans.

Pourtant, leur existence réelle, au delà du mythe, a été envisagée par des savants de toutes les époques, faisant ainsi l’objet de cet article. Un questionnement sur la véracité de telles créatures, qui se voulait logique, raisonné, et à qui notre époque technologique et scientiste semble donner un second souffle aujourd’hui.

Pas encore tout à fait évanouies, puisque en de rares endroits du monde elles sont encore considérées comme bien réelles ( voir ici notre article sur les sirènes tueuses du Zimbabwe ), partout ailleurs elles ne semblent pas a voir survécu à l ‘âge moderne.

En avril 2019 est paru un livre que nous pourrions traduire par « Le primate du rivage», The waterside Ape, qui entend relancer le débat sur la théorie du primate aquatique,  l’Aquatic Ape theory,(AAT). Peter Rhŷs Evans, dans un livre méticuleusement argumenté et illustré, renforce et prolonge des hypothèses formulées il y a une trentaine d’années.

Peter Rhŷs Evans  est un chirurgien spécialisé en ORL, Avec plus de 200 publications scientifiques dont six livres, dont le manuel Principles and Practice of Head and Neck Surgery and Oncology, a remporté un prix prestigieux de l’Université de Londres. Entre 1986 et 2016, il a été chef de la chirurgie ORL / cervico-faciale au Royal Marsden Hospital de Londres.

Selon l ‘Aquatic Ape theory, l’être humain, au cours de son évolution serait passé par un stade aquatique, devenant un primate adapté au mode de vie amphibie et acquérant des caractéristiques physiologiques encore aujourd’hui inexpliquées. Ce stade de son évolution aurait été décisif, favorisant la bipédie, permettant l ‘augmentation de la taille du cerveau notamment. C’est un résumé, mais cette hypothèse est le fruit d’un travail de réflexion sérieux et argumenté, mené par des scientifiques. Un des partisans de l’AAT est le producteur de la BBC Sir David Attenborough, le maître incontesté du documentaire animalier.

Deux documentaires, Aquatic ape ( 1998, BBC) et Mermaids: the body found ( 2013 Animal Planet) évoquent l’AAT.

Pourrait-on voir l’Aquatic ape theory comme la dernière tentative en date, et l’une des plus abouties, de faire passer les sirènes du mythe vers la réalité scientifique ? Dans cet article nous allons mettre  les réflexions des savants et érudits du passé face à la version la plus actuelle de la théorie du primate aquatique.

Nous n’aborderons pas les sirènes de l ‘antiquité, celles mi-oiseaux qu’a par exemple, rencontrées Ulysse dans l ‘Odyssée. Les entrées à leur sujet sont innombrables dans la mythologie grecque, et cela a été très bien étudié notamment par les philologues italiens Maurizio Bettini et Luigi Spina dans Le mythe des Sirènes paru en 2007, éditions Belin. Au Moyen-âge, l’image aquatique de la sirène, et son aspect à moitié poisson s’impose définitivement dans les récits et la littérature.

Si rationalisation il y eut à leur égard, ce fut pour dégager leur caractère métaphorique,  les sirènes de l ‘antiquité, puis au moyen-âge, représentaient d’abord une mise en garde de ne pas céder aux passions amoureuses, capables de mener tout homme à sa perte, à son naufrage. Même s’il y avait des récits de rencontres ( notamment par Pline l’ancien), la possibilité de leur existence réelle n‘était pas le moteur principal de leur popularité.

Mais tout change au XVe siècle, un phénomène va propulser le monde des sirènes hors des grimoires enchantés vers les ouvrages parmi les plus savants de l‘époque : les cartes maritimes issues des premières explorations. Le plus célèbre de ces explorateurs va apporter un témoignage essentiel qui résume à lui seul la nouvelle place des sirènes dans l’imaginaire de nos ancêtres.

Gravure figurant l’explorateur Christophe Colomb sur un de ses navires, entouré de créatures marines (nymphes, tritons, sirènes).

En 1493, Christophe Colomb, de retour de son premier voyage transatlantique, croisa la route de sirènes, et en fit le compte-rendu dans son journal de bord, un document qui a été ensuite perdu. Voici ce qu’a retenu de cet épisode le moine dominicain Bartolomé de Las Casas, qui a pu consulter une copie de ce journal:  « Le jour suivant, alors que l ‘Amiral naviguait en direction du Rio del Oro, il dit avoir vu trois sirènes sortir nettement de la mer, lesquelles n‘étaient pas aussi belle que la peinture qu’on en fait car elles n ‘avaient nullement l‘apparence humaine, il dit que dans le passé il en avait vu quelques-unes en Guinée ou sur la côte Managueta.» Beaucoup on conclut de ces mots que ce manque d’apparence humaine, indiquait la présence de lamantins. Pour d’autres, c’est Christophe Colomb, qui venant de découvrir une terre inconnue, aurait voulu se démarquer des représentations précédentes.  Décrites désormais comme de chair et d’os, appartenant à la faune marine, les sirènes avaient gagné une crédibilité nouvelle, plus animales elles devenaient plus acceptables, mais cela au prix de leur beauté.  

Des découvertes plus ou moins récentes d’hominidés se sont produites également à l ‘ouest du rift.

