Nains mystérieux des Ecrins : Les carcaris du Valbonnais

Les carcaris sont toujours présent dans l ‘imaginaire des habitants des hameaux des Ecrins
Le massif des Écrins est un grand massif montagneux des Alpes françaises situé dans les Hautes-Alpes et en Isère. Sept grandes vallées structurent le massif des Écrins dont le Valbonnais et le Valgaudemar.

     

Un énigmatique petit peuple, farouche et extrêmement discret, semble hanter les Alpes franco-suisse, comme semble le confirmer notre enquête de terrain récente en Haute-Savoie (voir l’article « Témoignage : le nain velu de Morillon ») et nos recherches bibliographiques sur les pygmées fossiles du Néolithique et actuels du Salève (voir l’article « Les pygmées suisses du Néolithique »). Au cœur des légendes du massif alpin, le petit peuple marque de son empreinte les villages des départements de l’Isère et des Hautes-Alpes, notamment dans le massif des Ecrins autour de deux vallées encore préservées du tourisme et de l’urbanisation : le Valbonnais et le Valgaudemar. Cette présente étude fera le point sur les nains du Valbonnais, nommés par les villageois « carcaris », là où un prochain article mettra en lumière la vallée du Valgaudemar à travers les « bretous ».

     Dès 1951, vivement encouragé par les deux grands ethnographes du folklore français Arnold van Gennep et Paul Delarue, Charles Joisten entreprend une étude systématique des contes populaires en débutant sa collecte dans les Hautes-Alpes (1952) et l’Ariège (1953).

Loin du motif symbolique endossé par l’homme sauvage, le travail de Charles Joisten a permis d’exhumer l’image prosaïque d’un « homme sylvestre » à travers les récits oraux du patrimoine pyrénéen et alpin. Charles Joisten s’est notamment illustré dans la vallée du valbonnais, son remarquable travail de terrain étant archivé par ses deux continuateurs, Christian Abry et Alice Joisten, à travers le livre posthume Etres Fantastiques des Alpes (Editions Entente, 1995).

Cet ouvrage est épuisé,mais l ‘oeuvre de Charles Joisten a été remarquablement éditée par le musée Dauphinois.
Il est possible de se procurer ces ouvrages ici

Les carcaris étudiés par Charles Joisten

     Dans les travaux ethnographiques de Charles Joisten, le carcari connaît plusieurs occurrences remarquables :

(Lavalette, Isère, 1958)

Carcaris = petits et bourrus (poilus), habitaient dans les montages, dans les bois. Se nourrissaient de racines et de fruits. Volaient pendant la nuit des pommes de terre et du linge aux gens.

(Valbonnais, Isère, 1958)

 Ce récit reprend la trame du petit carcari capturé et appelé par sa mère, canevas classique de la « fée » du folklore français :

« J’ai entendu dire tout petit que les carcaris venaient voler le linge qu’on écartait (étendait). Ils marcheraient pieds nus. Un de leurs petits était venu voler du linge. Et on avait mis de la poix dans des galoches qu’on avait placée exprès là où il y avait le linge. Et les petits s’étaient enfilés les pieds dans les galoches. Après, ils pouvaient plus courir le petit. On l’avait pris et emmené dans une maison. Et sa mère venait l’appeler du haut d’une petite côte ; alors il disait « lèissa mia r’la lèissa mia r’la, ma missou me sôno ! » (« Laisse-moi aller, ma mère m’appelle ! »). Il parait qu’ils l’ont lâché, ils lui ont même pas fait de misère. Moi je vous dis ce que j’ai entendu dire par la maman ».                                   

Charles Joisten

(St Honoré, Isère, 1961)

[La pierre des caracaris] est un rocher « qui fait le creux du dessous » et qui se trouve au clos de Mouche dans la montagne de Comborsière. Les carcaris vivaient là-dessous. Quand on voyait une pierre avec un petit creux où restait de la pluie, nos parents nous disaient « tiens, voilà l’assiette des carcaris ! ».

