
En ce début d’été 2021, la forêt de Boscodon fait encore parler d’elle. Au terme d’une nouvelle battue, des restes humains, c’est à dire un squelette, et des vêtements sont retrouvés par les équipes de bénévoles ayant répondu à l ‘appel de familles éplorées par la disparition de leurs proches.
Identifiés le 5 juillet, ces ossements proviennent bien d’un des disparus de Boscodon, la forêt maudite qui semble avaler les gens. Une découverte qui va aider l’entourage du défunt à faire le deuil, mais qui sans doute ne mettra pas fin au mystère entourant cette forêt et les événements tragiques qui s’y succèdent depuis quelques années.

Dans la partie sud des Hautes-Alpes, la majestueuse forêt de sapins de Boscodon, d’une surface de 878 hectares, située entre 980 et 2400 m d’altitude, abrite une biodiversité exceptionnelle, on y trouve notamment en flore : le Sabot de Vénus, orchidée protégée, la Bérardie laineuse ou la Buxbaumie verte, une petite mousse discrète.





La faune y est représentée par le Casse-noix moucheté, le Tétras-lyre, le Chamois, la Marmotte et les petites chouettes de montagne, le Lièvre variable, l’Aigle Royal…
Cette forêt est devenue célèbre, pour le nombre anormalement élevé de personnes qui ont disparu en allant simplement s’y promener.
En l’espace de quelques années, ce sont six affaires de disparitions qui ont fortement frappé les esprits. Dont quatre survenues ces cinq dernières années. Jusqu’à aujourd’hui, seuls deux corps sans vie avaient été retrouvés, mais désormais un troisième a été localisé. Il reste donc trois autres cas qui n’ont pas encore été élucidés. Si rien ne permet à ce stade de croire à l’hypothèse d’un acte malveillant, rien n ‘est exclu. D’ailleurs, un juge d’instruction de Gap, la ville la plus proche, a récemment rouvert deux informations judiciaires pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire » concernant des disparitions survenues en 2015 et 2016.
Aujourd’hui, c’est la peur et la méfiance qui règnent dans le petit village de Crots, qui borde la forêt. Nombreux sont les villageois qui ne s’aventurent plus seuls dans les bois sur les hauteurs du village.
Reprenons maintenant la chronologie de ces événements tragiques.
1995
C’est la première disparition inexpliquée. Un groupe de randonneurs profite de la douceur estivale pour randonner entre Crots et Savines-le-Lac dans un alpage du cirque du Morgon. Le mont Morgon, et sa forêt sont en quelque sorte une continuité de Boscodon, ce qui forme un ensemble de plus de 2500 hectares de nature sauvage.
Alors qu’elle chemine dans le secteur avec ses amis, Lucie Manca-Crez, habitante de Gap, alors âgée de 63 ans, fait une halte en chemin pour cueillir des fleurs. Elle ne rejoindra jamais le groupe. Des recherches terrestres et aériennes ont été menées. Elles ont abouti à la découverte de son corps sans vie le lendemain, par la gendarmerie. Il subsiste que peu d’informations sur cette disparition, et sur les circonstances de cette fin tragique.
Pendant les vingt années suivantes, aucun cas n ‘est signalé. Mais à partir de 2015, les événements se précipitent.
2015
Le 2 juin Monique Thibert, agée de 65 ans, arrive de la ville de Bourg en Bresse pour retrouver un groupe d’amis, au programme : une semaine de randonnées. Ce n ‘est pas la première fois, c’est un groupe expérimenté qui connait bien la région. Dès le deuxième jour, ils décident de suivre un sentier qui les amènent au sommet du Grand Morgon, le lac de Serres-Ponçon est bien visible en contre-bas. Ils garent leurs voitures au parking de l ‘Abbaye de Boscodon. L’ascension se déroule normalement, mais lors de la redescente, à travers la forêt, elle accélère le pas, et distance ses amis pour retourner plus vite à sa voiture. Lorsque le groupe atteint finalement le parking, elle est introuvable. Sa voiture est bien là, mais Monique Thibert, elle, n’y est pas. Son téléphone ne répond pas, personne ne l ‘a aperçue aux abords de ce point de départ très fréquenté. Elle est recherchée pendant quatre jours par la gendarmerie, des groupes de volontaires, des sapeurs-pompiers, un hélicoptère est alors utilisé. Sans aucun résultat. Les secouristes se retrouvent aux prises avec un relief escarpé, une intense végétation qui compliquent fortement les recherches.