Le point de départ de la théorie du primate aquatique, comme les autres théories sur l‘apparition de la lignée humaine est climatique. Il y a une dizaine de millions d’années (moment du passage du miocène au pliocène), la fracturation de la plaque continentale à l ‘est de l ‘Afrique (le rift) s’est accélérée, une faille immense de 3000 km de long et 50km de large se serait formée brutalement,  accompagnée d’activités tectoniques et volcaniques très intenses. Avec comme résultat une différenciation climatique marquée entre l ‘ouest de l ‘Afrique, qui reste chaud et humide, et l’est qui devient plus sec. La modification de l ‘environnement à l ‘est entraîne la fin des forêts primaires et ainsi pour les primates la perte de leur habitat, et de leur source de nourriture. Selon une théorie dite East side story, les primates se sont alors adaptés à leur nouvel environnement fait de petits arbustes, et surtout de savane. On connait le scenario, en se relevant pour voir plus loin, en devenant chasseurs-cueilleurs, ces primates de l’est du rift ont ouvert la voie de l ‘évolution vers les lignées humaines.  A l’ouest, restés dans leurs forêts, les primates ont évolué en direction du singe, des chimpanzés et autres bonobos.

La théorie du primate aquatique, elle, suggère que la perte des forêts n’a pu être compensée que par l’acquisition d’un mode de vie semi-aquatique, au contact des grands lacs africains (salés), comme le lac Victoria, dans les zones humides qui auraient échappé à la sécheresse, dans les estuaires et les bords de mer.

Les primates de l’est du rift n ‘auraient dû leur survie qu’au fait qu’ils combinaient les riches ressources aquatiques ( poissons, œufs d’oiseaux, tortues, coquillages et écrevisses, une partie des roseaux et d’autres plantes aquatiques… ) et les ressources terrestres. Ce comportement fortement adaptatif s’est prolongé des millions d’années, ce qui aurait conduit à des changements anatomiques et physiologiques importants, dus à ce mode de vie amphibie.

Flottant dans l‘eau, fouillant dans les rochers, les berges, le primate aquatique se serait mis debout naturellement, et aurait acquis ainsi dans l ‘eau sa bipédie. Mais ce n ‘est pas tout : « L’acide docosahexaénoïque (DHA) est un acide gras oméga-3 qui se trouve en grande quantité dans les fruits de mer», a déclaré le Dr Michael Crawford, de l’Imperial College de Londres. « Il stimule la croissance du cerveau chez les mammifères. C’est pourquoi un dauphin a un cerveau beaucoup plus gros qu’un zèbre, bien qu’ils aient à peu près la même taille corporelle. Le dauphin a une alimentation riche en DHA. Le point crucial est que sans un régime riche en DHA à partir des fruits de mer, nous n’aurions pas pu développer notre gros cerveau. Nous sommes devenus intelligents en mangeant du poisson et en vivant dans l’eau.»

Dans cet article, on apprend que pour les singes également, les rivages et dans les eaux peu profondes sont essentiels à leur survie. Outre les plantes aquatiques telles que de gros volumes d’algues (Hanuman langur) et des racines de nymphéas ( prisées par les babouins, macaques), les crevettes d’eau douce, les escargots et les poissons sont les types d’aliments les plus courants. a)une femelle macaque à longue queue (également singe crabier, M. fascicularis) debout dans l’eau et mangeant de la nourriture récupérée du sol. b) Singe Proboscis (N. larvatus) pataugeant en locomotion bipède. c) Langurs de Hanuman (S. entellus) au Népal, pataugeant de manière bipède tout en ramassant des algues dans un ruisseau pendant la période sèche. d) Des babouins des savanes (P. cynocephalus) pataugeant deboutsen cueillant des fleurs comme nourriture. e) Chimpanzé (P. troglodytes) femelle pataugeant devout avec son bébé buvant au sein.

A partir du XVe siècle, les récits mettant en scène des sirènes se multiplient, provoquant la perplexité des savants de l’époque. Ils doivent se rendre à l ‘évidence, oui les sirènes décrites dans les légendes semblent bien réelles, puisqu’on en voit ( presque) partout. Mais alors, qui sont ces créatures ?

Exemple de cette nouvelle place de sirènes dans l ‘imaginaire, le récit de Théodore Gaza, un érudit, mathématicien, diplomate du XVe siècle, un des esprits les plus brillants de son époque. Alors qu’il se promenait, entre deux séances de travail intellectuel sur les rives du Péloponnèse, il aperçut sur le rivage projetées par une tempête, en cet hiver glacial, plusieurs créatures marines étranges, dont une sirène qu’il nomme une néréïde. Elle avait un visage humain harmonieux, un corps couvert d’écailles, qui  se terminait en queue de langouste. Entourée d’une foule de curieux, et consciente qu’elle n ‘était pas dans son élément, elle poussait des gémissements déchirants, et de profonds sanglots. Rempli de compassion, Théodore fit écarter la foule, et traîna comme il put la sirène jusque dans les flots. Au contact de l’eau, la créature reprit de la vigueur, et s’éloigna bientôt à la nage, en effectuant de petits bonds hors de l’eau, comme peuvent le faire les dauphins. Elle se retourna et constatant qu’elle était observée, elle plongea définitivement et disparut pour toujours.

En 1718, un artiste du nom de Samuel Fallours a peint cette image d’une petite sirène qu’il prétendait avoir attrapée de ses propres mains et ramenée dans sa maison. Il raconte que la sirène vivait dans un récipient d’eau, mais est décédée au bout de quatre jours parce qu’elle refusait de manger.

Les sirènes, par définition sont rarement silencieuses, elle chantent bien sûr, et dans les observations les plus réalistes, elle hurlent, crient, se lamentent. Les hommes marins vocalisent, verbalisent, ils produisent des sons continus, et non de simples cris d’animaux,et c’est, dans les légendes leur première caractéristique. En cela, ils manifestent leur appartenance au genre humain/homo, car le langage articulé, compréhensible, c’est bien connu est le propre de l’homme, ce qui le distingue, notamment des autres primates.  

