Les Cagots et l’Eglise

Avant même de connaître l’existence des cagots, avant même la visite du musée d’Arreau à la fin des années quatre-vingt-dix, nous prenions souvent la voiture avec ma famille pour aller dans la vallée d’Aure, en passant par la ville thermale de Bagnères-de-Bigorre. Sur le chemin, avant d’accéder au magnifique lac de Payolle et au sublime panorama du col d’Aspin, nous passions par la petite bourgade de Campan. Mon œil d’enfant était alors irrésistiblement attiré par de drôle de poupées en papier maché et à taille humaine, les mounaques, disposées le long de la route départementale, et mises en scène de manière vivante, dans leurs activités quotidiennes.

Après un arrêt dans ce village à la boulangerie du « Petit creux » pour prendre des gâteaux à la broche, spécialité locale, nous déambulions sur la place de l’église jusqu’à tomber nez-à-nez avec deux portes d’entrée différenciées, une petite et une grande.

Je pensai alors, bien benoitement, que la petite porte était réservée aux enfants de chœur, étant moi-même inscrit au catéchisme. Mais cela, c’était quelques années avant le choc des cagots du musée d’Arreau…
La porte des cagots
Avant le XVIe siècle, le terme « cagot » n’était que sporadiquement mentionné, et l’on évoquait ces chrétiens mis à part sous l’appellation de « chrestias ». En effet, cette population ne dépendait pas de la tutelle de la commune (jurat), mais directement des églises, et restait très attachée à la foi chrétienne, comme l’illustre cette comptine ancestrale :
Encoère que Cagots siam
Encore que nous soyons Cagots,
Nou nous en dam !
nous ne nous en faisons pas !
Touts em hilho deu pay Adam !
Nous sommes tous fils du père Adam !
Toutefois, le clergé mettait en place à leur encontre des lois drastiques auxquelles ils devaient se plier : dans les églises, ils devaient rester au fond et entrer par une porte spécifique qui leur était dédiée ; par peur de la contagion, les prêtres leur tendaient l’hostie au bout d’un bâton et ils se signaient de la croix dans un bénitier spécifique.
Ainsi, de nombreuses églises médiévales portent encore les stigmates architecturaux de cette discrimination, à commencer par ses entrées plus petites que l’on peut toujours voir, sans que la liste en soit exhaustive, dans les églises précitées de Rides et de Campan, mais aussi à Luz, Arras, Mus, Sevignacq, Labastide Clairence, Oraas, Sauveterre-en-Béarn, Vic-en-Bigorre, etc. Au même titre que le premier article sur les cagots, nous tenons à remercier bien chaleureusement Christophe Cathelain et Jean Omnès, pour leur magnifique travail photographique dont nous nous inspirerons pour illustrer notre propos. Je me permets de vous faire part d’un petit florilège des portes des cagots présentes sur de nombreuses églises :
Plusieurs portes des cagots, un tiers plus petites que les entrées principales
Focalisons-nous davantage sur l’église de Luz, village qui comprend son propre quartier des cagots et attirera la curiosité médiatique dans les années 1950 par le cas de la fratrie Danne, que nous développerons dans le prochain article. Le grand écrivain Victor Hugo, qui séjourna dans les Pyrénées, décrit en ces termes la ville de Luz : « J’ai tourné autour, entre l’église et le mur crénelé. Là est le cimetière, semé de grandes ardoises, où des croix et des noms de montagnards creusés avec un clou s’effacent sous la pluie, la neige et les pieds des passants. Une porte, aujourd’hui murée, était la porte des cagots. Les cagots ou goitreux étaient parias. Leur porte était basse, autant qu’on peut en juger par la ligne vague que dessinent les pierres qui la murent. » (Voyage vers les Pyrénées, 1843).


Le bénitier des cagots
Le petit bénitier que nous pouvons voir à l’intérieur de l’église de Luz était le bénitier réservé spécifiquement aux cagots, et qui était souvent bien minable. Voici une liste loin d’être exhaustive de ces quelques bénitiers du pauvre :
Hormis ces quelques bénitiers dont celui de Campan portant la marque infamante de la « patte d’oie », quelques-uns méritent davantage notre attention par la symbolique qui s’en dégage, comme à Oloron Sainte-Marie, à Bassoues et à Saint-Savin.
Ainsi, au sein de la cathédrale Sainte-Marie d’Oloron, Un bénitier daté du XIIe siècle représente une scène de chasse, un lapin et un chien se courant après étant grossièrement sculptés. Cette scène, représentant un prédateur et sa proie, ne serait-elle pas la symbolique de ce rapport de domination imposé aux cagots par la population ?

D’autres bénitiers nous permettent d’apprécier la physionomie des cagots, comme par exemple le bénitier de l’église Sainte-Marie de Bassoues, daté du XVe siècle :

Le bénitier de Saint-Savin, datant du XVe siècle, a été vendu comme bien national en 1790, avant de se retrouver conservé au sein de l’église paroissiale du village, anciennement abbaye des bénédictins.