Et surtout personne ne s’explique pourquoi son téléphone ne borne pas non plus. La thèse du suicide est écartée, et finalement, deux ans plus tard, Monique Thibert est officiellement considérée comme décédée, même si aucun élément nouveau n ‘a été apporté.
2016
Le 25 décembre, Marie-Christine Camus, une femme de 62 ans, quitte son domicile à Saint-Michel de l ‘observatoire dans les Alpes-de-Hautes-Provence, pour rendre visite à son ami qui vit à Embrun, une petite ville aux abords du Lac de Serres-Ponçon, face au pic Morgon. Sa petite Fiat panda est repérée le 30 décembre 2016, cinq jours plus tard, dans la forêt de Boscodon, dans un parking situé à proximité de l ‘abbaye, exactement comme pour Monique Thibert.

En fouillant le véhicule, les enquêteurs découvrent les affaires personnelles de Marie-Christine Camus, son sac à main ses papiers d’identité, sa carte bleue, son chéquier, son téléphone portable. Là encore de grands moyens ont été employés pour la rechercher : mais même les chiens n’ont pas réussi à trouver sa trace. Les proches de Marie-Christine Camus ont, de leurs côtés, fait appel aux services de radiesthésistes et ont déposé des affichettes. Sans résultat non plus. C’est une randonneuse expérimentée mais qui partirait seule, en plein hivers, pour une grande randonnée ?
2018
Ce vendredi 1er juin, Nik, un sans domicile fixe allemand d’une trentaine d’année vivant à Barcelonnette entreprend d’effectuer, accompagné d’un ami, la traversée entre le village du Lauzet-Ubaye, sur les bords du lac de Serres-Ponçon et Crots. Ce ne sont que quelques kilomètres, mais l’essentiel de la randonnée est la traversée de la forêt de Boscodon, par des sentiers de montagne. Au cours du chemin, ils se séparent sur l’itinéraire, ayant prévu de se retrouver ensuite à Crots, samedi. Mais Nik n’est jamais arrivé à destination, c’est son compagnon de route, qui une fois traversé la forêt domaniale de Boscodon jusqu’à Crots, a prévenu les secours.

Les recherches débutent le samedi 2 juin, avec de multiples interventions terrestres et aériennes par le peloton de gendarmerie de haute montagne de Jausiers. Celle-ci a lancé un appel à témoins dès lundi : Nik est âgé d’une trentaine d’années, a les cheveux blonds, et des dreadlocks. Il porte un bonnet jaune et rouge, une veste mi-saison blanche, un short noir, des baskets noires, un sac à dos rouge sur lequel est fixée une tente rouge. Toute personne en mesure de fournir des renseignements est priée de bien vouloir prévenir la gendarmerie d’Embrun. »
Le mardi, peu avant midi, c’est une reconnaissance par hélicoptère qui permet de repérer le corps sans vie de Nik, le randonneur disparu est retrouvé dans le vallon de Bragousse, commune de Crots. Après les constatations par les secouristes, des techniciens en identification criminelle de Gap et de médecins, la thèse de la chute accidentelle est privilégiée.
2020
Le 26 octobre un homme de 41 ans, Cédric Delahaie venu passer quelques jours de vacances à Gap quitte son hôtel, et ne donne plus de signes de vie. Il avait quitté son domicile du Castellet trois jours plus tôt à bord d’une Citroën C4 gris foncé. Le véhicule est retrouvé par les gendarmes, sur le même parking que celles des autres disparus, à proximité de l ‘abbaye de Boscodon. On découvrira ensuite que la veille il avait téléchargé l ‘itinéraire de randonnée du pic de Morgon, la même randonnée effectuée par Monique Thibert lors de sa disparition en 2015. Si la voiture est localisée, ses affaires, son ordinateur ne sont pas retrouvés. Deux jours d’intenses recherches ne permettront pas de retrouver sa trace. Le 3 novembre, les premières neiges mettent fin aux recherches.

A peine un mois plus tard, l’impensable se produit. Une nouvelle personne se « volatilise dans la nature », sans laisser de trace, après une simple balade dans la forêt. Cette fois ci , c’est une habitante des environs de Boscodon. Laurence Klamm, 60 ans, est partie de son domicile au hameau de Beauvilllard à Crots pour une promenade, et elle n ‘est jamais revenue. Cent vingt personnes, dont plusieurs dizaines de gendarmes et de pompiers participent alors aux recherches, Laurence Klamm était une randonneuse familière de l’endroit. Un chien de gendarmerie de race Saint-Hubert, connue pour son odorat développé, a participé aux investigations. Le chien a pu repérer une trace, sur la zone du hameau du bois, vers le pont du Marquisat, rapidement celle ci s’est estompée et le chien est lui aussi rentré bredouille. « La piste s’arrête sur un pont, au niveau de l’abbaye« , raconte Éric Klamm, le mari de Laurence. « Le lendemain, un deuxième chien s’est arrêté à peine plus haut, et il s’est couché, signe qu’il n’y avait plus aucune trace à suivre« .