Gustave Moreau Les sirènes 1875

Entre l’âge de 6 à 12 mois, les bébés humains voient leur larynx changer de position, se placer plus bas, et la base de la langue s’allonger, un processus qui aboutit finalement vers l’âge de huit ans. Les experts envisagent plusieurs explications pour ce phénomène toutes liées à des changement de comportements, vers plus de complexité sociale ou technologique. Pour Peter Rhŷs Evans ces hypothèses ne sont supportées biologiquement, pour lui ce phénomène est le résultat d’un adaptation à la nage, notamment sous marine.

Plongeant au fond des lacs et rivières, pour rechercher de la nourriture, retenant sa respirations pendant de longue secondes, le primate aquatique aurait vu, comme le résultat de la pression de l‘eau sur sa cage thoracique, la trachée, et la base de la langue  se modifier, ainsi que la descente du larynx, unique à l‘être humain. Dans le même temps, les lèvres, utilisées pour aspirer l’intérieur des coquilles des mollusques s’allongeaient. Ces modifications auraient mis des centaines de milliers d’années à se mettre en place, alors que dans le même temps, notre cerveau et nos capacités cognitives se développaient fortement.

La conjonction des deux phénomènes aurait permis l’apparition du langage articulé, c’est à dire la coordination parfaire du larynx, de la langue et des lèvres pour former des sons reproductibles. Quant aux larmes versées par les sirènes, ingrédient principal des philtres d’amour des légendes ? Ici encore, l’AAT y voit un trait commun aux humains et à certaines espèces amphibies. Chez les humains, les larmes d’émotion sont contrôlées par des nerfs différents de ceux qui provoquent les larmes dues à l’irritation (fumée, poussière…) qui sont communs à d’autres animaux. Peter Rhŷs Evans rappelle que les humains sont les seuls animaux terrestres à avoir ce système, mais certains oiseaux marins, reptiles marins et mammifères marins perdent de l’eau par les yeux, ou par des glandes nasales spéciales, quand ils ont avalé trop d’eau, ou quand ils sont excités émotionnellement (nourriture, agression, frustration…).

Esquisse illustrant l’édition Garnier ( entre 1850 et 1880) du conte du Nain Jaune.

Parmi tous les récits anciens, impossible de conclure à un portrait type de la sirène, certaines sont décrites comme ayant le bas du corps d’un poisson, mais bien d’autres n ‘ont pas de particularités physiques notables les distinguant des humains.  Comme l’homme marin rencontré en 1619 par des officier danois revenant de Norvège vers Copenhague : c’était un homme, il était barbu et avaient des pieds, et transportait une botte d’herbe sous le bras. Les marins placèrent alors un jambon entier sur un hameçon au bout d’une ligne, et prirent l’homme marin au piège. Mais celui ci, fort en colère vociféra, et menaça de couler le navire si on le le relâchait pas. Ce qui fut fait et il plongea.  

Balthasar de Monconny, rendu célèbre par ses journaux de voyage parus en 1665, affirme avoir aperçu un triton de la mer rouge, il le décrit « de la grosseur d’un chameau», muni d’une «tête de bœuf», mais ayant le haut du corps comme un homme, si ce n ‘est que les bras et les mains sont « faits comme une patte d’oie, ou une aile de chauve souris». Monconny en déduit que pour nager plus facilement les sirènes ont les épaules étroites, les bras et les mains courtes. Monconny affirme avoir aussi vu une peau de sirène de 3m de long, plus  «épaisse que le cuir d’un buffle, plus dure que du bois».

Hortus sanitatis (l’origine de la santé), Johann von Cube (1491).

Thomas Bartholin, médecin et mathématicien Danois, auteur en 1645 De monstris in natura et medicina, raconte que près du Cap de Bonne-Espérance, on trouve des sirènes dont la partie supérieure du corps est humaine, semblable en tout point à celle des femmes, à part qu’elles ont la tête ronde et posée directement sur le corps, sans cou.

Le questionnement, et le besoin de réponse au sujet des sirènes se fera de plus en plus précis, anatomique, recherchant une logique là où au départ, il ne semblait pas y en avoir.  Symbole de ce questionnement presque scientifique, le texte de Benoît de Maillet, Telliamed publié et diffusé sous le manteau vers 1745 est une œuvre clandestine écrite par un Consul de France, naturaliste amateur, dont le nom Benoît de Maillet forme l’anagramme qui sert de titre.

Dans un entretien fictif avec un avatar de lui-même ( en mage indien à la sagesse ancestrale) nommé Telliamed,  il aborde la question des sirènes à travers sa théorie sur la diminution progressive des mers et océans qui auraient occupé à l ‘origine, selon lui, toute la surface de la terre.

Pour lui, tous les êtres qui peuplent la Terre sont sortis du milieu aquatique, et sont parvenus à leur état actuel par des transformations successives. Toutes les plantes, tous les animaux et l’homme aussi étaient donc forcément d’anciennes plantes et d’anciens animaux aquatiques transformés et adaptés à un nouveau milieu.

Parfois cryptozoologue avant l‘heure, il rassemble dans son ouvrage une imposante somme de récits et de témoignages relatifs aux sirènes et hommes marins.

Comme cet homme marin à queue de poisson, vu le 31 mai 1671 près du Diamant, rocher au sud de la Martinique, par deux Français et quatre autochtones, qui séparément interrogés, décrivirent de façon identique son visage large et plein, son nez gros et camus, ses cheveux unis et noirs mêlés de gris qui lui pendaient sur les épaules.

