Peuples mythiques des Pyrénées 1

Les hadas de l’Ariège

 Introduction

     Dans les dossiers proposés sur Strange Reality, nous nous sommes souvent penchés sur l’Homme sauvage en France, questionnant ainsi la frontière si mince entre humanité et animalité, et reconnaissant dans le Basajaun du Pays basque et les Simiots de l’Ariège deux exemples phares. Mais savez-vous que ces deux créatures de taille humaine font de l’ombre à leurs deux petits frères ? Connaissez-vous les petites créatures négligées que sont les hadas de l’Ariège et les laminak du Pays basque ? Savez-vous, surtout, qu’elles sont plus pertinemment documentées que leurs illustres ainés ? C’est ce que nous allons de ce pas étudier avec le cas curieux des hadas de l’Ariège.

Portrait folklorique de l’hadas

  L’ethnographe Charles Joisten en pleine collecte d’informations (1954) Courtoisie Musée dauphinois de Grenoble

     Dès 1951, vivement encouragé par les deux grands ethnographes du folklore français Arnold van Gennep et Paul Delarue, Charles Joisten (1936-1981), alors adolescent, entreprend une étude systématique des contes populaires en débutant ses travaux dans les Hautes-Alpes (1952) et l’Ariège (1953). Dans sa collecte ariègeoise (Charles Joisten, Les êtres fantastiques dans le folklore de l’Ariège, 1965), les « hadas » ne cadrent pas avec l’image générique de la fée du folklore britannique. Point d’ailes, de trainée magique ou de visages gracieux, les hadas de l’Ariège sont certes de petites tailles, mais farouches, velues, sauvages, assez laideronnes, et peu enclines à partager les  secrets de la nature avec les hommes, jusqu’à fuir dans des grottes telles des possédées dès que l’Angélus retentit dans la campagne. Nombreux sont les récits qui évoquent la disparition des hadas à l’avènement du christianisme, et a contrario leur présence lorsque régnait la « mauvaise loi » dans les campagnes, c’est-à-dire les cultes païens.

Leur description physique ne lasse d’étonner par ce  sentiment ambivalent de sauvagerie et d’animalité qui en émane : « Dans les grottes de Calamès (commune de Bétailhac), d’après un témoignage de 1954, elles étaient vêtues de peaux de bêtes. Elles n’étaient pas plus hautes que des nains, et ne sortaient que la nuit des excavations et abris rocheux. Elles se métamorphosaient parfois en bêtes, et vivaient le plus souvent de rapines en mendiant des châtaignes ou un peu de soupe dans les bergeries voisines ».

Les hadas gardaient jalousement un artisanat fondé sur des propriétés naturelles et, lorsque l’une d’entre elle se faisait capturer par un humain, ses voisines lui criaient par-delà la forêt : « Surtout, ne révèle pas le secret de la feuille de l’aulne ! » « Tu t’es fait avoir, tant pis, mais ne répète pas le secret de la soudure ! ». Si le secret de la soudure a été dans un récit éventé (du sable de rivière servant de liant au fer), quel serait donc ce fameux secret présent dans la feuille de l’aulne ? Nous n’en savons rien historiquement, mais nous connaissons actuellement les propriétés pharmaceutiques de l’aulne glutineux. D’une part, le macérat du bourgeon permet de fluidifier un sang trop épais, de diminuer sa viscosité, et ainsi de renforcer les défenses immunitaires. D’autre part, la feuille de l’aulne est utilisée depuis le Moyen-âge dans la pharmacopée traditionnelle pour ces nombreuses propriétés : antiinflammatoires, antidiarrhéiques et antihémorragiques.