Ce bénitier, de soixante centimètres de haut, est soutenu par deux cagots dos-à-dos, dont les épaules et les genoux semblent fléchir sous le poids immense de la vasque. D’où provient cette pièce historique majeure ? Les cagots bénéficiaient à Saint-Savin de leur propre quartier (Mailhoc), de leur propre lavoir et de leur propre cimetière, ainsi que d’une église qu’ils avaient construite : la chapelle Sainte-Madeleine, tombée en désuétude en 1794. Ce magnifique bénitier pourrait alors provenir de cet ancien édifice…
La Chapelle des Cagots
En Terranère et Mailhoc
En Terranère et Mailhoc
Que soun lous grans Cagots
Sont les grands Cagots
En Andurans et Canarie
En Andurans et Canarie
Qu’ey la Gran Cagoterie
Est la grande Cagoterie
Tous les lieux cités dans cette chansonnette (Mailhoc, Terranère, Andurans, Canarie) détiennent les traces d’une église construite par des cagots. Partons, aidé par le remarquable travail de terrain de Jean Omnès, à la découverte de tous ces vestiges de notre passé !
Mailhoc, quartier de Saint-Savin, abrite la fameuse chapelle Sainte-Madeleine, qui serait tombé en ruines dès 1794. En 1958, André du Bief nous en donne une description : « En effet, je suis allé les voir. La chapelle, transformée en grange en 1792, puis laissée à l’abandon, n’est plus qu’une sorte de tour envahie par la végétation. De la route, on l’aperçoit à peine. Comme ce qui demeure de cagots, elle semble se dissimuler honteusement aux regards indiscrets. Au fond, on n’est pas très fiers du traitement infligé pendant des siècles à ces malheureux ». Jean Omnès a pu retrouver, en 2015, sa localisation précise : à flanc de vallée, à 1500 mètres du village de Saint-Savin, en passant le chemin « Houssats deoüs Cagots », c’est-à-dire le cimetière des cagots, se présente alors cette église-grange qui n’est plus qu’un amas de ruines.
Terranère, quartier cagot d’Aucun, nous mènera fort heureusement sur une piste bien plus fructueuse : le téméraire Jean Omnès y retrouvera, non sans quelques recherches, la piste de la chapelle Saint-Roch qui se trouve encore utilement conservée car utilisée par des camps de jeunesse (« Le nid montagnard »).

Cependant, la chapelle des cagots qui demeure la plus remarquablement conservée est celle de la « grande Cagoterie » de la chansonnette, c’est-à-dire des environs d’Argelès-Gazost. Ainsi, dans la petite commune d’Ayzac, la chapelle des cagots du quartier d’Andurans se tient encore majestueusement droite, la petitesse de l’édifice, le bénitier de fortune et l’étroitesse de la porte d’entrée en trahissant les constructeurs.

Contrairement au reste de la population chrétienne, et même en montrant la plus grande dévotion du monde, les cagots n’ont pas le droit à un nom de famille, et leur prénom, dans les registres paroissiaux, sont précédés du mot « cagot ». Leurs enfants ne sont pas baptisés sur les fonts baptismaux. Ils ne sont autorisés qu’à se marier entre eux, les enfants nés d’un cagot et d’un non-cagot, nés donc d’une alliance contre-nature, sont appelés « macho ».
Le cimetière des cagots
Les défunts cagots sont relégués dans les cimetières officiels mais à l’écart, dans un carré réservé en terre non bénite. Des traces de ces derniers cimetières existent encore à Sauvagnon, Salies-de-Béarn ou bien Sérée. A Lourdes, où ils auront bien plus tard un quartier spécifique, ils sont exclus de la cité en journée et doivent porter le signe stigmatisant de la « patte d’oie » sur leurs vêtements.
Ainsi, à Lourdes, les cagots auraient eu selon Jean Barber (Guide, 1892) leur propre église et leur propre cimetière, que Jean Omnès pense avoir localisé dans un terrain en démolition en face de l’Hôtel Saint Raphaël :

A Sérée, le cimetière de la magnifique chapelle romane abrite un carré où les tombes sont délaissées, sans plaques, sans entretiens : s’agit-il, comme le veut la coutume, des sépultures honteuses des cagots ?


Conclusion
Par cette seconde recherche architecturale sur la problématique des cagots, cette-fois ci axée sur le bâti religieux, nous pouvons confirmer la forte stigmatisation opérée par les villageois sur ce corps de la population. Qui étaient véritablement les cagots ? Pourra-t-on un jour obtenir des analyses aussi poussées que celles entreprises pour les pygmées suisses du Néolithique ? Tous les espoirs semblent permis, car nous savons dans ce dossier où les cagots ont été inhumés, notamment dans les cimetières de Lourdes et de Sérée. Une véritable volonté anthropologique et scientifique serait donc nécessaire pour cerner par une étude ostéologique la véritable identité biologique de cette population.
Les cagots, véritables parias de notre société, seront l’objet au XXe siècle d’une curiosité croissante et malsaine de la part de nos contemporains, et une pauvre fratrie d’Esquièze sera même taxée par la surenchère médiatique de deniers survivants de ce peuple. Mais cela, nous le verrons dans un prochain article sur Strange Reality !
magnifique! Nos voisins sont étonnés à découvrir qu ‘il y avait ‘les intouchables’ en France.
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Merci pour ce commentaire Mark ! Effectivement, les cagots étaient assimilables aux intouchables : des parias en France !!!
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