Une estampe russe de 1866.

Il y a cette observation collective et dûment rapportée, un récit aussi savoureux qu’invérifiable que nous avons légèrement adapté pour le rendre plus facile à lire, la version originale de l’ouvrage est en accès libre ici:

En l’année 1720 le 8 Août,  il parut sur les dix heures du matin à bord d’un vaisseau Français nommé la Marie de grâce, commandé par Oliver Morin, un homme marin, qui  premièrement se montra à babord, le contremaître appelé Guillaume l’Aumône aussitôt  prit une gaffe pour le tirer à bord ; mais le Capitaine l’en empêcha, de crainte qu’il ne l’entraînât avec lui. Par cette raison, il lui en donna seulement un coup sur le dos sans le piquer. Lorsque le monstre se sentit frappé, il montra son visage au contremaître , comme un homme en colère qui eût voulu faire un appel.  Malgré cela il passa dans les lignes en nageant, pour faire le tour du vaisseau. Quand il fut derrière, il prit le gouvernail avec ses deux mains; ce qui obligea l’équipage de le relever, de peur qu’il ne fît quelque dommage. Il repassa ensuite par tribord, nageant toujours comme eût put faire un homme véritable; et lorsqu’il fut à l’avant du vaisseau, il s’arrêta pour regarder la figure de proue qui était celle d’une très  belle femme. Après l’avoir longtemps observée, il s’éleva hors de l’eau pour tâcher, à ce qu’il semblait ; de faire tomber la figure. On attacha une morue à une corde,  on la laissa pendre à côté du vaisseau. Il la prit et la mania, sans rompre la corde.

Il nagea ensuite ; et partant par derrière, il prit de nouveau le gouvernail. Le Capitaine ayant fait préparer un harpon, essaya lui-même de le harponner; mais parce que le cordage n’était pas encore en place, il manqua son coup. Le manche seulement frappa le dos de l’homme marin, qui alors montra longtemps son visage au capitaine, comme il avait fait au contremaître, et avec les mêmes gestes.

Après cela, le monstre repassa à l’avant du navire, et s’arrêta encore devant la figure ; ce qui engagea le contremaître à se faire apporter le harpon. Mais craignant que cet homme marin ne fût la vision d’un matelot nommé la Commune, qui l’année précédente s’était défait (suicidé) sur le navire, sa main tremblante ajusta mal le coup, de sorte que pour la troisième fois le monstre ne fut frappé que du bâton auquel le harpon était attaché. Alors il présenta encore le visage d’un air menaçant, comme il avait fait les deux premières fois. Cela ne l’empêcha pourtant pas de se rapprocher encore davantage du bord, et de prendre une ligne avec laquelle pêchait un matelot nommé Jean-Marie ; après quoi il nagea de nouveau au vent environ la portée d’un coup de fusil.

Il revint ensuite à bord très proche, et s’éleva hors de l’eau jusqu’au nombril; de sorte que tout l’équipage remarqua parfaitement, qu’il avait le sein aussi plein que celui d’une femme. Il se renversa ensuite sur le dos, et prit avec ses mains ses parties naturelles, d’une grosseur et d’une figure pareille à celles d’un cheval entier ; après quoi il fit de nouveau le tour du navire, de là nageant lentement , il s’éleva hors de l’eau, et tournant le dos, il fit des immondices tout contre le vaisseau. Après cela il s’éloigna de sorte qu’on le perdit de vue.

Konrad Gesner (1558) Historiae animalium
Dans le chapitre de Gesner sur les Tritons, « Ceci est l’image d’un ichtyocentaur ou d’un démon de la mer (latin: Iconem hanc ichthyocentauri, sive daemonis marini). La créature a une tête en forme de chèvre avec deux cornes assis sur un torse humain semblable à une femme avec pendule poitrine, bras humains mais avec des mains charnues en forme de pince, et de petites nageoires en forme de poisson là où pourraient se trouver les pattes postérieures. Il n’a pas les pattes avant de cheval d’un ichtyocentaure typique.

Ce manège avait duré depuis dix heures du matin jusqu’à midi, le monstre ayant toujours été pendant ce temps là proche du vaisseau, souvent à deux ou trois pieds de distance; de sorte que l’équipage composé de trente-deux hommes eut le plaisir et la commodité de remarquer les particularités suivantes : qu’il avait la peau brune et basanée, sans écailles;  tous les mouvements du corps , depuis la tête jusqu’aux pieds, étaient tels que ceux d’un véritable homme; les yeux fort bien proportionnés; la bouche médiocre, eut égard à la longueur du corps , qui fut estimée par tout l’équipage à huit pieds (2m50) ; le nez fort camard ( écrasé), large et plat ; les dents larges et blanches la langue épaisse, les cheveux noirs et plats; le menton garni d’une barbe mousseuse , avec des moustaches de même sous le nez ; les oreilles semblables à celles d’un homme ; les pieds et les mains pareils , excepté que les doigts étaient joints par une pellicule, telle qu’il s’en voit aux pattes des oies et des canards. En général c’était un corps d’homme aussi bien fait qu’il s’en voit ordinairement.