L’aulne glutineux, utilisé dès le Moyen-âge dans de nombreuses potions curatives

     Très souvent, à travers les récits oraux, les hadas se caractérisent par leur fascination envers les bébés humains, au détriment de leur progéniture, jugée disgracieuse. De cette aversion naît le thème du changelin, ou « changeling » dans le folklore anglais, à travers le canevas de l’enlèvement d’un enfant humain remplacé par un petit hadas :

     « Une paysanne qui habitait dans la montagne avait un enfant malade qu’elle donna à soigner à une encantada. Mais, lorsque l’enfant fut guéri, les parents s’aperçurent que l’encantada avait substitué son propre enfant tout poilu au leur qui allait mourir, afin que le sien prospère » (Version 1, Saurat, 1954). « Une fada vola, un jour, un enfant de Suc ; en retour, sa mère lui prit un petit fadoet. La fée lui dit : « Rends-moi le mien, je te rendrai le tien. » Elles reprirent chacun le leur » (Version 2, Vicdessos, hameau de Suc, 1953).

L’hadas, ayant un enfant laid et disgracieux, l’échange avec le beau poupon, aux traits harmonieux, d’un couple   d’humains.   Ceux-ci   n’ont   d’autre   ressource   que   de   laisser   le hadet sans soins, le laissant pleurer, jusqu’à ce que les sentiments maternels de l’hadas reprennent le dessus, et qu’elle restitue l’enfant volé pour reprendre le sien. Généralement, l’enfant substitué est sur le point de révéler un secret important de la nature, à savoir le fameux secret de la feuille de l’aulne.

Le vieux fond mythique du « changelin » (Martino di Bartolomeo, Scènes de la légende de Saint-Etienne, XVe siècle)

Portrait scientifique de l’hadas

     Nous quittons lentement le portrait folklorique de l’hadas pour nous attarder sur des lieux bien réels visités ou bien habités par ce petit peuple : ainsi, l’arbre rond d’Aret abriterait dans des terriers sous ses racines une communauté d’hadas.

L’arbre rond d’Aret, domaine des hadas

    D’après les récits folkloriques, des cavités rocheuses leur servaient de domiciles, telle la grotte déjà citée de Calamès (commune de Bédeilhac) où elles étaient vêtues de peaux de bêtes et, exemplairement, la grotte de Marsoulas. Joseph Blanc, maire de la commune de Cassagne (1977-1988) et passionné par les histoires locales, rappelle que d’après une tradition ancestrales la grotte de Marsoulas était habitée par des « Eras hados » (des créatures cachées), et que les anciens appelaient cette grotte « Tuto deras hados » (le tertre des créatures cachées).

     Pour éviter le courroux de ces petites créatures, les habitants des alentours apportaient quelquefois des offrandes en nourriture à l’entrée de la grotte, mais nul ne se serait risqué à l’intérieur par peur de déranger les occupants jugés sauvages et farouches. Cette croyance était si vivace qu’en 1884, lorsque le célèbre archéologue ariégeois David Cau-Durban (1844-1908) se proposa d’entreprendre des fouilles dans la caverne il se heurta à l’opposition du propriétaire qui ne voulait pas risquer de mécontenter ses inquiétants locataires.

Reconstitution de l’art pariétal magdalénien de la grotte de Marsoula (Parc de la Préhistoire, Tarascon-sur-Ariège)

    Mais cela ne serait que pur folklore, si seulement les études archéologiques les plus récentes, d’ailleurs initiées par David Cau-Durban, n’avaient pas positionné la grotte de Marsoulas comme un site d’occupation magdalénien (population Cro-Magnon) les plus importants de France.

Le prêtre David Cau-Durban découvre à Marsoulas des os gravés du Magdalénien (1884)

    

 Le folklore pyrénéen nous enseigne que les Hadas ont hanté cette grotte. La science nous révèle par des preuves archéologiques la présence de populations magdaléniennes (Cro-Magnon de l’Haplogroupe primitif I) dans cette même grotte. Ces deux faits sont-ils incompatibles ? Ou peut-on en opérer une audacieuse synthèse ?

     Nous pourrions postuler que les hadas, qui hantaient les mêmes grottes que les hommes du Magdalénien, pourraient se confondre avec eux. Ainsi, ces créatures apparemment folkloriques correspondraient à une population relique de cro-magnons encore présente au début du XIXe siècle. En effet, le bornage final de la collecte folklorique de Charles Joisten est celui-ci : « au temps de Louis-Philippe (1830-1848), les hadas se cachaient dans des terriers, sortaient la nuit et vivaient de rapines ».