     Entre Combalberte et la ferme de la chaux, il y a un rocher plat dans lequel on peut voir sept ou huit assiettes de carcaris. Les jeunes bergères avaient l’habitude d’aller y boire l’eau de pluie qui s’y trouvait.        

(Nantes-en-Ratier, Isère, 1960)

Ce récit du carcari semble brodé sur le canevas classique des croquemitaines de la campagne :

« Pour nous empêcher de sortir le soir, ma mère qui était originaire de Lavaldens nous disait : « Faites donc un peu attention au carcari ! ». Et si nous demandions : « Comment est-il ce carcari ? », elle nous répondait: « Il a un gros œil au milieu du front et il est très méchant! »

L’enquête de Gilbert Jacquet

  Dans son remarquable ouvrage Lavaldens et la Morte Images d’Autrefois (2001), Lucette Félix-Mallet consacre toute une section aux lutins ou foletons, fées, yasses et carcaris. A la page 733, elle affirme : « Nos fonds de vallées, nos creux de rochers, nos rocs éboulés et formant des abris, tous ces endroits ont accueilli de bien étranges personnages à forme humaine qui auraient formé, trois grandes familles : les carcaris,les… ». Tremblez, bonne gens de la vallée de la Roizonne ! « Ils sont velus, noirauds, avec une grosse tête…On nous les décrit généralement comme étant plutôt petits mais surtout, surtout, ils ont un œil au milieu du front ».

on peut se procurer cet ouvrage notamment ici

     Gilbert Jacquet, fin connaisseur de la vallée valbonnaise et rédacteur depuis 2007 de la G@zette du Valbonnais, a entrepris une véritable enquête de terrain afin de retrouver les traces des énigmatiques carcaris. Laissons-nous guider par ses pas de randonneur à travers une fascinante enquête de l’étrange…

« Notre enquête sur le terrain nous a permis de retrouver sous une chaleur caniculaire la fameuse cabane des carcaris, dans le bois de Chevallier, sis au dessus de Péchal, hameau de Valbonnais.  Quelques ruines en pierre sèche trônent encore au bord du sentier des carcaris et une petite source se trouve à proximité de la cabane des carcarisdans le bois de Chevallier ».

     Après cette confirmation de l’existence de quelques lieux emblématiques (cabane, sentier, source) rattachés au folklore des carcaris, l’intrépide Gilbert Jacquet n’a pas hésité à mouiller la chemise, en escaladant le bois de Chevallier, pour vérifier les allégations de quelques personnes âgées des villages alentour.

La « cabane des carcaris »

     Victoire B., décédée en 1898, à l’âge de 70 ans, aurait trouvé deux chemises des carcaris sous un rocher à côté de la fameuse cabane des carcaris. Victoire avait rapporté à la maison ces chemises en piteux état : « C’était tout cuit » car elles étaient là depuis des lustres ! Edouard B., son arrière-petit fils, âgé de 80 ans, assène un argument de poids : « Ca je vous le dis ; la mère était pas menteuse pour le dire à ses enfants ! ».

     Ecoutons les récits de ce brave Edouard B. : « Une mère carcari venait appeler son petit capturé par les villageois du haut d’une petite côte alors il disait en patois valbonnetin : « Léissa mia r’la, léissa mia r’la, ma missou me sôna ! » (« Laisse-moi aller, laisse-moi aller, ma mère me sonne ! »).L’appel de maman carcari a dû émouvoir les Pécharaux : « il parait qu’ils l’ont lâché, ils lui ont même pas fait des misères ». Un autre son de cloches nous vient de Péchal où des carcarines (sic) qui cherchaient à voler le linge qui trempait à la fontaine s’étaient fait surprendre. « Les autres avaient fichu le camp, et elle, qui était peut-être plus petite, s’était fait prendre. On l’avait mise dans une maison chez Jules B. ».

    

A Valbonnais, sur la rive droite de la Bonne, les carcari(ns) ne semblaient pas vivre  dans des grottes, cavernes ou autres cabornes. Nous retrouvons, dans la montagne de Roussillon, ces fameux trous des carcarins, chers à nos voisins de Siévoz.