L’observation étonnante des marins du vaisseau le Marie de Grâce fut consignée sur un procès-verbal signé, exceptionnellement, par les 32 membres de l ‘équipage. Autre exemple de récit collecté par Benoît de Maillet :

En 1651. on avait pris à deux lieues de Nice un requin d’une grandeur extraordinaire, dans le ventre duquel on trouva une main de figure humaine séparée du bras , comme si elle eût été coupée avec une hache. Cette main était encore si saine, que par le peu d’impression que la digestion de l’animal avait faite dessus, il était aisé de voir qu’elle venait d’être avalée. Les doigts de cette main absolument semblable à celle d’un homme, étaient unis l’un à l’autre par une pellicule, comme le font les pattes des oies et des canards ; preuve certaine qu’elle ne pouvait être que celle d’un homme marin (…)

Johann Ludwig Gottfried 1633

En 1430, aux Pays-Bas, après une inondation, des jeunes filles de la ville d’Edam sur le Zuyderzée, trouvèrent une femme marine ensevelie dans la fange d’où elles la dégagèrent ; puis après l’avoir lavée, l’amenèrent à Edam où elles lui enseignèrent à s’habiller, à filer et à faire le signe de la croix. Jamais elle ne put apprendre à parler.

L’ œuvre Benoît de Maillet, déjà ne correspondait plus aux standards scientifiques de l’époque et resta cantonnée à la marginalité. Pourtant, un siècle avant Darwin, il s’appuyait sur l’idée que les espèces étaient le fruit de transformations (transformisme), ici liées à un stade de développement dans le milieu aquatique.

Tous les mammifères ont une structure de leur épiderme commune, une association complexe de tissus organisés en  trois couches superposées qui vont de l’extérieur vers l’intérieur : l’épiderme, le derme et l’hypoderme. Mais en fonction de leur environnement, les mammifères ont vu leur peau s’adapter, d’un côté chez les amphibiens (dauphins, baleines etc..), de l ‘autre chez les mammifères terrestres. Selon l ‘Aquatic ape theory, la peau humaine présente un caractère unique, celui d’être le fruit d’une adaptation à  vivre dans ces deux éléments à la fois, aquatique et terrestre. ( il y a 193 espèces de primates sur terre, le seul qui n‘a pas de fourrure, c’est l ‘être humain). La perte de notre fourrure serait donc une indication claire de notre période très longue ( estimée par Peter Rhŷs Evans à 3 ou 4 millions d’années) passée en partie dans l‘eau. Le premier scientifique moderne à formuler l‘hypothèse de l ‘Aquatic Ape theory fut Sir Alister Hardy, un biologiste marin qui remarqua dans les années 1960 les profondes similarités entre la peau humaine et celle des mammifères aquatiques, pour qui la perte de la fourrure entraîna une modification des processus de  régulation thermique.

Chez les mammifères velus tout passe par le poil, dont chacun  possède son propre muscle, nommé arrecteur du poil. Il permet à l’animal soit de piéger une fine couche d’air contre la peau ce qui  a pour résultat d’offrir une surface supplémentaire d’isolation et de rendre la couche de poils plus dense, plus épaisse, d’où une meilleure protection contre la froid. Soit il peut hérisser ses poils, offrant une meilleur ventilation en cas de chaleur, et lui permettant de paraître plus grand en cas de menace. Ainsi la peau des singes est toujours sèche quelque soit la température.

 Ayant perdu la majeur partie de ses poils, (ceux restant ne présentant aucune résistance à l‘hydrodynamisme) et donc un système très efficace de thermorégulation, le primate adapté à la vie aquatique aurait ainsi été contraint de développer d’autres processus. Les glandes dites éccrines sont un dispositif de régulation totalement affranchi de la présence des poils. La transpiration débouche par un conduit directement sur la surface de la peau. La peau de l‘être humain en est couverte, plus que chez tout autre animal.

Sur tout le corps, nous avons donc des glandes sébacées qui sécrètent la transpiration pour refroidir l’organisme, le sebum recouvrant ainsi notre peau d’une substance huileuse la rendant imperméable. Ce dispositif ( conservé lors de la sortie de l‘eau des primates aquatiques et donc devenu inutile) expliquerait l ‘acné et la facilité avec laquelle se développent abcès, infections liés à une abondante transpiration. Ce système de régulation, particulièrement gourmand en eau, ne semble pas correspondre à une adaptation à la vie en milieu sec, en savane.

Autre exemple de ce qui est considéré comme une adaptation à l‘environnement aquatique: nous avons tous remarqué qu’après avoir passé un certains temps dans l ‘eau, la peau de la paume de nos mains, et celle de la plante de nos pieds devenait fripée.

Un mécanisme assez spectaculaire, indolore et assez mystérieux. Peter Rhŷs Evans cite une étude de 2011 qui explique pourquoi : la contractions de vaisseaux sanguins, rend la peau toute ridée et ainsi augmente considérablement la capacité à saisir des objets dans un milieux humide ou aquatique. «Nous avons montré que les doigts fripées donnent une meilleure adhérence dans des conditions humides – cela pourrait fonctionner comme les stries sur vos pneus de voiture, ce qui permet à une plus grande partie du pneu d’être en contact avec la route et vous donne une meilleure adhérence», a déclaré Tom Smulders , biologiste évolutionniste à l’Université de Newcastle, Royaume-Uni, et co-auteur de l’étude. Des doigts fripés auraient pu aider nos ancêtres à récolter de la nourriture dans la végétation humide ou les ruisseaux, ajoute Smulders. L’effet analogue au niveau des orteils pourrait nous aider à avoir une meilleure stabilité sous la pluie. Mais aussi pour se déplacer en milieu immergé.