Un drone et un hélicoptère ont aussi été déployés. Lorsque son mari a donné l’alerte de sa disparition, les enquêteurs l’ont cherché intensément pendant une semaine, l’exploitation des images de caméras de vidéosurveillance et différents témoignages ont permis aux enquêteurs de délimiter un périmètre d’environ 800 m de large entre le lieu-dit Marlès et un torrent situé en contrebas, en vain. Sans aucun résultat. C’est la dernière disparue de la forêt de Boscodon.
Elle rejoint malheureusement une liste peut-être bien plus longue que ces 6 personnes. Michel Merle, maire de Crots de 1979 à 1985, affirmait récemment au micro de France 3 : « Il y avait déjà eu des disparitions, déjà avant tout ces trucs sur la forêt de Boscodon. Certaines ont été identifiées et d’autres qui sont restées à jamais disparues« .
2021
Relancées par des proches des deux derniers disparus, de nouvelles battues ont permis de retrouver, le 28 juin dernier, des ossements ainsi qu’une basket de randonnée sur les crêtes du Morgon à la limite de la forêt de Boscodon, dans les Hautes-Alpes. Ils ont été identifiés comme appartenant à Cédric Delahaie.

Les pistes et les théories.
La découverte de ces reste humains va sans doute permettre d’en apprendre un peu plus sur les circonstances, voire les causes de la mort de Cédric Delahaie, mais d’ores et déjà, la piste de l’accident ou du suicide paraissent les plus plausibles selon le procureur de Gap qui se refuse, pour l’heure, à ouvrir une information judiciaire pour homicide «en l’absence de preuves criminelles». Raison principale : le quadragénaire était considéré comme psychologiquement fragile, et avait déjà tenté de mettre fin à ses jours.
L’avocat de la famille du disparu, lui, estime peu probable que la victime ait commis un acte irréversible. «Il allait beaucoup mieux et était dans une grande forme physique et morale lorsqu’il a entamé sa randonnée». Lors de sa tentative de suicide par le passé il avait «organisé» son départ, en écrivant des courriers à ses proches, à son fils notamment. «Aujourd’hui, la famille ne croit absolument pas au suicide de Cédric. Dans tous les cas, il faut procéder par élimination avant de présenter la moindre certitude»
L’hypothèse de la disparition volontaire, comme celle du suicide est régulièrement évoquée pour expliquer d’autres disparitions. Ainsi la dernière disparue en date, Laurence Klamm, particulièrement éprouvée par des mois de confinements revenait d’un séjour d’un mois en maison de repos. Une thèse rejetée également par son époux.
Six personnes qui disparaissent, quatre dont on ne retrouve rien : l’enchaînement est quand même troublant« , s’interroge Éric Klamm. « On peut tout imaginer, mais s’il s’agissait d’un accident ou d’un suicide, on aurait retrouvé ma femme« , assure-t-il.







De façon générale, les proches souhaitent que les enquêteurs se penchent sur les similitudes troublantes entre toutes ces affaires :
Ces disparitions ont lieu dans une même zone, autour du même parking, et concernent en majorité des femmes et âgées d’une soixantaine d’années. D’ailleurs l ‘hypothèse du suicide ou de la disparition volontaire ne sont pas envisagées pour les cas des disparitions de Marie Christine Camus, et Monique Himbert, raison pour laquelle une information judiciaire pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire » a été ouverte. Les enquêtes au sujet de ces disparitions sont toujours en cours.