Siévoz

     En 1996, Gaston Clavel racontait que « les sauvages vivaient dans les trous de la montagne du Roussillon ». Celui du lieu-dit Le soufflaou, un trou soufflant, au-dessus du Pont-du-Prêtre, impressionne toujours les imaginations. Dans l’article d’Eric Marchand, consacré à ces « mystérieux carcaris » dans la gazette Mémoire d’Obiou (n°2, 1997), Alexandre Vincent nous confie : « Les gens qui, à l’époque, faisaient cuire leurs pognes au four se méfiaient des carcarins qui venaient les voler ». Gaston Clavel raconte l’histoire de ces gens de Siévoz qui dormaient à côté du linge étendu, par crainte de se le faire dérober. A notre connaissance, l’exploration systématique des trous à carcarins entreprise par Alexandre et Jean Marc Vincent, Gaston et Raphaël Clavel, n’a rien donné. Mais savez-vous que des chèvres s’égaraient dans ces trous, où de jeunes garçons descendaient, à leur risque et péril, avec une simple torche enduite de résine ? La tradition dit que nos carcarins disposaient d’un véritable réseau de galeries qui mettaient en contact la montagne du Roussillon avec les alentours de Malbuisson en passant, bien sûr, sous la Bonne. Ainsi, à la veille d’un jour de vogue, des carcarins avaient débouché dans la cave d’un habitant de Malbuisson et volé les délicieuses pognes que l’on avait laissées refroidir à proximité du four collectif.

     Pauvre imprudent ! Auguste Guignier avait réussi à capturer un petit carcarin. Celui qu’on appelait Le Guston l’avait attaché à un prunier, dans la cour de la ferme. Finalement, il se décida à le relâcher pour ne pas faire souffrir la mère qui venait régulièrement appeler son rejeton : le geste auguste … d’un laboureur de Siévoz !

le  » sentier des carcaris »
la  » source des carcaris »

Oris-en-Rattier

     Nos mystérieux sauvageons, petits et poilus, habitaient dans nos montagnes et dans nos forêts. Vivaient-ils en autarcie ? Les petites communautés de carcaris étaient-elles reliées entre elles ? La nuit, les carcari valbonnetins passaient-ils la voie naturelle du col de Plan Collet pour aller rendre visite à leurs collègues orichons ? L’histoire ne le dit malheureusement pas…

     En avril 1958, nous avons pu recueillir un truculent récit, extrait de l’abondant corpus collecté par Charles Joisten. La scène se passe à Oris et s’intitule : « le carcari capturé ». Le témoignage est saisissant : « Mon père, qui avait fait le berger jusqu’à cinquante-deux ans, me racontait que les carcaris vivaient dans la Combe des Praillaoudi. On en avait capturé un dans la dernière maison du village, en venant d’Oris, et les autres venaient le chercher et l’appeler la nuit : – Eh, Lanteroune, Lanteroune ! Dans cette « combe » (ravin), on voit encore les cabornes (cavernes) où ils habitaient. Mon père est mort en 1916, il avait quatre-vingt-cinq ans, et lui l’avait peut-être entendu dire, mais il l’avait peut-être pas vu ».

La Valette

     Des témoins ont affirmé en 1960-1961 que des carcari avaient sévi sur la rive droite de la Roizonne, à Nantes-en-Ratier, à Saint-Honoré, à La Chaud…Mais revenons à La Valette où en 1958, on disait que « Les carcari étaient petits et bourrus (poilus). Ils habitaient dans les montagnes, dans les bois. Ils se nourrissaient de racines et de fruits. Ils volaient pendant la nuit les pommes de terre et du linge aux gens ».