Utilisées pour nager intensivement, nos jambes se seraient allongées, et nos doigts et nos doigts de pieds auraient été reliés, dans certains cas, par une fine pellicule de peau, comme les canards, les oies, et d’autres animaux aquatiques. Certains mammifères terrestres tels que les chiens, les chats, certains singes, et même les vaches ont également des palmes entre leurs doigts. Chez l’homme cela est considéré comme une maladie rare  connue sous le nom de «syndactylie», survenant dans environ une naissance vivante sur 2000 à 2500. Restée à un faible pourcentage dans la population humaine, cette mutation serait sélectionnée dans une population de primates aquatiques pour faciliter la natation. Au début du développement du fœtus, tous nos orteils et nos doigts sont palmés ensemble. À six à huit semaines, cependant, l’apoptose a lieu et une enzyme dissout le tissu entre les doigts, provoquant la disparition du lien. (Cela pourrait être une indication d’une adaptation évolutive beaucoup plus précoce, il y a entre 400 à 350 millions d’années, lorsque les vertébrés des eaux peu profondes ont échangé leurs nageoires contre des membres antérieurs adaptés à creuser ou à marcher).

L’idée que l’espèce humaine, au cours de son évolution, ait connu un passage déterminant dans l ‘élément liquide se retrouve  sous la plume d’un savant parmi les plus influents du XIXe siècle en France, il s’agit de l’historien Jules Michelet ( 1798-1874), le «père» d’une écriture moderne de l‘histoire de France.

Chef de la section historique aux Archives nationales, Michelet se trouvait directement au contact des documents, et il fut chargé de rédiger une Histoire de France en 6 volumes,  dans lesquels il a démontré non seulement ses talents d’historien mais également de poète, et de romancier.  (Ce qui pour un historien n ‘est pas forcément un gage de rigueur).

Dans un ouvrage paru en 1845 et intitulé La mer, il aborde largement la question de l’homme marin et le moins que l’on puisse dire est que son opinion à ce sujet est tranchée. Le chapitrer 13, consacré aux Sirènes débute par un paragraphe dans lequel Michelet évoque les membres supérieurs du lamentin, dotés selon lui de ce qui se rapproche d’une main humaine, ce qui serait le fruit du progrès, c’est à dire de l’évolution.

«Si l’on en croyait certaines traditions, le progrès eût continué. Les amphibies développés, rapprochés de la forme humaine, seraient devenus demi-hommes, hommes de mer, tritons ou sirènes. Seulement au rebours des mélodieuses sirènes de la fable, ceux-ci seraient restés muets, dans l’impuissance de se faire un langage, de s’entendre avec l’homme, d’obtenir sa pitié. Ces races auraient péri, comme nous voyons périr l’infortuné Castor, qui ne peut parler, mais qui pleure.

On a dit fort légèrement que ces figures étranges étaient des phoques. Mais, peut-on s’y tromper? Le phoque, en toutes ses espèces, est connu fort anciennement. Dès le VIIe siècle, au temps de saint Colomban, on le pêchait, on l’apportait et l’on mangeait sa chair.

Les hommes et femmes de mer dont on parle au XVIe siècle, n’ont pas été vus uniquement sur l’eau, mais amenés sur terre, montrés, nourris dans les grands centres, Anvers et Amsterdam, chez Charles-Quint et Philippe II, donc, sous les yeux de Vésale et des premiers savants. On mentionne une femme marine qui vécut longues années en habit de religieuse, dans un couvent où tous pouvaient la voir. Elle ne parlait pas, mais travaillait, filait. Seulement elle ne pouvait se corriger d’aimer l’eau et de faire effort pour y revenir.

On dira : si ces êtres ont existé réellement, pourquoi furent-ils si rares? Hélas! nous n’avons pas à chercher bien loin la réponse. C’est que généralement on les tuait. Il y avait péché à les laisser en vie, «car ils étaient des monstres.» C’est ceux que disent expressément les vieux récits.

Tout ce qui n’était pas dans les formes connues de l’animalité, et tout ce qui, au contraire, approchait de celles de l’homme, passait pour monstre, et on le dépêchait. La mère qui avait le malheur de mettre au monde un fils mal conformé ne pouvait le défendre ; on l’étouffait entre des matelas. On supposait qu’il était fils du Diable, une invention de sa malice pour outrager la création, calomnier Dieu. D’autre part, ces Sirénéens, trop analogues à l’homme, passaient d’autant plus pour une illusion diabolique. Le Moyen-âge en avait tant d’horreur, que leurs apparitions étaient comptées dans les affreux prodiges que Dieu permet dans sa colère pour terrifier le péché. À peine osait-on les nommer. On avait hâte de les faire disparaître. Le hardi XVIe siècle les crut encore «des diables en fourrure d’hommes,» qu’on ne devait toucher que du harpon. Ils devenaient très rares, lorsque des mécréants firent la spéculation de les garder, de les montrer. En reste-t-il au moins des débris, des ossements? On le saura quand les Musées d’Europe commenceront à faire l’exposition complète de leurs immenses dépôts. La place manque, je le sais bien, et elle manquera toujours, s’il faut pour cela des palais. Mais le plus simple abri, un toit vaste (et très peu coûteux) permettrait d’étaler des choses aussi solides. Jusqu’ici, on n’en voit que des échantillons et des pièces choisies.

(…)

La mer commença tout, sans doute. Mais ce n’est pas des plus hauts animaux de mer que sortit la série parallèle des formes terrestres dont l’homme est le couronnement. Ils étaient trop fixés déjà, trop spéciaux, pour donner l’ébauche molle d’une nature si différente. Ils avaient poussé loin, presque épuisé, la fécondité de leurs genres. Dans ce cas, les aînés périssent; et c’est très-bas, chez les cadets obscurs de quelque classe parente, que surgit la série nouvelle qui montera plus haut

L’homme leur fut, non un fils, mais un frère—un frère cruellement ennemi.»