     A travers les siècles, ces populations survivantes de l’Homme de Cro-Magnon auraient réduit leur taille par le phénomène du nanisme adaptatif (économie de taille = économie d’énergie), très présent dans la chaîne pyrénéenne aux rudes conditions climatiques : ainsi, la souche pyrénéenne de l’ours est plus petite que sa souche alpine, l’isard pyrénéen est de taille moindre par rapport au chamois alpin et le bouquetin des Pyrénées était plus petit que ses cousins alpin et ibérique.

L’isard des Pyrénées est moins massif que le chamois des Pyrénées 

Les hadas auraient-elles subi le même phénomène de nanisme adaptatif ?

Conclusion

     Quel est donc la nature exacte de ce mystérieux peuple caché ? Des représentants purement folkloriques des nains, à ranger auprès des vierges blanches, des chasses sauvages et autres croquemitaines du folklore français ? Ou plus simplement, sur le versant biologique, des Homo sapiens possiblement issus de populations reliques de Cro-Magnon, et qui auraient vécu de manière élusive dans les grottes ariégeoises jusqu’au début du XIXe siècle ? En tout état de cause, ces hadas de l’Ariège nous questionne sur la notion de « frontière », que ce soit celle de la grotte ou celle du voile fragile entre humanité et animalité, réalité et imaginaire.

     De l’épisode type (l’échange de nourrissons) aux épisodes annexes (les secrets de la nature) se dégage nettement la notion de « seuil » : les deux communautés, hadas et humains, se toisent, se défient, n’apprenant que très peu l’une de l’autre. Des avertissements sont d’ailleurs lancés afin que ces deux communautés ne communiquent à aucun prix : « ne révèle surtout pas le secret de la feuille de l’aulne ! ».

Jamais le seuil entre l’inquiétant monde souterrain des hadas et le rassurant bourg des villageois ne sera véritablement franchi,  ni par les hadas (affolement face au tintement des cloches qui sonnent l’Angélus), ni par les humains (peur des sombres grottes et des cavités rocheuses), qui pourraient tous les deux payer le prix fort de cette transgression.

Dans un prochain article, nous verrons qu’un autre petit peuple pyrénéen, les laminak du Pays basque, ont transgressé cet interdit afin de rentrer en contact avec les humains.

6 commentaires

  1. Bonjour,
    Merci pour ce nouveau dossier. Au sujet de Charles Joisten, je ne savais pas qu’il avait débuté en Ariège. Il a continué à Grenoble, et il a rassemblé une importante documentation dans Etre fantastiques des Alpes. Il s’est fait houspiller par ses confrères (Claude Lecouteux et autres) parce que notamment des fées poilues, aux longs seins, vivant dans les bois, ça ne se fait pas ! J’ai pu correspondre avec sa veuve (ou sa fille ?), qui m’a fourni entre autres la documentation où j’ai trouvé l’histoire troublante d’Anthoinette Culet, en 1598, en Tarentaise. Elle se trouve en annexe de mon Sauvages et velus, et sur http://pagesperso-orange.fr/daruc/enleve.htm (sur les cas d’enlèvement genre Jean de l’Ours).

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    1. Merci Jean pour cet éclairage tout à fait pertinent. En effet, Charles Joisten a commencé sa carrière (pendant l’adolescence !) à s’intéresser à l’Ariège. Outre les hadas, il récolte les récits très troublants du couple d’Iretge (homes sauvages) et du djsiec (nain tresseur de la crinière des chevaux). A relire de toute urgence, donc !

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    1. Merci à vous,

      Ravi que cela vous ait plu.

      Nous essayons de prendre notre temps sur Strange Reality pour pouvoir vous livrer des dossiers complets sur des sujets à la lisière entre la science et l’imaginaire, l’archéologie et le folklore. Bientôt, un dossier sur les laminak, les fameuses créatures du folklore basque !

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