Lavaldens

     En juillet 1954, Charles Joisten y recueille un témoignage sur le petit secret alimentaire de notre carcari : la manne est sa nourriture. Etait-ce l’exsudation sucrée du frêne ? Nous ne le savons pas et ne le saurons certainement jamais. Mais écoutons : « Les carcaris habitaient lou caborna des carcaris (caverne des carcari) située dans le ravin entre lou se doou prei (pâturage) et la colline de la Petite Auberge, au-dessus du hameau du Fontagnieu. C’était du petit monde qui n’avait qu’un œil dans le front. On disait aux jeunes enfants qui s’éloignaient un peu trop de la maison : les carcaris vont vous prendre ! Ils vivaient de la manne de certains arbres, ils ramassaient ça pour vivre. Ils étaient nus et poilus.

     Lucette Félix-Mallet, dans son livre Lavaldens et La Morte Images d’Autrefois, nous apprend que les carcaris, à qui l’on pouvait parfois demander de jeter un sort, étaient peut-être appelés lou courcoumaou (patois de Lavaldens ?). L’auteure laisse entendre qu’il y a eu souvent confusion entre les fées (laï faï) et les carcaris (lou courcoumaou). Ces derniers « sont velus, noirauds, avec une grosse tête… […] On nous les décrit généralement comme étant plutôt petits mais surtout, surtout, ils ont un œil au milieu du front. Ils aiment sortir à la tombée de la nuit ».

     Une mystérieuse galerie allait de Fontveille à Ponvet, avec un pont voûté en vieilles pierres qui attisait la curiosité des enfants. Paul Rutty est formel : « au lieu-dit Fontveille se trouve un rocher fendu, une caborne ; si on y jetait un caillou on l’entendait rouler longtemps, longtemps…Dans cette galerie vivaient des carcaris. Elle allait jusqu’au Ponvet, le vieux pont, à la Petite Gorge ». 

     Dans le pays de la Roizonne, contrairement à celui du Valbonnais, on voyait nos petits monstres partout. Nous trouvons les cabornes à carcari, au cœur des fleurons de notre toponymie locale : cirque de Parier, Fontvielle, Ponvet, La Roche, La Gaffe, La Biffe, Pravet, cascade de Vaunoire, Les Feraïres, Morinais… Ils étaient partout, dans la combe des Plateaux, mais aussi dans la combe de Brun, au-dessus de Moulin Vieux, où ils cohabitaient en bonne intelligence avec les fées. Lucette Félix-Mallet nous parle de « cette caborne des carcaris qui s’ouvre, sombre, au sommet d’une cheminée dans les pentes rocheuses à droite de la cascade de Vaunoire… » et de « l’endroit appelé La Roche, une Baume, sorte de renforcement rocheux, se rencontre ; du salpêtre imprègne les pierres ». Les carcaris en étaient friands !

     « Si le carcari y était, il nous mangerait ! » Marie Blache, née en 1866, n’aurait pas apprécié, selon Madame Félix, cette stupide rengaine. « Ils mangent les petits ! » disait-on autrefois, en patois, et cela devait faire peur aux enfants du pays de la Roizonne et les dissuader de faire de grosses bêtises ! Pourtant, ils nous semblent un peu farceurs, nos petits monstres : « Dans le jour finissant, ceux qui passent, bergers ou bûcherons peuvent entendre les carcaris les appeler en criant : Micavaou ! Micavaou ! Surpris l’homme se retourne mais ne voit personne ; les carcaris s’empressent de se dissimuler derrière les arbres ». Selon Henri Berquet, facteur à La Morte (propos rapporté par Eric Marchand) « ce sont les carcaris qui ont appris aux gens à faire le beurre et le fromage ».  Ces carcaris, transmetteurs d’un savoir-faire qui remonterait à la nuit des temps ont-ils pris le chemin du Col de Vaunoire, pour amuser par quelques facéties les Chantelouviers, de l’autre côté de la montagne ?