Au centre de ces scenario macabres, on retrouve l ‘abbaye de Boscodon, un édifice bâti en 1142, régulièrement reconstruit au rythme des incendies, des destructions. L’abbaye de Boscodon et la forêt qui l ‘entoure sont intiment liés, car dès leur installation, et c’est aussi la raison de leur présence, les moines ont exploité la forêt, en on extrait le bois de très grande qualité des majesteux mélèzes. Il est dit que les moines ont « jardiné » cette forêt, l ‘ont façonné. L’abbaye est un établissement austère, sans peinture, ni sculpture, ni vitrail, seule la pierre accompagne la petite communauté de moines dominicains dans leurs prières. Aucun indice ne relie aujourd’hui, le monastère aux disparitions.
La piste accidentelle ? C’est aussi l’une des plus probable, notamment par rapport à l ‘âge de certaines victimes. Tombés sous un amas de neige, ou dans le trou d’un des nombreux amas de pierres sous lequels on les retrouvera un jour ? Les hypothèses sont nombreuses mais là encore les opinions s’opposent.
Pour certains, la forêt du Boscodon représente une « randonnée faussement sécurisante », « Boscodon ça reste accessible, mais quand on commence à grimper il a des coins risqués. Dans les gorges du Verdon on a retrouvé un randonneur belge 17 ans après ! » affirme le capitaine de la gendarmerie.
La forêt de Boscodon, est sans doute plus inaccessible qu’elle n ‘y paraît. Pendant l ‘occupation allemande, lors de la seconde guerre mondiale, un maquis de résistants s’y était installé, profitant de nombreuses caches naturelles, comme celle de la Baume Rousse – ou “Baoume des Chaouvieux” en patois local – la grotte des Corneille. Elle s’ouvre au flanc d’une paroi rocheuse tout en haut du Morgon, à l ‘écart des itinéraires touristiques qui conduisent au sommet.
« La forêt du Boscodon en elle même ce n’est pas des promenades très difficiles, c’est de la petite/moyenne montagne ». Affirme de son côté le maire de Crots, ces évènements ont « un côté anxiogène. Mon rôle c’est aussi de rassurer les gens et d’éviter qu’il y ait une psychose qui s’installe. Mais j’ai quand même conseillé aux gens d’éviter de se promener dans la forêt, seul, surtout en cette période, on ne sait jamais ».”
Il reste que cette forêt est très visitée, il y a environ 50 000 personnes qui viennent chaque année randonner ici, et la fausse tranquillité, l’aisance trompeuse de ces sentiers de montagnes pourrait induire un excès de confiance des promeneurs et aboutir à de fatales imprudences.
Et il y a les légendes, et l’atmosphères particulière qui règne dans cette forêt de sapins immenses, qui donnent parfois à ces massifs l’allure de parcs naturels américains.
« On a des gens qui viennent faire de la méditation ici, qui viennent faire de la sylvothérapie, on a plein de pratiques qui se développent à Boscodon. Apparemment certains vous diront qu’il y a un caractère vibratoire très fort ici. Il y a aussi ces parcelles avec de très grands arbres, qui dépassent parfois les 50 mètres de haut, on appelle ça les forêts cathédrales, et on s’y sent tout petit. Et tout cela ça ramène à des ambiances et à des ressentis que certaines personnes viennent chercher ici » affirme un habitant.
Nous n ‘avons pas trouvé de récit, de créatures fantastiques relatifs à la zone précise du Biscodon, ou du Pic du Morgon.
Néanmoins, nous avons largement abordé cette région dans nos articles concernant les créatures fantastiques des Alpes. Il y a notamment ces deux articles concernant le massif des Ecrins, et celui concernant le folklore autour des gorges du Verdon qui jouxtent la forêt de Boscodon. Les enlèvements, les personnes désorientées dans les espaces naturels ( pixie led), sont une composante essentielle des récits fantastiques, d’hier et d’aujourd’hui, et il peut être tentant de rechercher des explications surnaturelles lorsque nous sommes dans l ‘incompréhension, et le désarroi. A ce stade, rien dans ces disparitions n ‘indique un quelconque rôle joué par des êtres « imaginaires » des légendes. Mais il reste des caractéristiques troublantes, des similitudes qui nous font penser immanquablement au travail effectué par Steve Paulides sur les disparitions troublantes survenues dans les espaces naturels américains. Là encore, une large partie de la réflexion est laissée à l ‘interprétation, la relativité induite par les statistiques ( nombre de visiteurs rapporté au nombre de disparus), vient contrebalancer, dans une certaine mesure le mystère représenté par ces disparitions, on sait qu’il y a en moyenne trente accidents mortels chaque année dans les montagnes en France.

Cher lecteur, comme vous le savez, nous ne sommes pas des adeptes du » circulez il n ‘y a rien à voir », ni nous ne sommes pas non plus prompts à crier au loup ( garou) à la moindre occasion. Mais il faut constater, que partir seul en montagne, ou dans la forêt représente un risque certainement plus élevé que ce à quoi nous pourrions nous attendre. Malgré des moyens de recherches de plus en plus sophistiqués, malgré la technologie qui supposément nous « traquerait » en permanence, il est encore malheureusement possible de » s’évanouir dans la nature ». Un dernier élément, à avoir à l’esprit avant de partir en randonnée cet été : les disparitions mystérieuses, dans cette partie des Alpes, ne sont malheureusement pas cantonnées au massif du Boscodon.