Élisabeth Jerichau-Baumann « Une Sirène », 1873,

Pour Michelet, l’homme moderne a partagé un ancêtre commun avec les sirènes, mais elles constituent une lignée différente, parallèle, qui a évolué de son côté,  dans une convergence certaine avec l’être humain. Frère ennemi, on l‘a bien compris, signifie pour Michelet que les Hommes ont fortement contribué à l‘extinction des sirènes, cantonnés à l’état de monstres, et systématiquement mis à mort.

Une extinction des sirènes de la main de l‘homme, c’est également la thèse proposée dans un article remarquable et réjouissant  publié en 1989 et intitulé Mermaids  –  their  biology,  culture,  and demise. ( Sirènes – leur biologie, leur culture et leur disparition). L’auteur, est tout sauf un amateur. Karl Banse est simplement l’un des océanographes biologiste plus réputés au monde.   Étude des remontées d’eau au large de la côte indienne, des vers polychètes du Pacifique Nord-Est, de la dynamique du phytoplancton du nord de la mer d’Oman, du transport du carbone dans les océans profonds…voici quelques  un des sujets d’étude de Karl Banse, professeur émérite à l’université de Washington.

En 1989, l’American Society for Limnology and Oceanography organisa un congrès en l‘honneur de Karl Banse, à l’occasion de son 60ème anniversaire. Le discours prononcé alors par Banse,  a stupéfait ses pairs qui, on peut l’imaginer, ne s’attendaient pas à cela.

Le modèle sur lequle s’est basé Karl von Linné

Évidemment, il ne s’agit pas d’un article scientifique académique, pas plus qu’une prise de position en faveur de l‘Aquatic Ape theory, même si le discours fut ensuite publié dans une revue à commission de lecture, signe du prestige dont bénéficie l ‘auteur. C’est davantage qu’une distance qu’a mis Banse entre son sujet et lui-même, mais on ne peut s’empêcher d’imaginer avec quelle joie malicieuse il a pu contempler la mine déconfite de son auditoire au moment où il déclarait :  Mon hypothèse est que les sirènes doivent être prises au sérieux.

Qu’est-ce qui a poussé un tel expert à puiser dans cet univers irréel et symbolique une leçon d’épistémologie ?  C’est un mystère en lui-même.

Mais pour Karl Banse, il est possible d’identifier trois espèces différentes de sirènes : Sirena Sirena, la sirène rencontrée de la méditerannée jusqu’au Portugal, celle de nos contes. Sirena Indica, les spécimen rencontrés par Christophe Colomb et plus généralement les hommes marins de la côte américaine atlantique, Sirena Erythraea elle est rencontrée en mer rouge, et dans l ‘océan indien, et jusqu’en Indonésie.

Karl Banse, pour sa démonstration, s’appuie sur des témoignages recueillis (Andersen est l’un de ses sources principales),  mais aussi sur les deux dernières apparitions de la sirène des légendes dans des ouvrages à caractères scientifiques.  En 1758, les sirènes ont fait l’objet d’une courte note dans le Systema naturae de Carl von Linné sur la base d’un spécimen brésilien dont il juge la description « paradoxale », et que le naturaliste range, sans en être tout à fait certain,  aux côtés des mammifères. Et en 1831, Georges Cuvier les place, toujours avec méfiance, parmi les amphibiens (malgré la présence alléguée d’oreilles). Par la suite, ce taxon fut rapidement abandonné des classifications scientifiques faute de spécimens ou de descriptions crédibles.

Illustration de Thomas Astley publiée en 1745-1747

Si pour Karl Banse les 3 espèces sont similaires, elles diffèrent tout de même sur certains points, ainsi  Sirena Erythraea élève selon lui sa progéniture sur la terre ferme. Banse  s’interroge sur la persistance de la croyance selon laquelle les sirènes présentaient queues de poissons et écailles. Il l ‘explique par un excès d’imagination des artistes illustrateurs de l‘époque, et par le souci d’afficher  et de renforcer la différence physique avec l‘être humain. Au lieu de cela, ces écailles étaient plus probablement des «plis cutanés cornés» comme ceux des tatous. De plus, la silhouette irréprochable des sirènes doit signifier selon lui l’absence de couche  de graisse sous ces plis cutanés, et les contraints à un habitat uniquement situé dans les eaux chaudes. Les apparitions d’hommes marins en milieux tempérés impliquant des individus partis seuls en exploration ou à la recherche de ressource particulières. Cette restriction aux eaux tropicales peut signifier que des zones de remontées d’eau froide peuvent restreindre les mouvements côtiers des sirènes, donnant ainsi naissance aux trois espèces distinctes .

Karl Banse ensuite évalue le temps de gestation des sirènes à 5mois et demi, et les jeunes deviendraient autonomes vers 3/4 ans. D’après lui des structures sommaires faites de morceaux de récifs, de débris marins devaient servir de nurserie en eau peu profonde pour protéger des prédateurs les enfants marins à la fois fragiles et rares.

La silhouette agréable des sirènes serait en fait à replacer dans les contextes culturels , et les critères de beauté, de l ‘époque. Très difficile à imaginer mais Peter Rhŷs Evans se réfère aux statues des vénus de la préhistoire.

Selon l ‘Aquatic Ape theory, au contraire, l’apparition de couche de graisse (blanche) sous la peau de l ‘être humain, serait également une adaptation destinée à favoriser la régulation thermique, et à la vie amphibie dans des eaux tempérées. Les humains ont dix fois plus de cellules graisseuses sous la peau que ce à quoi on pourrait s’attendre chez un animal non aquatique de la même taille. La couche graisseuse humaine est également attachée à la peau des parties centrales du corps, comme c’est le cas avec la plupart des mammifères aquatiques de taille moyenne ou grande, plutôt qu’au muscle comme chez presque tous les mammifères terrestres.