Le Périer

     En quittant Chantelouve et ses pierriers, la route du Col d’Ornon descend jusqu’au Périer où l’on raconte une histoire sur des créatures qui s’appellent les « Yasses ». Tous les soirs, une petite fille à la peau sombre volait des pommes. Les propriétaires, un couple sans enfant, captura la petite, en accrochant au sommet de l’arbre, de belles sandales jaune d’or. Un jardin des Hespérides qui contraignit notre petite sauvageonne, à l’adoption, au baptême et à la première communion ! Madame Félix nous dit : « Chaque soir qui suivit l’enlèvement, durant tout l’été, la mère de l’enfant vint sous les fenêtres appeler : « micalouété, vïn te dina… Devenue grande, la petite Yasse se maria mais, dit-on, ses descendants furent, comme elle, d’un naturel intrépide et sauvage… ». Selon Eric Marchand « Il semblerait que les êtres appelés « carcarins » à Siévoz existent aussi autour de Lavaldens, mais sous un autre nom : les Yasses. On retrouve dans le livre de Madame Félix des anecdotes concernant les Yasses, noirauds, poilus, qui volent du linge, des récoltes, des poules et qui échangent …leurs propres bébés contre des bébés humains ! ».

     Cette association locale très active, la G@zette du Valbonnais, a réussi par sa persévérance à retrouver, d’après les écrits de Charles Joisten, les lieux d’habitations les plus probables des carcaris au cours du XIXème siècle. Nous avons pu ainsi obtenir grâce à leur diligence les photographies de la cabane des carcaris, du sentier des carcaris et de la source des carcaris. Encore une fois, si l’on est tenté par le jeu de la corrélation fossile entre des hominidés et les carcaris du folklore, des ossements de néandertaliens ont été exhumés à Presles (dans le Vercors, à 20 km du Valbonnais).

Le Valbonnais est un pays un peu à part, un rien secret, à l’écart des grands axes de circulation.

Le peuple sauvage de Chantelouve

     Depuis longtemps, le village de Chantelouve est une voie de communication essentielle entre deux vallées, avec des échanges de biens et de personnes (mariages). « Depuis toujours, les gens de Moulin-Vieux passent par Le Plan Col, Le Col d’Ornon, La Chalp (hameau de Chantelouve) »écrit LucetteFélix-Mallet.    

     Un précieux manuscrit du début du XIXème siècle, écrit par un certain Jean-Joubert Ainarde, évoque la connaissance dans le village très reculé de Chantelouve d’un peuple sauvage connu par les anciens du village et qui auraient hanté les granges d’altitude.

« Après avoir parlé des singularités de la montagne, descendons jusqu’à la Lète et arrêtons-nous à contempler les chasements d’une douzaine de granges éparpillés au-dessus du chemin des Sagnas. Les anciens ont transmis d’âge en âge à la postérité qu’elles étaient autrefois habitées par un peuple sauvage, et ainsi que les villages des Sagnas et des Rochas descendaient de leur origine, sous prétexte d’avoir accueilli la dernière personne de ce peuple sauvage ».

L’empreinte de l’homme sauvage en Isère

bas relief en pierre polychrome, musée Dauphinois, Grenoble, Isère

     En Isère, les hommes sauvages étaient très présents, peut-être même tout près de Grenoble. Dans la ville même, à la Bibliothèque municipale, une fresque du XVIème siècle représente un homme sauvage un arc à la main et le Musée Dauphinois dispose d’une sculpture sur pierre avec massue du XVème siècle.

     Au nord-est (massif d’Allevard et de Belledonne), ils sont relatés à Allevard, Pinsot, La Combe de Lancey. A Allevard, les Sarrasins habitèrent longtemps des grottes redoutées : le petit homme rouge était la terreur des montagnes d’Allevard. Une Faye a même transporté une femme de Montouvrard sur la montagne de Brame Farine.

     A Saint-Maximin, ils habitaient sous la Verney de la Sarradine, rocher en surplomb du torrent du Bréda. Ils ne savaient pas parler. Ils venaient aux portes jusqu’à ce qu’on leur donne la moitié d’un pain. A Pinsot, les petits Fayes ou Sarradins n’étaient plus sauvages mais vivaient dans les cavernes et faisaient tout en cachette. Ils volaient beaucoup et faisaient de la fonderie avec le minerai de fer de La Ferrière. A Beaufin, de petites femmes des bois qui ne parlaient pas venaient se chauffer le soir. On continuait à vaquer sans s’en occuper, puis elles repartaient.

    Les trois récits les plus intéressants de toute cette manne d’informateurs sont les suivants :

     A La Combe de Lancey, en 1646, un bûcheron vit, dans le Bois de la Combe, une femme sauvage complètement velue et couverte de sortes de flocons, au poil bicolore (noirâtre avec l’extrémité blanche), sauf sous les yeux, les pieds forts petits, sans qu’elle s’effraie. Revenu le lendemain avec un collègue, ils tentèrent de s’en saisir, remarquant son haleine puante, mais elle poussa un cri sans articulation et son mâle vint la sauver. Ils grimpèrent vite sur les rochers jusqu’à disparaître.

     A Livet-et-Gavet, en 1638 ou 1639, les deux sauvages de la Combe-de-Lancey avaient déjà été vus en train de boire dans un torrent entre Livet et Gavet.

     A Allemond, les Bouames étaient les petits êtres sauvages malveillants du Trou des Bouames.  Ils volaient   la   nuit   poules et lapins afin de survivre, et chapardaient les pommes de terre et le blé dans les champs. Une femme du Rivier, partie aux pommes de terre avec son enfant, s’est rendue compte qu’on lui avait changé pour un bébé sauvage. Elle l’a fait pleurer et sa mère, on aurait dit une petite vieille, est revenue l’échanger. Il y en avait aussi au-dessus du Molard, qui s’étaient construit de petites cabanes et fabriquaient des paniers. Les gens du Molard mirent le feu à leurs cabanes. Ce feu ou un autre mis par les gens sauvages réduisit le Grand Bois en fumée. Le bois repoussa mais les gens sauvages ne revinrent pas.

     A Oz, de petits nomades poilus, barbus et vêtus de peaux de bêtes s’abritaient à la Caborne des Fayots, sur la rive droite du ruisseau de la Pisse, aux Balmes sous Le Bessey, où ils avaient échangé un enfant, et à la Caborne des Sarrasins dans la Combe Chure. Au col du Poutran, des villageois ont laissé garder leurs moutons tout un été. Une fois payés en beaux habits, ils ne voulurent pas rester.

John Bauer ( 1882-1918) The princess and the Trolls

L’identité biologique des carcaris

     A travers les nombreux récits oraux de nos campagnes, nous pouvons à bon droit être fascinés par l’extrême diversité de ces créatures naines et farouches, qui mènent toutes une existence recluse et mystérieuse, à la marge des champs et villages occupés par les hommes.

     Ainsi, nous noterons quelques variations très intéressantes autour de quelques canevas: dégoût de leur apparence physique et de leur condition primitive à travers le récit-type du changelin (échange entre un enfant humain et un enfant nain), lien avec la nature et le monde sauvage (secret de la feuille de l’aulne, sève du frêne, amour des chevaux) et relation parasitaire ou tout du moins commensal envers l’homme (rapines, vol de linges, de légumes, de fèves, de châtaignes sur le feu de bois). Quel est donc la nature exacte de ces mystérieux nains sauvages ? Des représentants purement folkloriques du « petit peuple alpin du sud », farceurs carcaris ou bourrus bretous documentés par la suite ? Ou plus simplement, sur le versant biologique, des Homo sapiens arriérés, rejetons consanguins et autres crétins des alpes ? Le versant archéologique pourrait-il nous orienter vers des survivants des « Pygmées suisses du Néolithique » exhumés par Julius Kollmann et Jakob Nüesch en 1894 ? Ou encore des néanderthaliens reliques dont les fouilles archéologiques attestent la présence dans le massif du Vercors, à une vingtaine de kilomètres du valbonnais ? Le manque de sources ne nous permet pas, à l’heure actuelle, d’être catégoriques quant à l’identification précise de ces mystérieux carcaris… L’enquête reste ouverte !

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