Les nourrissons humains naissent couverts de vernix caseosa, un revêtement imperméable uniquement observé chez les phoques communs nouveau-nés. L’augmentation spectaculaire de la taille du crâne est un thème important de l’évolution humaine, rendant l’accouchement difficile et dangereux. On pense que l’accouchement dans l’eau facilite la naissance et réduit les risques pour la mère et le nourrisson, c’est pourquoi il est pratiqué de nouveau aujourd’hui . Au moment de l’expulsion, la future maman pourra choisir de rester dans la baignoire ou d’en sortir. Dans le premier cas, le bébé arrive directement dans l’eau avant d’être remonté à la surface. Il n’y a pas de risque de noyade, puisque le bébé baigne pendant neuf mois dans le liquide amniotique et ne respire pas avant que ses poumons n’entrent en contact avec l’air. La maman devra en revanche sortir de l’eau pour l’expulsion du placenta.

Ce fut le Capitaine Britannique James Cook (1728-1779) qui découvrit pour la première fois en 1778, lorsqu’il explora les îles du Pacifiques, que de jeunes enfants nageaient en mer sans aide extérieure. A cette époque cela ne se voyait pas dans les pays développés. Les premières expériences significatives de « bébé-nageurs » furent réalisées en 1939 par Myrtle Byram McGraw, psychologue développementaliste.

Mais si de nombreux arguments en sa faveur sonnent juste, et si à l ‘image de Lucy ( -3 millions d’années, piégée dans un marécage avec son butin du jour : œufs de crocodiles, de tortues, pinces de crabes, de nombreux fossiles d’hominidés sont retrouvés dans des zones qui furent côtières ou humides, c’est une théorie qui n ‘est pas reconnue par la paléoanthropologie. Les principaux arguments contre montrent que tout ces traits particuliers peuvent être expliqués autrement, par d’autres voies évolutives. Il reste que l ‘AAP fait remarquablement écho aux hypothèses intuitives des savants du passés postulant une origine aquatique de l ‘homme.

L’attitude prudente à son égard de la communauté scientifique est résumée par l’anthropologue Vernon Reynolds d’Oxford. « Dans l’ensemble, je ne pense pas qu’il puisse être correct de désigner nos premiers ancêtres hominidés comme «aquatiques». Mais en même temps, il semble y avoir des preuves que non seulement ils prenaient de l’eau de temps en temps, mais que l’eau (et par là je veux dire les lacs et les rivières intérieurs) était un habitat qui fournissait suffisamment de nourriture supplémentaire pour que cela ait pesé sur la sélection naturelle. »

Il faut avouer que la théorie du primate aquatique ne semble pas plus spéculative que les autres hypothèses sur l’avènement de la bipédie.

Quant aux « vraies » sirènes, seraient elles des primates aquatiques qui, restés dans l’eau auraient continué à se spécialiser ? En tout cas, rares sont ceux qui continuent donc d’envisager l’existence comme le fit il n’y pas si longtemps François de Sarre, qui porta un regard expert d’ichtyologue sur le phénomène. Dans son ouvrage Les sirènes du mythe à l ‘évidence scientifique il propose l ‘hypothèse d’un précoce homoncule marin, et au passage suggère également qu’hommes sauvages et hommes marins désignent en fait une même créature, fortement liée à l ‘eau pour se nourrir et se déplacer.

A la fin de son discours, l ‘océanographe Karl Banse évoque lui un peuple disparu, car selon lui lui l ‘extinction des sirènes correspond à l‘avènement de la pêche industrielle. Ce bouleversement de l‘écosystème marin a selon lui anéanti le fragile équilibre qui permettait leur survie en nombre réduit.

Les sirènes , comme en son temps le dieu Pan de nos ancêtres, sont mortes, en emportant leur mystère au fond de l ‘océan. Et l ‘Aquatic ape theory n ‘a finalement pas vocation à les ressusciter. Peter Rhŷs Evans ne cite pas une seul fois le mot sirène, ou homme marin dans son ouvrage. Rien n ‘explique les fameuses queues de poissons en guise de jambes, pas de place pour le folklore. Au contraire, pour l ‘AAT les sirènes n ‘ont jamais disparu mais elles ont évolué, ce sont nous, ainsi Peter Rhŷs Evans apporte dans son livre, dans le chapitre 11 une preuve, de plus, une caractéristique étrange supplémentaire de notre corps, témoignant selon lui, de l ‘adaptation de notre organisme au mode de vie aquatique. A découvrir dans The waterside Ape.

7 commentaires

  1. Bonjour,

    Votre article est passionnas, je prends toujours le même plaisir à vous lire.
    pour Andersen, j’ai vu un documentaire récemment sur Arte, qui expliquait que l’auteur avait pris la symbolique de la sirène pour exprimer le fait qu’il n’était pas né dans le bon corps.
    En effet, il apparaît que monsieur Andersen n’a jamais vécu d’histoire d’amour, mais qu’il fut extrêmement amoureux du fils d’un vieil ami: en la personne d’Edvard Collin.
    Il se trouve que ce jeune homme se maria à une dame, et que Hans Christian en fut très malheureux. Cette sirène c’était un peu lui, celui que l’on repousse, auquel l’amour est refusé.
    Belle journée à vous et encore merci !!
    Corinne

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      1. Merci Christophe !
        C’est très gentil.
        Vos articles sont richement documentés, forts bien écrits et aux frontières de la réalité de l’imaginaire, j’adore !!

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